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Jacques Attali contre l'enseignement en anglais

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Jacques Attali a répandu tellement de bêtises et d'opinions anti-nationales dans sa vie qu'il faut le saluer quand il lui prend fantaisie d'ajouter sa pierre au mur d'en face. Il n'est pas si courant qu'il publie un texte que je pourrais contresigner (à un ou deux détails près). À croire qu'il a plagié un réac !...  Voici donc une magnifique tribune qui remet le scélérat projet de loi Fioraso à sa place : une idée stupide, contreproductive, dangereuse, contraire à l'intérêt de la France, une loi qui irait un peu plus dans le sens de l'auto-dissolution de la France au sein de la World Company. Tant qu'on y est, on peut aussi signer et diffuser la pétition qui s'y oppose.

 

Enseigner en français !
le 22 avril 2013 17H45 | par Jacques Attali

Alors que tant  de réformes majeures attendent de sortir des tiroirs, certains projets de loi récemment passés en Conseil des Ministres ont de quoi surprendre, ou choquer. Ainsi de celui qui prévoit d’autoriser les professeurs à enseigner dans une langue étrangère dans nos universités et grandes écoles. L’argument avancé est que, pour attirer les étudiants de Chine, de l’Inde et de Corée, il faut enseigner en anglais, qui serait la seule langue que ces étudiants connaissent et ont envie de connaitre ; et que, si nous ne le faisons pas cela, nous serons marginalisés dans l’immense marché du savoir à venir.

Non seulement une telle réforme serait contraire à la Constitution (qui prévoit en son article 2 que  « la langue de la République est le français »), mais on ne peut pas imaginer une idée plus stupide, plus contreproductive,  plus dangereuse et plus contraire à l’intérêt de la France.

Plus stupide parce que  la France n’a aucun mal aujourd’hui  à recruter des étudiants étrangers, même venant d’Asie, et de très haut niveau ; ils constituent 13 % des effectifs totaux, soit bien plus que dans les pays, comme la Suède ou le Danemark ou l’Allemagne, qui enseignent en anglais. Et si danger il y a, il est plutôt de perdre des étudiants francophones, en raison de la mauvaise qualité de l’accueil que nous leur réservons et non de la langue de nos universités.

Plus contreproductive, parce que les pays qui enseignent en anglais, quand ce n’est pas la langue  maternelle des enseignants, voient inévitablement  le niveau de leur enseignement baisser, comme le montra par exemple l’échec cuisant de l’université française de Saigon, qui enseigna  un moment en anglais, provoquant le départ en masse de ses étudiants vers l’université américaine de la ville. Alors que, quand notre enseignement est excellent, comme c’est le cas par exemple en mathématiques  et en médecine, les étudiants se précipitent pour venir étudier en français et en France ; et les chercheurs de ces disciplines peuvent même publier des articles en français dans des revues anglophones.

Plus dangereuse parce que cela entrainera un recul du nombre d’étrangers apprenant le Français, ce qui  n’est pas dans notre intérêt et parce que d’autres demanderont ensuite qu’on fasse cours en allemand, en turc, en arabe, jusque dans le secondaire et le primaire, et même qu’on soit autorisé à le parler dans les administrations.

Plus contraire à l’intérêt de la France enfin, parce que la francophonie est un formidable atout pour l’avenir. Le français, parlé par 220 millions de personnes, est la cinquième langue au monde, derrière le chinois, l’anglais, l’espagnol, le hindi. Elle sera dans 40 ans la quatrième, parlée par près d’un milliard de personnes, si nous  réussissons à maintenir notre enseignement du français en Afrique et en Asie, ce qui dépend évidemment de la langue de notre propre enseignement supérieur, en France et sur internet. Alors que passer à l’anglais serait renoncé [sic, hélas] à faire connaître notre culture, notre civilisation, notre art de vivre qui constitue aussi un des atouts principaux de la marque France.

S’il est des réformes urgentes à entreprendre en ce domaine, elles sont donc radicalement inverses. Il faut améliorer :
                - la réception des étudiants étrangers en France, en leur simplifiant les procédures de visas, les formalités d’inscription, la recherche d’un logement, la délivrance d’une carte de bibliothèque et de restaurant.
                - l’apprentissage de l’anglais pour les doctorants français.
                - la qualité de nos enseignements en français, pour qu’ils restent,  ou redeviennent, d’un niveau mondial.

Si le Parlement était assez aveugle pour voter cette réforme, ce serait un signe de plus donné par la France de l’abandon d’elle-même.


VIVIANE FORRESTER OU L’HORREUR SNOBINIQUE

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            Viviane Forrester est morte il y a trois jours. viviane forrester,l'horreur économique,fayard,hommage funèbre,médias,le figaro,ina,rennes,le point,le monde,snobs,le nouvel observateur,antilibéralisme,alain minc,prix femina,la quinzaine littéraire,jacques séguéla,littérature,critique littéraire,voltaire,lettres sur oedipe,milan kundera,claude mauriac,matthieu galey,journal,le temps immobile,angelo rinaldi,journalistes sportifs,antenne 2,jean-claude héchinger,bas-bleu,tchèque,kafka,allemand,alexandre vialatte,claude david,sports,football,arbitres,incompétence,spécialistes,experts,règlement,wilde,grasset,gallimard,élites,georges darien,salomé,pléiadeCette grande bourgeoise lettrée, quintessence du gauchisme germanopratin, avait publié quelques romans et essais littéraires depuis les années 70, avant de connaître en 1996 un succès retentissant avec L’Horreur économique, pamphlet qui développait pesamment une intuition juste et lui valut d’être ridiculisée par tous les économistes du « cercle de la raison », Alain Minc en tête.
            La manie de l’hommage funèbre fait que sa mort est unanimement saluée, y compris dans les médias qui conspuent chaque jour l’antilibéralisme, comme Le Figaro ou Le Point. Le respect des morts était une chose normale dans une société traditionnelle, mais je me demande si cette coutume a encore sa raison d’être dans notre univers de l’hyper-information, où tout le monde peut s’exprimer tout le temps. Faire l’éloge du défunt pendant une certaine période de deuil (mais quelle période ?) donne désormais l'impression d'une insupportable hypocrisie. « On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité », écrivait Voltaire en 1719 dans ses Lettres sur Œdipe. À l’annonce du décès d’une célébrité, il vaut donc mieux, me semble-t-il, soit rester neutre et purement informatif, soit se taire, soit tenir sur elle le même discours que celui qu’on tenait déjà de son vivant. Mais faire semblant de croire que tous les travers, les erreurs, les insuffisances du mort n’ont jamais existé, le dépeindre comme un modèle paré de toutes les vertus et de tous les talents, cela ne peut que contribuer au discrédit de la parole publique. Quoi qu’il arrive, les révélations tomberont, les témoins parleront, les documents gênants seront déterrés, les cadavres sortiront du placard : alors pourquoi attendre et faire comme si on n’avait jamais rien vu ?
 
            Le petit panégyrique du Figaro nous dit : « Viviane Forrester, c'est avant tout un amour profond de la littérature qu'elle n'a jamais cessé de servir, en tant que critique littéraire, au sein du jury du prix Femina, et, surtout, en tant qu'écrivain ». Eh bien alors, il n’est pas inutile de rappeler quelque chose sur cette amoureuse de la littérature et critique littéraire, qui a répandu son jugement pendant des années dans Le Monde, Le Nouvel observateur ou La Quinzaine littéraire.
            Il y a bien longtemps, j’avais lu une anecdote drôlatique : quelqu’un aurait dit un jour à Milan Kundera : « Oh, j’aimerais tellement connaître le tchèque… pour pouvoir lire Kafka dans le texte ». Je ne sais plus où j’avais ramassé cela. L’anecdote se trouve dans le journal de Claude Mauriac au 29 septembre 1978 (Le Temps immobile 10. L’Oncle Marcel, Grasset, 1988 ; Livre de poche n°9645 page 254), mais ce n’est pas là que je l’avais trouvée. Peut-être dans un article d’Angelo Rinaldi, ou chez Pierre Boncenne. Tant que l’ignare restait anonyme, la phrase était trop énorme pour paraître vraie ; on soupçonnait une blague apocryphe, ou une boutade malencontreusement prise au sérieux. Ça faisait plus perle de khâgneux de province que bévue authentique d’une notoriété littéraire.
            Mais il y a quelques années, en lisant le journal de Matthieu Galey, voici ce sur quoi je suis tombé à la date du 17 janvier 1978 (Journal II. 1974-1986, Grasset, 1989, page 69) :
            Viviane Forrester, charmant bas-bleu qui sévit dans les gazettes littéraires, va voir Kundera, réfugié à Rennes. D’un air extatique, elle lui dit : « J’aimerais tellement apprendre le tchèque ». Surprise de Kundera : « C’est une langue difficile que j’ai eu beaucoup de mal à apprendre moi-même. Et puis ça ne peut servir à rien – quelle drôle d’idée !
            — Oh, c’est que je voudrais tellement lire Kafka dans le texte ! »
            Ahurissant, non ? Je veux bien qu’il ne faille pas réduire une personne à une seule anecdote. Je sais bien que nous avons tous des lacunes béantes dans nos savoirs. J’accepte la supposition qu’il m’est déjà arrivé, ou qu’il m’arrivera, de lâcher des balourdises du même tonneau, et je m'en sens couvert de honte par anticipation. Mais quand même, quoi. Quand on prétend avoir une passion pour Kafka, on ne peut pas ignorer qu’il a écrit toute son œuvre en allemand. Quand on baigne dans la littérature depuis des dizaines d’années, quand on écrit des articles de critique, quand on publie soi-même des œuvres, on n’ouvre pas un livre traduit sans regarder le nom du traducteur et la langue d’origine. On peut ignorer que Georges Darien a écrit Gottlieb Krumm en anglais, ou même qu’Oscar Wilde a écrit Salomé en français, mais on ne peut pas ignorer que Kafka a tout écrit en allemand, sa langue maternelle : romans, nouvelles, journal, lettres. Pour paraphraser Séguéla : si tu te piques de littérature et qu’à 50 ans tu ne sais pas que Kafka écrivait en allemand, t’as raté ta vie.
            Il existe dans les archives de l’INA un documentaire de 27 minutes et demie, produit par Antenne 2, où l’on voit Viviane Forrester interviouter Milan Kundera à Rennes. Il date du 9 novembre 1976. Je l’ai regardé en entier : il y est question de Kafka, mais naturellement l’énormité n’y figure pas. Le réalisateur n’allait pas laisser au montage une telle auto-discréditation de l’interviouteuse (et productrice déléguée), pour peu qu'elle ait été lâchée lors de cette rencontre. Je suppose donc que c’est Kundera lui-même qui a rapporté la balourdise à quelques amis, qui l’ont répandu dans le tout-Paris littéraire en 1977 et 1978. À propos du contexte d’époque, il n’est pas indifférent de noter que c’est en 1976 qu’est paru le premier tome de Kafka dans la Pléiade, qui avait justement déclenché une polémique : Gallimard a dû reprendre les traductions d’Alexandre Vialatte, mais les héritiers de ceux-ci n’ont pas voulu qu’elles fussent modifiées : les corrections de Claude David sont reportées en fin de volume, ce qui en rend évidemment la lecture suivie impossible. Cette fâcheuse particularité du volume a forcément donné lieu à quelques articles dans la presse littéraire : comment cela put-il échapper à Mme Forrester ?
            De telles anecdotes donnent à penser. S’agit-il d’un cas particulier, d’un accident exceptionnel qui n’est pas représentatif du milieu littéraire ni même de la culture de Mme Forrester ?… ou bien ce surgissement d'une parole prononcée hors-documentaire officiel nous révèle-t-il inopinément l'incapacité des élites intellectuelles ? On sait déjà plus ou moins que les critiques littéraires ne lisent pas entièrement, ou pas très attentivement, les livres dont ils font le compte rendu (ne parlons pas des jurés qui décernent les prix). Faut-il ajouter qu’en plus, ils ne connaissent pas grand-chose à la littérature en général ? Les « spécialistes », les « experts » qui monopolisent les micros seraient-ils des incompétents, qui en savent plutôt moins qu’un amateur éclairé sur le domaine où ils délivrent prétentieusement un avis supposé faire autorité ? Je lis ce jour, justement, un article qui stigmatise la nullité des journalistes sportifs, lesquels, trop souvent, ne possèdent même pas la base de la base de leur discipline : la connaissance du règlement. Ces pseudo-experts se permettent de critiquer les arbitres au nom de règles imaginaires, ce qui est sans doute la pire des fautes professionnelles qu’ils puissent commettre. Qu’ils critiquent un joueur qu’on a de bonnes raisons de trouver bon (ou l’inverse), soit : il entre dans tout jugement une part de subjectivité arbitraire. Qu’ils se méprennent dans l’analyse tactique d’une phase de jeu, passe encore : cela requiert une finesse que même un grand connaisseur ne montre pas au suprême degré tous les jours que dieu fait. Mais le règlement ! On le connaît ou on ne le connaît pas. Les arbitres français sont déjà suffisamment mauvais (autre symptôme d’un délitement généralisé de ce pays) pour qu’il n’y ait pas besoin, en plus, de leur imputer de fausses erreurs… avec les dégâts éthiques qu’on imagine dans l’esprit des jeunes supporteurs, déjà surabondamment enclins à critiquer à tort l’arbitrage chaque fois que leur équipe a perdu.

          Des journalistes sportifs qui ne connaissent pas le sport, des critiques littéraires qui ne connaissent pas la littérature… Vivrions-nous dans un théâtre d’ombres, un monde d’imposture généralisée, un gigantesque trompe-l’œil ? Tout cela donne le vertige. Il vaut mieux penser que Mme Forrester n’était qu’une greluche snobinarde, qui a sottement essayé de se faire apprécier de Kundera en le flattant et en affichant une fausse connivence avec sa culture d’origine. Le désir de plaire et la vanité ont étouffé en elle le savoir et la réflexion : attitude féminine assez typique, finalement. Il y a toujours eu des bas-bleus qui ont prétendu savoir lire et écrire. Le problème n’est pas que ces bas-bleus existent, il est qu’on ne les remette pas à leur place. 

NOUS AUSSI NOUS SOMMES AMÉRICAINS : NOUS AVIONS GÉRARD DE VILLIERS

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SAS 2.jpg                Mourir détesté est aujourd'hui un luxe rare. Gérard de Villiers ne l'aura pas eu : alors qu’il y a vingt ans sa mort n’aurait sans doute suscité que quelques échos secs et grinçants, voilà qu’un concert d’éloges se déclenche : les médias saluent respectueusement la disparition de « l'homme le mieux renseigné de la planète ». C’est bien à tort qu’on a méprisé ses livres pendant si longtemps : « Il faisait un boulot incroyable », se souvient Dorothée Olliéric, grand-reporteur à France 2. Libération va plus loin, n’hésitant pas à placer le défunt dans la galerie mythique des géants du reportage :« il travaillait comme les grands reporteurs d’avant guerre, du type Albert Londres, qui allaient sur place et revenaient avec de vraies et longues enquêtes ». C’est pourquoi ses descriptions très précises faisaient de ses livres de véritables guides touristiques et politiques. D’ailleurs Hubert Védrine, l’un de ses inconditionnels, ne se rend jamais dans un pays sans lire préalablement le S.A.S. correspondant. Tout le monde lisait Gérard de Villiers, même (surtout) ceux qui le faisaient en cachette. Très introduit dans le monde du renseignement, ayant des informateurs exclusifs partout dans le monde, celui qu’on prenait depuis toujours pour un vulgaire propagandiste de la C.I.A. était en fait un géopoliticien de haut vol, dont les livres, incomparables manuels stratégiques, remplacent avantageusement les traités les mieux documentés. On se demande pourquoi on ne lui a pas demandé d’aller faire des cours à l’École de guerre ! N’a-t-il pas prophétisé l’assassinat de Sadate (dans Le Complot du Caire), l’attentat contre les États-Unis en Libye (dans Les Fous de Benghazi), la tentative de coup d’État contre Bachar el-Assad (dans Le Chemin de Damas), et tant d’autres évènements encore ? n’a-t-il pas expliqué mieux que tout le monde l’attentat contre Rafic Hariri ou l’attentat contre le Boeing de la Panam à Lockerby ? Mais ce prodigieux analyste du monde contemporain était aussi un remarquable entrepreneur qui s’est imposé dans le dur milieu de l’édition, et bien sûr un auteur de talent : un « authentique professionnel » de la prose haletante, un travailleur acharné « qui n’a jamais connu la retraite », un « très bon romancier populaire », un auteur de récits « bien foutus », « dont le génie consistait à coller au plus près à la réalité » et qui avait la suprême élégance de ne pas poser à l’écrivain prétentieux : oui,  « cet homme s'assumait »,  il n’avait honte ni de ses livres ni de ses idées, et cela le rend infiniment estimable. Du reste, cet ami intime de Claude Lanzmann était évidemment bardé des qualités humaines les plus appréciables : un « homme au courage physique à la limite de l'inconscience » (selon son ami le général Rondot), cultivé, généreux, fidèle, bon vivant, provocateur, pudique… Cet esthète aura réussi, excusez du peu, la miraculeuse et « si difficile martingale de tout écrivain : mettre de la vie dans son art et de l’art dans sa vie » (Nicolas Gauthier dans Boulevard Voltaire). En somme, lui qui a été couvert de boue pendant quarante ans, le voilà consacré, même à gauche, « trésor national à sa façon » selon la formule de Jean Guisnel dans Le Point .
                On se frotte les yeux. Quoi ? Est-ce bien de Gérard de Villiers, l’auteur des S.A.S./S.S., que l’on parle ? SAS 1.jpgTrésor national, incarnation du génie français, ce faiseur, ce parvenu, cette incarnation du mauvais goût, cet industriel du roman de gare, qui était méprisé jusque par ceux qui se piquent de littérature populaire, et placé cent lieues en-dessous de San-Antonio à la merveilleuse créativité verbale ?!! Même Paul-Loup Sulitzer, par contraste, était crédité d’avoir inventé un nouveau genre, alors que Villiers ne faisait que du sous-Ian Fleming à la chaîne, mâtiné de pornographie. La forme : un défilé de clichés, aucune invention, des personnages stéréotypés, des intrigues répétitives, une vulgarité constante, des scènes de sexe toujours identiques (et obsessionnellement portées sur la sodomie). Le fond : goût compulsif pour la violence gratuite, complaisance pour la torture, beaufitude, racisme, antisémitisme, misogynie, poncifs les plus stupides sur l’indolence des Arabes, l’incapacité des nègres, la cruauté des jaunes, la lascivité et la servilité des femmes, etc. En 2005 encore, Thierry Ardisson ne l’invitait à Tout le monde en parle que pour l’enfoncer dans le marécage de ses idées nauséabondes, mission moralisatrice où l’accompagnait le débonnaire Jean-Pierre Foucault. Mais voilà qu’en 2013, pfuiiit, tout cela a disparu ! Place à l’hommage et l’admiration. Nous avions un génie et nous l’avons conspué. Que s’est-il passé ?

                Le tournant a eu lieu en janvier de cette année : le New York Times a publié un long article de Robert F. Worth à la gloire de l’écrivant français. Ce panégyrique (d’où sont tirés les trois quarts des articles  d’hommage qui viennent de paraître) a été intégralement traduit dans Courrier International le mois suivant, et il a suffi à retourner la classe médiatique. Intervious et portraits se sont succédé au fil de cette année, jusque dans Le Monde. Ce n’est pas que les yeux de nos faiseurs d’opinion se soient décillés, c’est plutôt que leur jobardise s’est une nouvelle fois révélée : quand l’Amérique donne le ton, il faut se mettre au diapason. Gérard de Villiers est célébré par le New York Times ? Alors on peut en faire autant ! Que dis-je : il faut en faire autant, sinon nous passerons encore pour de petits franchouillards englués dans leur ringardise congénitale, incapables de sentir ce qui est « in ».
                Ce renversement de l’opinion dominante sur S.A.S. est donc moins un indice de droitisation de la société qu’un indice d'américanisation. Violence, crudité, démagogie, populisme, et par-dessus tout culte de l’efficacité et de la rentabilité : nous aussi nous sommes des Américains, nous aussi nous savons fabriquer et vendre des produits américains, nous aussi nous adorons ça, nous aussi nous nous assumons comme tels. Il fut un temps, pas si lointain, où la classe politique et médiatique avait un certain sens de la littérature et ne prisait, fût-ce par affectation, que des auteurs d'un certain niveau. Quand elle parlait d'un écrivain nommé « Villiers », ce ne pouvait donc être qu'Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, styliste racé et pourfendeur cruel de la médiocrité bourgeoise. Aujourd'hui on n'a plus honte de remplir sa bouche et ses yeux de merdes populaires, et parmi tous ceux qui proclament le plaisir qu'ils ont eu à lire des S.A.S., bien peu ont sans doute ouvert Axël ou les Histoires insolites, sans parler du Prétendant ou de Tribulat Bonhomet. La plupart, je le parierais, ignorent jusqu’à l’existence de ces titres. La nouvelle classe dirigeante a baigné dans la sous-culture télévisuelle depuis sa jeunesse, et elle n’en a aucune honte. En termes d’image, il est de moins en moins payant de s’afficher comme un lettré devant le populo, alors pourquoi affecter une préférence pour ces intellos abscons et chichiteux qui nous prennent la tête, tandis qu’on prend son pied avec un bon vieux S.A.S. ? Reconnaître qu’on aime bien lire Gérard de Villiers, c’est à la fois jouer la carte de la transparence, en s’avouant franchement tel qu’on est, et se poser en monsieur-tout-le-monde, apte à comprendre les malheurs et les espoirs du peuple, puisqu’on en partage les goûts et les plaisirs : double bénéfice.

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                J’ai parcouru, dans la réacosphère facebookienne, quelques réactions à la mort de Gérard de Villiers, et j’ai été frappé par la fréquence des marques d’estime posthume : on vomit la gauche, donc on applaudit à tout ce que la gauche déteste, qu'importent les raisons de sa détestation. Untel, par exemple, se réjouit que « la gauchiasse se sente désormais obligée de céder du terrain et de ménager ce sur quoi elle crache sans vergogne depuis 1945, alors que naguère encore elle conchiait tous ceux qui de près ou de loin ressemblaient à un réactionnaire » : attitude purement réactive, qui consiste à choisir ses amis non pas pour leurs qualités propres, mais uniquement pour le fait qu’ils sont rejetés par nos ennemis, – comme si ceux-ci ne pouvaient pas se tromper. Le plus stupéfiant, c’est cette ancienne catin reconvertie dans l'islamophobie hystérique, qui profite de l’occasion pour battre ses propres records de bêtise et de bassesse, pourtant haut placés : « J'estime que tout écrivain doit être jaloux de celui qui a gagné autant d'argent avec sa plume ». Triomphe du veau d'or, prosternation devant le dieu Dollar ! Le gain pécuniaire n'est pas seulement le critère absolu de réussite sociale, il devient aussi le critère de la valeur littéraire et le but de tout écrivain qui se respecte. D’ailleurs, qu’est-ce que la littérature, sinon un moyen de distraire les masses ? « Villiers ne cherchait pas à rivaliser avec Hugo..., mais s'il était populaire, c'est qu'il devait bien écrire. À quoi sert la littérature [réservée à] quelques initiés ? À rien ! ». Remarquable conjonction entre le primat du fric et le primat de la plèbe. L’américanisation est complète : tout objet culturel a pour finalité d’être vendu au plus grand nombre, et le gain obtenu permet donc de hiérarchiser des œuvres d’art qui ne sont rien que des objets de consommation. Je soupçonne que si nous essayions d’expliquer à cette idiote, qui se croit de droite, que dire de la littérature qu’elle ne sert à rien, c’est lui adresser le plus bel éloge possible – puisque tout ce qui est utile est laid –, elle nous prendrait pour des fous, ô Théophile Gautier ! Cette droite-là n’est pas la mienne. J’estime pour ma part qu’il faut avoir l'esprit complètement perverti par le sectarisme le plus borné, pour se sentir solidaire, au nom d’un anti-gauchisme fanatique et aveugle, de ce brasseur de pognon, de cet avilisseur du livre, de ce corrupteur de l'esprit public qu’était Gérard de Villiers.

                Celui-ci, finalement, peut au moins servir d’excellent marqueur idéologique, propre à distinguer deux droites, la droite du fric et de l’Amérique moderniste, la droite de la culture réactionnaire et de l’élite. Villiers n'a fait que de l'ordure tout au long de sa vie. Journaliste pipol dans les années 60, il a donné dans toutes les bassesses de la presse de caniveau : il est même à l’origine de la rumeur qui prétendait que Sheila était un homme, dégueulasserie dont il rigolait encore quarante ans plus tard. Il n’aura jamais quitté ce milieu ignoble, puisque jusqu’à la fin de sa vie il fréquentait assidument la « jet-set », qu’il recevait dans sa villa de Saint-Tropez et sur son yacht. On peut aussi penser, avec Cizia Zykë, que Gérard de Villiers a tué une certaine littérature populaire française en y important des méthodes…  américaines, bien sûr [1]. Comme les MacDo standardisés ont tué les petits caboulots du coin de la rue. Même extermination de la diversité populaire française, brouillonne mais vivante, au profit d’un modèle mécanique et artificiel, froidement et « professionnellement » conçu pour dégager le maximum de bénéfices à court terme. Il est d’ailleurs étrange (ou au contraire très cohérent) que ces articles d’hommage ne soulèvent jamais la question des nègres d’écriture. Même si la version officielle est relayée par Robert F. Worth, on aura tout de même du mal à croire qu’un seul homme ait pu rédiger 200 romans en 49 ans, surtout avec les minutieux voyages, entretiens et investigations sur lesquels on nous dit qu’il s’appuyait. Depuis 2006 (à 76 ans), il avait augmenté sa cadence, passant de quatre à cinq volumes annuels (mais en restant à quatre titres, dont un double en juin). Dans ses dernières années, il était très affaibli par le cancer et les suites d’un A.V.C. : pourtant, miracle de la littérature, sa production ne s’est pas ralentie, et il a continué à abattre ses cinq volumes annuels comme si de rien n’était. Un vrai Superman, n’est-ce pas ! Mais surtout pas un Astérix car, adoptant un point de vue américano-mondialisé, il va sans dire qu’il méprisait la France et ne lui accordait aucune place dans ses livres : « Comme Anglais, il y avait Bond. Un Français, personne ne l'aurait pris au sérieux. À part le fromage et le vin, rien de chez nous n'est crédible à l'étranger », confiait-il à Ariane Chemin cet été. Bien entendu, ce libéral de choc tenait le gaullisme pour une « névrose typiquement française », comme il le déclarait dans une autre interviou : pensez donc, être contre les É.-U.A. et contre le libéralisme cosmopolite, c’est là une hérésie, voire une maladie qu’il convient de dissoudre au plus vite dans le Coca-cola, l’exotisme à deux balles et la pornographie ! Voilà donc l’homme qui paraît estimable et attachant à une certaine droite-Neuilly, qui jauge la réussite d’un gouvernement au montant de sa feuille d’impôts. Chaque parti a les héros qui lui ressemblent, et chaque époque les réactionnaires qu’elle mérite.
                Allez, encore vingt ans de prostitution généralisée à Washington, et Gérard de Villiers sera bon pour le Panthéon.
 

_______________________________
 
[1] « Dans les années 50/60 existait en France une littérature populaire vivante, artisanale, pas toujours géniale, parfois même un peu couillonne, mais sincère, pondue par des mecs libres qui suaient sur leur machine dans leur coin. Dard était le champion, mais il y avait aussi George Arnaud (Le Salaire De La Peur), G.J. Arnaud, Mario Ropp, Kenny et tant d’autres… Plus Bruce avec son OSS 117, plus Malet sauvé plus tard par Tardi. Gérard de Villiers a importé le système de production à l'américaine, en équipe, avec grilles imposées. Avec son ‘Gérard de Villiers présente…’ et la force de distribution de la maison Plon, il a inondé les kiosques de Brigade Mondaine, JAG, Le Survivant, Le Mercenaire et autres, tous produits formatés, produits au moindre coût, qui ont tué tout le reste. Tout un vivier d’auteurs – encore une fois pas toujours grandioses – se sont retrouvés à la rue. »

AFFAIRE AQUILINO MORELLE : LES GOGOS QUI AIMENT ÊTRE PLUMÉS

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Aquilino Morelle 1.jpg            L’actualité politique est dominée depuis trois jours par l’affaire Aquilino Morelle. Le site Médiapart a sorti une enquête fouillée et accâblante sur les aspects cachés de ce proche conseiller de François Hollande (elle est en accès payant sur le site de Médiapart, mais on peut la lire par exemple ici). Peu connu du grand public, il l’était bien plus de ceux qui suivent de près les affaires politiques : « plume » de Jospin à Matignon entre 1997 et 2002, il fut le directeur de campagne de Montebourg aux primaires socialistes de 2011. Soit dit par parenthèse, il est divorcé d’Elisabeth Martichoux, journaliste politique de RTL dont la partialité gaucharde crève les oreilles, avec qui il a eu deux enfants. Après avoir rédigé les discours de Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012, il était devenu son principal conseiller politique, occupant à peu près le rôle (et le bureau) qu’avaient tenus Jacques Attali auprès de Mitterrand et Henri Guaino auprès de Sarkozy. À ce poste, on lui prête une sourde lutte d’influence contre ses rivaux. Un article du Nouvel Observateur explique même qu’il venait d’atteindre le zénith de son influence, ayant vu (ou même ayant ourdi) l’éjection récente de tous ceux à qui il ne plaisait pas : rupture du Président avec sa compagne Valérie Trierweiler en janvier, mise au placard du conseiller en communication Claude Sérillon en février, remplacement d’Ayrault par Valls à Matignon le 31 mars, départ du Secrétaire général de l’Élysée Pierre-René Lemas le 12 avril : pendant cinq jours Aquilino Morelle aura été une sorte de Séjan auprès de Tibère, ayant fait le vide entre le Président et lui. Mais la roche tarpéienne est près du Capitole, comme le savent ceux qui sont encore pétris de culture classique, et une semaine après il devait démissionner à cause des révélations de Médiapart, dont on peut supposer qu’elles ont été soufflées par ses ennemis.
         Ces révélations, hélas, ne peuvent guère étonner ceux qui depuis longtemps ne se font plus d’illusions sur la rectitude des hommes de pouvoir, ni sur la tartufferie de la gauche morale. L’affaire Cahuzac, l’année dernière, avait déjà infligé une salutaire piqûre de rappel aux électeurs qui s’étaient fait duper par la « république exemplaire » annoncée par le candidat Hollande. Du bruit médiatique qui a aussitôt enflé il y a trois jours, on a retenu deux charges contre M. Morelle. La première risque de lui valoir des ennuis judiciaires : le conseiller déchu, alors même qu’il travaillait à l’I.G.A.S. (Inspection Générale des Affaires Sanitaires), et à ce titre devait surveiller de près l’activité de l’industrie pharmaceutique, a travaillé parallèlement en 2007 pour le laboratoire danois Lundbeck, facturant 12 500 € (hors-taxes) l’organisation d’un rendez-vous entre cette boîte et un organisme d’État. Le conflit d’intérêts est flagrant, et comme par hasard il n’a pas été déclaré à l’I.G.A.S. : le délit de « prise illégale d’intérêt » est passible de 5 ans de prison et 500 000 € d’amende. On notera aussi qu’avant de réintégrer l’I.G.A.S. en mars 2007, M. Morelle avait déjà travaillé pour des laboratoires pharmaceutiques, d’abord au sein de l’agence Euro RSCG (car en 2003-2004, il a exercé l’activité, socialiste par excellence, de publicitaire, pardon de « communiquant »), puis à son propre compte (d’où une facture de 37 500 € HT acquittée par les laboratoires Eli Lilly pour six mois de « conseils » entre juin et décembre 2006, Eli Lilly, la firme qui fabrique l’inefficace et dangereux Prozac[1]) ; on notera encore qu’en 2008-2009, il aurait démarché en vain plusieurs laboratoires, dont Sanofi et le fameux Servier (celui du scandale du Mediator) pour se faire engager par eux : faire du lobisme pour le P.S. ou pour Servier, la différence est mince... Tout celà est d’une banalité à pleurer. Le plus comique dans cette affaire est que M. Morelle est l’auteur d’un texte, rétrospectivement faramineux, dans lequel il dénonce exactement ce qui lui est reproché : en juillet 2010, l’affaire Bettencourt-Woerth lui avait donné l’occasion d’offrir à Libérationun grand morceau de moralisme socialo, qui se retourne désormais intégralement contre lui[2]. Et comme l’impudence des tartuffes de gauche est sans limite, il avait encore enfoncé le clou un an plus tard, dans un article d’Esprit de mai 2011, où il notait que les « confusions d'intérêts font largement partie de stratégies de lobbying de l'industrie pharmaceutique auprès des pouvoirs publics » et que « les conflits d'intérêts n'[ont] pas été traités avec assez de rigueur. Il faudrait prévoir des sanctions en cas de non-déclaration ». Si les textes avaient un impact aussi fort que les images, on aurait là un document digne du même retentissement que la déjà légendaire photo de Jérôme Cahuzac prononçant une conférence contre la fraude fiscale.
          La seconde charge contre M. Morelle n’est pas un délit, mais d’une certaine manière elle est encore plus grave : d’après le portrait qui nous en est dressé, nous aurions affaire avec le principal conseiller de Hollande à un modèle achevé du petit-marquis socialiste, nanti de goûts de luxe, adepte des gommages et des saunas dans le Marais, amateurs des vins fins de la cave de l’Élysée, méprisant le petit personnel, utilisant son chauffeur ou sa secrétaire à des fins privées, et peu présent au Palais. Des mœurs qu’on peut tolérer chez ceux qui ne se cachent pas d’aimer l’argent, mais qui choquent et révoltent chez ceux qui font de son mépris une profession de foi. François Hollande avait déclaré qu’il était l’ennemi de la finance, et il a installé un parangon de la gauche caviar à côté de lui ! Le « gang des R25 », ainsi qu’on surnommait les hiérarques socialistes dans les années 80, est donc de retour. Ce que l’opinion publique retiendra longuement, c’est que M. Morelle avait recours aux services d’un cireur de chaussures, qu’il faisait venir tous les deux mois en lui réservant un salon de l’hôtel Marigny (dépendance de l’Élysée) pour qu’il refît une beauté à sa trentaine de chaussures de luxe[3], faites sur mesure. Cet acte ne relève pas de la justice, même si on s’étonne que M. Morelle convoquât le godassier à l’Élysée plutôt que chez lui. Ça ne relève même pas non plus de la réprobation morale : après tout, louer les services de quelqu’un pour lustrer ses grolles est exactement du même ordre que recourir à une femme-de-ménage pour passer son aspirateur ou repasser ses chemises, c’est-à-dire une chose normale et légitime. Mais comment M. Morelle a-t-il pu ne pas voir à dix lieues le symbole dévastateur du puissant qui se fait cirer les pompes par un homme du peuple ? comment a-t-il pu ne pas sentir que si celà venait à se savoir, les chansonniers en feraient leurs gorges chaudes pendant vingt-cinq ans, si bien que l’image de l’homme au cireur de pompes, avec tous les jeux de mots faciles qui s’ensuivent, lui collerait toute sa vie aux… semelles ? comment a-t-il pu ne pas comprendre qu’après Roger-Patrice Pelat « le vice-président », Fabius le fils d’antiquaire, Roland Dumas et ses chaussures Berlutti à 11 000 francs, Jack Lang et son appartement place des Vosges, Dominique Strauss-Kahn et ses mœurs de sultan, ce que la gauche devait éviter par-dessus tout c’était de se discréditer par un nouveau symbole d’arrogance friquée ? Et plus encore quand on est en période de crise et qu’on sert un président qui a fait campagne sur l’idée que son ennemi était la finance ! Et M. Morelle, paraît-il, serait plutôt à la gauche de la gauche ! Quelles sont les mœurs des nababs du centre-gauche, alors ?! C’était donc ça, le « contact avec les classes populaires » qu’il exhortait les responsables de gauche à garder, dans sa tribune de Libération[4] ?!! Vivre dans les palais de la République vous déconnecte à ce point de la réalité qu’on en perd le sens des symboles les plus évidents ? Que la gauche n’avait-elle pourtant pas dit pendant cinq ans sur Sarkozy, ses vacances sur le yacht de Bolloré, sa proximité avec Martin Bouygues et le reste ! Mais ce qui accable le plus, c’est de penser qu’à l’Élysée, M. Morelle était spécialement chargé de la communication. Il y a deux mois, un article du Monde le décrivait même comme « l’homme fort de la "com’" présidentielle », ayant « désormais seul la haute main sur les relations avec la presse nationale et la communication », renforcé dans « son rôle de porte-parole officieux ». Qu’est-ce que c’est que ce communicant qui ne sait pas que les masses se nourrissent d’images et de symboles, bref qui ignore tout de la communication ? Il prétend parler aux Français, et il ne sait pas ce qui les choque par-dessus tout ?! Pire encore qu’un aigrefin se faisant engraisser en douce par l’industrie du médicament, Aquilino Morelle serait-il surtout un incompétent, un nullos, une quiche ?

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            Je n’ai fait jusqu’ici qu’exposer l’affaire pour ceux qui l’auraient entrevue de loin, avec des remarques très banales qui seront sans doute largement approuvées. J’entre maintenant dans le cœur de mon propos, qui se veut une petite contribution à une psychologie de la servitude volontaire.
         Il y a une chose qui m’étonne dans ce genre d’évènements, c’est la réaction complaisante d’une partie de l’opinion : il se trouve toujours des gens pour prendre le parti des ripoux. C’est ce qui pourrait faire le plus désespérer de la démocratie, s’il n’y avait déjà de très solides autres raisons pour le faire : non pas que ce régime mette de lourdes responsabilités dans les mains de coquins qui n’en sont pas dignes, car les autres types de régime le font autant, mais que le peuple n’en tire aucune conséquence et continue de porter au pouvoir ceux dont l’indignité est patente. Faut-il rappeler que Jacques Mellick, condamné pour faux témoignage et subornation de témoin (dans l’affaire OM-VA) à six mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité, a été réélu maire de Béthune ? qu’Alain Juppé, condamné en appel à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité pour abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux et prise illégale d’intérêt, a été réélu maire de Bordeaux ? qu’Henri Emmanuelli, condamné pour complicité de trafic d’influences à dix-huit mois de prison avec sursis et deux ans de privation de droits civiques, a été réélu député et conseiller général des Landes ? que Patrick Balkany, condamné pour prise illégale d’intérêts à quinze mois de prison avec sursis, 200 000 francs d’amende et deux ans d’inéligibilité, a été réélu maire de Levallois-Perret et député ? Je me limite à ces quatre exemples fameux (deux de gauche et deux de droite), mais il y en a bien d’autres. Le Français est râleur, mais laxiste : il gueule en permanence contre la corruption générale de la classe politique, mais quand la Justice condamne un ripou, il lui pardonne et revote pour lui.
         J’ai eu la curiosité de me rendre sur la page Facebook d’Aquilino Morelle, où celui-ci a publié un droit de réponse à Médiapart le 17 avril à 16h12 et l’annonce de sa démission le lendemain à 17h06. Entre les deux, on trouve un lien d’article publié par un de ses amis et un message de soutien publié par un autre ami. Le droit de réponse à Médiapart, où M. Morelle prétend légèrement qu’il n’a jamais été en situation de conflit d’intérêts et mensongèrement que ses conseils à Lundbeck ont été déclarés à l’I.G.A.S., a suscité une large approbation parmi ses amis de Facebook : 116 jaimages et 151 partages (pour l’annonce de la démission le lendemain, c’est 159 jaimages et 44 partages). Le dernier fil que j’ai mentionné, contrairement aux trois autres qui ne sont commentables que par les amis de M. Morelle, est ouvert à tous les inscrits de Facebook. Au moment où je termine cet article, quelque 160 commentaires sont venus s’ajouter à ces quatre publications. Beaucoup d’entre eux sont un peu ou très hostiles, en particulier, bien entendu, sur le fil ouvert où ils dominent largement. Mais ce sont les commentaires favorables qui me frappent et me paraissent constituer un matériau digne d’observation et de réflexion. J’ai écarté les témoignages d’amitié (sauf un), émanant de personnes qui, se permettant de tutoyer M. Morelle, doivent le connaître personnellement (on relève par exemple Pierre Tourlier, le chauffeur de Mitterrand). Pardonnons à leur indulgence partiale, qui prouve que leur affection est plus forte que leur lucidité. Ce qui m’intéresse, ce sont les citoyens ordinaires qui se placent spontanément du côté de ceux qui bafouent la morale voire la loi. Voici, à titre de document brut que j’offre aux lecteurs de ce blogue, une sélection de vingt réactions pour le moins déconcertantes[5] :

. a°) Edwy Pleine-Haine = Fouquier-Tinville. Avec vous, Aquilino.
. b°) Les chiens aboient, la caravane passe... Avec mon soutien.
. c°) Bon courage pour supporter ces insinuations qui visent à salir l'honneur et la probité ....
. d°) Nous sommes de tout cœur avec vous.  Monsieur Morelle vous avez notre confiance .
. e°) C'est pathétique ! Les journalistes devraient également compter le nombre d'heures jour et nuit travaillées par ces brillants conseillers ! Et alors cirer ses chaussures est ce si grave ? Merci pour votre témoignage
. f°) Je viens d'apprendre la démission d'Aquilino MORELLE. Regrettable.
. g°) Très regrettable ! Et je suis choqué par la terrible dérive de certains media & presse qui fait du sensationnel son fond de commerce.
. h°) je trouve ça scandaleux monsieur, que les médias ne trouve que des poubelles à sortir. Je suis avec vous.
. i°) Dislike!! J'ai honte de cette presse donneuse de lecons et hypocrite! Quel niveau horripilant de basesse et d'immondice! C'est ecoeurant!
. j°) Et les medias ne font qu'attaquer le gouvernement et F. Hollande a travers Aquilino Morelle. Les expressions et langage de journalistes sont dignes des gangsters!
. k°) Bon courage .Vous faites face à l'ignominie connue dans les pays en difficulté de reconstruction. .. comme en 1944..la chasse aux sorcières. ..
. l°) Courage Aquilino car la vérité triomphera ! Et tout rentrera dans l'ordre ! L'honneur sera sauf !courage ! stratégie du "lèche lâche lynche" .... et il s'avère que plus on est transparent moins on est cru ... sont-ce les étranges limites d'une démocratie usée de trop de confort ?
. m°) De tout cœur avec toi Aquilino. Je comprends et respecte ton attitude. Je suis néanmoins moins attristé de devoir se séparer d'un homme aussi brillant. Une question de pose néanmoins. Sous couvert d'une certaine liberté d'expression, devrons nous accepter le pouvoir sans cesse grandissant de Mediapart au point de menacer notre démocratie. Sommes nous assures d'une irréprochabilité de Monsieur Plenel? Amitiés.
. n°) Cette période est insupportable. La république se prive de ses élites. Est-ce ainsi qu'elle meure?Démission d'Aquilino MORELLE ? George WASHINGTON Père de l'Independance américaine était un riche planteur de Virginie et possédait des esclaves.  Abraham LINCOLN a obtenu l'Abolition de l'Esclavage en corrompant quelques élus pour les voix qu'il manquait à sa Majorité.  Franklin D. ROSSEVELT a donné son accord au Projet MANHATTAN d'arme nucléaire et Harry TRUMAN a bombardé des civils japonais du feu nucléaire à HIROSHIMA et NAGASAKI intentionnellement.  La République irréprochable n'existe pas.
. o°) " Livrer aux chiens l'honneur d'un homme...."
. p°) MEDIAPART= MACHINE A DETRUIRE
. q°) Aquilino nous ne connaissons pas mais j'ai une profonde sympatie pour vous... Les donneurs de leçons sont legions....tennez bon et rappellez vous l histoire n est qu'un éternel recommencement. ..en Inde il y a les castes. ..en France il y a la même chose ..mais nous devons résister même si cela nous coûte très cher. ..
. r°) médiapart ! machine à détruire avec un Edwy Plenel qui déteste peut etre plus les socialistes qu'il détestait Sarkozy ....
. s°) On a le sentiment que médiapart se veut nouveau procureur de la vie politique française
. t°) A mon avis vous êtes trop efficace donc il fallait vous écarter par un moyen détourné c'est vache d'être une cible courage

            Avant de me pencher sur ces messages désespérants, je déclare que les messages de sens opposé, ceux qui dégoulinent de haine et de mépris, ne me sont guère plus sympathiques : je déteste hurler avec les loups, et je trouve d’une grande inélégance d’aller déposer sa petite crotte sur le mur de M. Morelle. Si l’on tient à exprimer sa colère de citoyen et d’électeur trompé par la gauche, il faut le faire en attendant d’avoir plus d’éléments tangibles, et par une lettre circonstanciée plutôt que par trois lignes baveuses, pleines d’approximations et de fautes d’orthographe. Néanmoins, force est de reconnaître que ceux qui ont publié sur le mur de M. Morelle un message d’indignation font preuve d’une salubre réaction « citoyenne », prenant au sérieux l’idéal de « république exemplaire » du Président, en accord avec les principes élémentaires de la gauche morale. C’est que les faits, pour l’instant, sont de leur côté, – alors que les soutiens de M. Morelle ne peuvent s’appuyer que sur une confiance creuse et arbitraire en sa vertu. On peut dailleurs présumer qu'ils n'ont même pas lu le texte terrible de Michaël Hajdenberg.
           Certes, la présomption d’innocence est un principe fondamental de l’ordre juridique et il ne convient donc pas de s’ériger en juge pour condamner M. Morelle. Cependant M. Morelle a reconnu avoir travaillé pour des laboratoires pharmaceutiques, ce qui, quand bien même il ne serait pas condamné pour conflit d’intérêts, constitue une indécence caractérisée de la part d’un homme de gauche (candidat aux législatives en 2007) qui se fait le chantre de la transparence et de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir financier dans ses publications. Il a beau nier tout conflit d’intérêts, c’est là une appréciation subjective qui ne pèse pas lourd devant sa reconnaissance des faits, laquelle valide entièrement le soupçon de conflit d’intérêts. (Or ce qu’on attend des responsables politiques, ce n’est pas seulement qu’ils ne soient pas coupables de décisions malhonnêtes, c’est qu’ils ne puissent même pas offrir prise au soupçon. Mais ils n’arrivent pas à le comprendre, y compris parmi les théoriciens de la gauche morelle, pardon je veux dire morale). Et le communiqué de l’I.G.A.S., annonçant qu’elle ne retrouvait aucune demande d’autorisation de travailler pour des labos – autorisation qui lui aurait sans doute été refusée[6] l’accable encore plus. (Pour ce qui est des chaussures, M. Morelle n’en souffle mot dans son droit de réponse). Dès lors, il faut une dose énorme de naïveté pour prendre le parti de M. Morelle. La prudence élémentaire commandait au minimum de réserver son jugement.
            Et pourtant, ce n’est pas ainsi qu’a réagi une vingtaine de citoyens, dont l’attitude étrange appelle la réflexion. Pourquoi se trompent-ils de colère ? Sont-ce de purs crétins ? Des pigeons fiers d’être des pigeons ? Des masochistes qui aiment à se faire escroquer ?
          À voir la facilité avec laquelle ils se sont laissé convaincre par le droit de réponse, jugé par plusieurs « clair et net », alors qu'il ne répond à rien, comme le montre la contre-réponse de l'enquêteur Michaël Hajdenberg, on se dit qu’il s’agit de gens qui étaient déjà convaincus. C’est parce qu’ils désiraient lire un démenti aux allégations de Médiapart qu’ils ont gobé cette faible réfutation et l’ont approuvée par un tissu de sottises. Dans les commentaires que j’ai reproduits ci-dessus, on relève ainsi un magnifique point Godwin : « Vous faites face à l'ignominie connue dans les pays en difficulté de reconstruction. .. comme en 1944..la chasse aux sorcières. .. » (k°), qui est dailleurs très drôle par son inadéquation : parler de reconstruction en 1944, c’est suggérer que nous sommes à la Libération et que le mandat de Sarkozy était l’équivalent du régime de Vichy. Mais s’il y a eu une « chasse aux sorcières » en 1944, c’était à l’encontre des collabos, pas des résistants ! M. Morelle sera ravi de se voir comparé à Pucheu, Adrien Marquet, René Bousquet, Carcopino, Céline, Rebatet, Sacha Guitry… Autre propos sidérant : « en Inde il y a les castes... en France il y a la même chose » (q°). L’enquête de Médiapart nous montre que, quel que soit son milieu d’origine, M. Morelle est devenu un parfait représentant de cette caste oligarchique française[7], qui se sert de l’État plus qu’elle ne le sert, alternant en toute irresponsabilité fonctions politiques, sinécures administratives et « ménages » pour les multinationales, sûre de ne jamais se retrouver sur le carreau grâce à son réseau, et qui par-dessus le marché donne des leçons de vertu pour mieux s’adonner à ses goûts de parvenu. Mais non, pour certains, c’est M. Morelle qui est victime d’un système de castes et des donneurs de leçons !! Et si Hollande est si bas dans les sondages, c’est peut-être parce qu’il est victime d’un complot des anciens de l’E.N.A. ? Quant à Sarkozy, il a été éjecté par le grand-patronat, n’en doutons pas. Encore une énormité méritant un sort spécial : « Plus on est transparent moins on est cru » (l°). Curieuse conception de la transparence ! Suffit-il à un Inspecteur du médicament de prétendre qu’il a demandé l’autorisation de travailler pour l’industrie du médicament (sans parvenir, pas de chance !, à mettre la main sur cette demande) pour qu’il doive être cru ? On est décidément en pleine foi. Le croyant accepte les yeux fermés le miracle le plus grossier ou la démonstration théologique la plus boiteuse : il lui suffit d’avoir l’illusion que sa religion en est confortée.
         On aura remarqué que ce qui domine dans ces réactions, c’est l’attaque contre Médiapart et les médias. Parmi ces vingt commentaires, je n’en vois que deux (d°, f°) qui se contentent de manifester un soutien pur à M. Morelle : les dix-huit autres, parfois indirectement mais le plus souvent directement, ont pour principal objet de mettre en cause Médiapart, cette « machine à détruire », ou les médias en général. Le discrédit actuel des médias et des journalistes est un phénomène bien connu, et on en a ici un symptôme de plus. Leur crédibilité est devenue si faible aux yeux d’une partie de l’opinion que celle-ci prend systématiquement leur contrepied : les médias produiraient-ils les preuves les plus accablantes qu’Untel est une crapule, qu’ils soutiendraient Untel pour la seule raison que les médias auraient publié les preuves de sa crapulerie. Ainsi doit s’expliquer, en partie, la vague actuelle de complotisme : beaucoup de gens tiennent pour apriori vrai ce qui est médiatiquement désigné comme faux (et vice-versa). Mais il faut affiner l’analyse. Je discerne huit arguments dans cet ensemble de vingt commentaires :
          1/ Je commence par un argument assez misérable, qui ne prend plus sur grand-monde, si bien que je m’étonne de le trouver encore là : les révélations de Médiapart ne seraient rien d’autre qu’une attaque politique classique, un complot de la droite pour « attaquer le gouvernement » et faire perdre des voix à la gauche (j°, r°). Vieille logique religieuse (qui n’est pas avec moi est contre moi) réinventée par les staliniens : si vous critiquez l’URSS, vous faites le jeu des fachistes. Moyennant quoi, bien sûr, la gauche a toujours raison et ne peut jamais être critiquée. Mais on est en 2014, et la gauche a un tel passif que ce genre d’intimidation morale fait rire tout le monde. Ce doit être ici le fait d’un militant socialiste (sinon, qu’il prenne vite sa carte ! Il mérite une adhésion gratuite), mais les autres commentaires émanent sans doute aussi de citoyens engagés.
          2/ Autre argument ancien et misérable : les médias cherchent uniquement à faire du profit par des articles tapageurs (g°). La presse « fait du sensationnel son fond de commerce ». L’auteur de ce commentaire a-t-il conscience qu’en empêchant la presse de faire du sensationnel, il l’empêcherait de publier la moindre enquête bousculant les idées reçues ? Faudrait-il donc se laisser plumer par tous les malandrins de la politique, puisque révéler leur turpitude ne serait qu’une honteuse opération commerciale ? Remarquons aussi que « J’accuse… ! » de Zola, l’article le plus fameux de la légende de la gauche, la référence absolue de la presse d’opinion, était un article très « sensationnel », et voulu comme tel par Ernest Vaughan et Clemenceau, directeur et éditorialiste de L’Aurore, qui lui ont imposé ce titre pétaradant, visible et criable, plutôt que le lourd et plat « Lettre à Monsieur le Président de la république ».
        3/ Troisième argument, du même niveau que les deux premiers : l’indignité morale de la presse, qui ne devrait critiquer personne, tant elle est « donneuse de leçons et hypocrite » (i°, m°, q°). Les têtes-de-linotte qui ont lancé celà ne se sont apparemment pas avisées que nous n’avions pas ici affaire à une pure tribune ne faisant que porter un jugement moral, mais à une enquête qui a découvert des faits, comme l’année dernière avec Jérôme Cahuzac. Du reste, la société se porterait-elle mieux si tous ceux qui ne sont pas des saints inattaquables devaient fermer les yeux sur les forfaits de leurs voisins ? La presse doit-elle renoncer à tout travail d’enquête et laisser les puissants magouiller en toute impunité tant qu’elle-même ne sera pas absolument irréprochable ? Mais comme elle ne le sera jamais, à l’instar de toute activité humaine, les Morelle, les Cahuzac et tous les tartuffes de la politique pourront donc continuer à faire le contraire exact de ce qu’ils préconisent, sans jamais craindre qu’un hypocrite petit donneur de leçons viennent les prendre la main dans le sac…  
       4/ Le quatrième argument relève plus d’une réaction émotionnelle que d’un véritable argument rationnel. C’est ce qu’on pourrait appeler l’horreur du scandale. Voyez les termes très fortement connotés qui sont employés par les messages a°, b°, c°, e°, h°, i°, j°, k°, o° : toute cette affaire est « pathétique », on est en pleine « ignominie », car l’enquête de Médiapart n’est faite que de vilaines « insinuations qui visent à salir l’honneur et la probité » d’un homme (voire à le pousser au suicide, comme le suggère le commentaire o° en citant la phrase de Mitterrand aux obsèques de Bérégovoy), les médias ne sont que des « chiens », ils font preuve d’une « bassesse » tout-à-fait « écœurante », ils fouillent les « poubelles » pour en sortir des « immondices », ils sont « dignes des gangsters », et Plenel signifie « pleine haine ». Ces hyperboles, quand on les compare à ce dont il est question, sont stupéfiantes : chercher à savoir qui est l’un des hommes les plus puissants de France, enquêter sur la moralité de ses revenus, interroger des témoins, est-ce là un comportement de chien ou de gangster ? Démasquer un tartuffe, est-ce écœurant ? Découvrir qu’un inspecteur des affaires sanitaires se faisait grassement payer par des industriels du médicament, est-ce empuantir la société par des immondices ? — Je crois qu’on devrait se pencher attentivement sur le ressort psychologique qui amène à réagir d’une telle façon. Pour ma part, et puisque les « phobies » sont à la mode, je serais tenté de diagnostiquer là une sorte de phobie du discours critique, perçu globalement comme une agression insupportable. Je crois qu’il y a, parmi les gens qui nous entourent, une proportion insoupçonnée d’idéalistes qui aspirent si profondément à vivre dans une utopie parfaite où tout ne serait qu’harmonie, douceur et amour, que toute note discordante, toute mise en cause, toute alarme, leur paraît odieuse. Vous pourrez apporter les preuves les plus accablantes de la pire des forfaitures commise par le plus immoral des salauds, c’est contre vous qu’ils en auront, parce que c’est vous qui aurez troublé leur quiétude, c’est vous qui aurez fait naître des cris, des images choquantes, de la mauvaise humeur, c’est vous qui les aurez arrachés au tiède édredon de leurs émollientes certitudes. Ces gens ne l’avoueront sans doute jamais ainsi, mais au fond d’eux-mêmes, ils se moquent de la vérité et de la moralité : ils préfèrent cent fois le mensonge et l’illusion, car seul leur importe de vivre dans une petite bulle où tout paraît tranquille et agréable. Allergiques à toute forme de résistance et de critique, ils sont le principal soutien de toute religion dominante, de toute tyrannie : quel que soit l’ordre établi, ils le soutiendront, car l’ordre, ou plutôt l’apparence d’un ordre, même trompeur et oppressif, est nécessaire à leur équilibre intérieur.
      5/ Après quatre sottises, on arrive enfin à un argument valable, fondé sur une problématique très contemporaine : la mise en cause des excès du quatrième pouvoir (a°, m°, p°, r°, s°). Médiapart, cette « machine à détruire », serait devenu tellement puissant qu’il en viendrait à « menacer notre démocratie » à force de se vouloir le « nouveau procureur de la vie politique française », son directeur étant un avatar de Fouquier-Tinville. Certes, il est légitime de s’interroger sur les dérives de la presse et sa tendance à matraquer ceux qu’elle a pris en grippe. Mais l’affaire Morelle correspond-elle à ce cas de figure ? L’année dernière, Médiapart avait pris le risque de mettre en cause Jérôme Cahuzac, tenant bon pendant plusieurs mois sur son enquête malgré les dénégations farouches de l’intéressé. Or celui-ci avait fini par reconnaître les faits. Quoi qu’on pense d’Edwy Plenel, il faut bien reconnaître qu’il a dans son équipe des enquêteurs sérieux capables de faire du bon boulot. En outre, ce qui poserait problème, c’est un procureur auto-désigné qui serait éhontément partisan et s’attaquerait toujours aux mêmes cibles. Or Plenel s’est dévoué au combat contre Sarkozy avec bien plus d’acharnement que contre le P.S., quoi qu’en pensent les militants de celui-ci. S’il y a en France un courant idéologique victime d’un lynchage permanent des médias, et qui aurait donc à se plaindre des dérives d’un système médiatique menaçant la démocratie, c’est l’extrême-droite, et certainement pas la gauche droidlomiste qui est au contraire au cœur du système. Que celle-ci, de temps en temps, doive lâcher un de ses membres, c’est une bonne nouvelle qui montre que le système n’est pas encore totalement pourri.
             6/ Avec l’argument suivant, nous commençons à quitter l’attaque contre les médias pour nous diriger vers une mise en cause du fonctionnement actuel de notre démocratie. L’auteur du commentaire l° est convaincu que « la vérité triomphera » et que M. Morelle retrouvera son honneur sauf. Il met donc en cause « les étranges limites d'une démocratie usée de trop de confort ». Étrange phrase. Cette personne veut-elle dire que nous poussons trop loin le principe de précaution à l’égard de nos dirigeants ? Mais on est encore très loin de l’exécution des vainqueurs des îles Arginuses ! M. Morelle a juste démissionné de ses fonctions, et nul doute qu’il pourrait revenir en grâce s’il faisait la démonstration qu’il a été victime d’un tissu de calomnies dénué du moindre fondement. Où sont les « limites » d’un système, où est son « usure » quand il met sur la touche un conseiller en qui on a de fortes raisons de voir un tartuffe prévaricateur ? Le commentaire t° est encore plus étonnant : « vous êtes trop efficace donc il fallait vous écarter par un moyen détourné ». Y aurait-il eu une cabale des médiocres pour écarter un talent qui leur faisait de l’ombre ? Ou bien serions-nous dans un système qui, pour une raison mystérieuse, pénaliserait l’excès de compétence ? Tout cela est bien vague, et je crois que ces deux commentateurs ont plutôt écrit une phrase à la va-vite pour exprimer leur solidarité, que déployé une réflexion solide.
            7/ Les deux derniers arguments sont d’un autre ordre. C’est ce qu’on pourrait appeler une justification cynique, voire machiavélienne. De manière plus lapidaire mais plus claire que l° et t°, les commentaires e° et m° soulignent que M. Morelle est un homme « brillant ». L’idée mise en avant, c’est que l’efficacité compte plus que la moralité, de telle sorte qu’on aurait dû pardonner à M. Morelle ses petites entorses à l’éthique pour continuer à bénéficier de ses précieux éclairages, qui ont fait tant de bien au Président et à la France depuis deux ans, ainsi que tous nos concitoyens s’en sont rendus compte. (Mais justement, il paraît qu'en bon capitaliste, M. Morelle sous-traitait ses discours : eh oui, le nègre avait des sous-nègres !). En somme, ce qu’on lui reproche n’est pas si grave, en comparaison de ses mérites évidents. Toutefois, je pousse peut-être pour eux leur logique, car m° ne va pas si loin, et e° ne relativise que l’affaire des chaussures, restant muet sur la prévarication de l’inspecteur sanitaire.
            8/ L’amoralisme machiavélien, vers quoi se dirigent, peut-être sans s’en rendre compte, e° et m°, est résolument assumé par l’étonnant commentaire n°. La « république irréprochable » n’existe pas, nous dit-il : les meilleurs dirigeants ont tous des cadavres dans le placard. Ce n’est pas seulement un principe qu’il justifie, c’est un fait qu’il nous demande de constater. Nous devons donc accepter les crimes des puissants, sous peine de nous priver de nos élites et de risquer la mort de la république. Les exemples mobilisés sont amusants par leur inadéquation. Ils appartiennent tous à l’histoire des E.U.A. (bel exemple de colonisation mentale !), un pays pourtant beaucoup plus sourcilleux que nous en matière de moralité politique. Mais reprocher à Washington d’avoir possédé des esclaves, c’est tomber dans l’anachronisme ; la bombe atomique fut peut-être une faute ou un crime politiques imputables à Roosevelt et Truman, mais ce n’était pas une malhonnêteté privée ; de même, l’achat de voix de députés par Lincoln pour faire voter un projet de loi n’avait rien à voir avec l’enrichissement personnel d’un petit-marquis. Les trois derniers exemples sont donc complètement à côté de la plaque, sans parler de l’énorme incongruité qu’il y a à comparer M. Morelle avec les plus importants présidents de l’histoire des E.U.A. La thèse est défendable pour les grands dirigeants, pas pour de petits conseillers : on peut absoudre Richelieu, Mazarin et Colbert d’avoir mal distingué leur fortune personnelle de celle de l’État, eu égard à leur œuvre au service de celui-ci, sans proportion à ce jour avec l’insignifiant bilan de M. Morelle. Il faut une dose colossale de mauvaise foi pour juger que ces exemples illustres autorisent une éminence grise de François Hollande – qui s’est fait l’intransigeant critique du « rapport incestueux entre le pouvoir et l’argent » – à se vendre à l’industrie pharmaceutique.

         On voit que la servitude volontaire emprunte bien des chemins. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le moralisme, la soif de justice, l’horreur des magouilles, l’exigence d’exemplarité chez nos dirigeants, l’idéal d’incorruptibilité en politique : ces aspirations qu’on suppose toutes-puissantes chez nos concitoyens, sont au contraire souvent dédaignées et ignorées. Beaucoup d’entre eux, pigeons assumés, sont tout prêts à se laisser plumer. Sectarisme politique, disqualification par l’arrière-pensée commerciale, invalidation morale de la presse, horreur de tout scandale, inquiétude quant à la tyrannie médiacratique, souci de protéger les élites, tolérance de leur immoralité au nom de leur utilité : les Français ont beaucoup de ressources pour accepter et justifier les forfaitures de leurs dirigeants.           
          Dans la liste de justifications que j’ai dressée, seuls les arguments 5 et 8 (le risque des excès de la chasse aux sorcières médiatiques et la relativisation de l’immoralité des dirigeants) méritent considération, mais leur application au cas d’Aquilino Morelle ne tient pas la route. Donc aucune de ces justifications n’est valable. Alors pourquoi sont-elles brandies ? J’incline à croire que, pour ceux qui les ont écrits, ces arguments irréfléchis et inconséquents ne sont que de la poudre aux yeux (et dabord à leurs propres yeux). Tout se ramène fondamentalement aux motifs 1 et 4 : le sectarisme politique et l’horreur du scandale. Ces deux puissantes déterminations des jugements humains font que toute dénonciation d’une crapulerie politique suscitera toujours une certaine part incompressible d’indignation à l’encontre de ceux qui auront démasqué et dénoncé la crapule. C’est une leçon importante, mais elle avait déjà été tirée il y a plus de deux siècles par Chamfort : « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin » (n°499 de l’édition Jean Dagen des Maximes, GF n°188, 1968).

           

         Ajout du 22 avril : J’aperçois une brève du Figaro qui fait état d’une information extrêmement instructive, recueillie par Le Canard enchaîné :  « Aquilino Morelle a bien essayé de plaider sa cause, jeudi, lors d'un entretien avec le chef de l'État. Mais devant son intransigeance, le conseiller aurait lâché, toujours selon l'hebdomadaire satirique : "Tu m'abandonnes ! Alors qu'il y a des chiens qui courent après moi, tu m'abandonnes. Tu es vraiment un salaud !". Selon le Canard, François Hollande aurait alors chargé son premier ministre, Manuel Valls, de convaincre Aquilino Morelle de démissionner. »
         Trois remarques : Dabord, M. Morelle aurait bien aimé rester en place. Il est donc tout-à-fait en accord avec sa conscience, tout-à-fait aveugle à son indignité et au tort qu’il porte à son camp. Le parallèle avec Jérôme Cahuzac s’accuse. (À vrai dire, le contraire nous aurait un peu étonnés...) Ensuite, Hollande a si peu d’autorité sur ses proches qu’il ne peut même pas obtenir le départ d’un conseiller qu’il a installé à côté de lui ! Il lui faut déléguer à son Premier ministre la charge de convaincre un membre du cabinet présidentiel de démissionner. Incroyable. Mais par qui sommes-nous gouvernés, mon dieu ? Enfin, ce conseiller se permet non seulement de tutoyer le successeur de Louis XIV (la périphrase fait rire, hélas…), mais même de l’insulter grossièrement. Dans ce Père Joseph d'aujourd'hui, il y avait... de l’Anelka. « Va te faire enculer, sale fils de pute » dit l’un à Domenech[8]. Et l’autre, à Hollande : « Tu es vraiment un salaud ». Différence de degré plus que de nature. Avec le PS tout autant qu’avec l’UMP, ce pays de racailles est décidément gouverné par des racailles.

 



[1] Vient tout juste de sortir un livre-choc sur les manœuvres de l’industrie pharmaceutique : John Virapen, Effets secondaires : la mort, éd. Le Cherche-midi. Il s’agit des confessions de l’ancien directeur général d’Eli Lilly en Suède, qui raconte toutes les coupables manipulations qu’il a commises. Voir un résumé dans cet article.

[2] Premier paragraphe : « Stupéfiés, accablés, révoltés, les Français assistent, à l’occasion de "l’affaire Bettencourt-Woerth", à la mise à nu d’une part constitutive de l’identité de la droite : la consanguinité du monde des "riches" et de celui des "puissants", le rapport incestueux entre le pouvoir et l’argent, le déni – d’un tel cynisme qu’il tourne à la naïveté – de ce qu’est un conflit d’intérêt. Ce qui rend la situation actuelle grosse de dangers pour le pouvoir, ce n’est pas le seul dévoilement de cette réalité, ni même que cette révélation intervienne alors que la crise économique et sociale est profonde, mais le fait que le pouvoir, tournant le dos à ses engagements, pratique une politique injuste et contraire aux promesses accordées. Dernier élément du puzzle à se mettre en place, cette affaire permet à tous de saisir le sens de ce qui s’est passé depuis 2007 : un mensonge de campagne suivi d’une volte-face. Elle permet de dessiller les yeux les mieux fermés. La colère, froide pour l’instant, monte dans le pays. » Si vous remplacez « Bettencourt-Woerth » par « Aquilino Morelle », « droite » par « gauche » et « 2007 » par « 2012 », n’avez-vous pas une parfaite description de la situation d’aujourd’hui ? Un peu plus loin, on lit aussi : « La question de la compatibilité entre l’argent et la gauche renvoie ici à celle de la distance. En l’occurrence, la distance qu’il faut savoir mettre, lorsqu’on est un responsable politique de gauche, entre soi et l’argent – et ceux qui le détiennent ». M. Morelle parlait d’or… — Le 24 juin 2011, suite à son rapport sur le Médiator au nom de l'I.G.A.S. (où il travaillait pourtant bien peu d'après le témoignage de sa collègue Hélène Strohl, voir note n°7), il est interrogé sur France Info. Voici, dans une retranscription plus fidèle que celle de l'article de Médiapart, ce qu'il a encore déclaré à propos des exigences de transparence (à partir de 8'40'') : « On attend que chacun soit au clair avec lui-même et avec les autres. Il n’y a pas d’interdiction d’avoir un rapport avec l’industrie pharmaceutique pour un médecin. Ça peut se comprendre. […] Ce qui est obligatoire, c’est de rendre public cela. On n’interdit pas les contacts entre les experts et l’industrie pharmaceutique, ce que l’on souhaite, c’est que ces contacts soient publics. Et quand vous publiez vos relations, alors évidemment vous êtes transparent et chacun pourra regarder si les actes et les décisions que vous prenez sont conformes à ces déclarations, et s’il n’y a pas quelque chose qui peut poser un problème en termes de perte d’indépendance. C’est juste ça. Je dis bien c’est juste ça, et pourtant c’est énorme. […] Il faut apprendre aux gens, et c’est pas dans la culture française, à objectiver les rapports. Voilà : j’ai [c'est là un « je » impersonnel] un rapport avec  l’industrie pharmaceutique, c’est pas un problème en soi, mais il faut que tout le monde le sache. […] On aboutit à ces situations où il y avait des experts qui étaient parties prenantes. Ils étaient juge et partie. Ça ce n’est plus possible. Il faut en finir avec ça ». On voit que M. Morelle est très bon pour donner des conseils à ses collègues médecins, mais un peu moins pour se les appliquer à lui-même...

[3] Une dizaine seulement, selon la rectification que M. Morelle aurait apportée lui-même à son (ex-)cireur, David Ysebaert, à qui il a immédiatement retiré sa clientèle, – un geste d’une rare élégance de la part de ce théoricien du contact entre la gauche et le peuple.

[4]« C’est encore de distance qu’il s’agit, mais de façon inversée cette fois. Un responsable politique de gauche doit absolument garder le contact avec les classes populaires - jeunes, chômeurs, ouvriers, employés – qui représentent la raison d’être de son action et qui devraient constituer le cœur de son électorat. Même – et en fait surtout – si le fil de sa vie l’entraîne au sein de l’élite, il doit tout mettre en œuvre pour préserver et faire vivre son lien avec le peuple. Il ne s’agit pas de nier les différences de revenus et de positions sociales qui peuvent exister, mais de toujours chercher à les combler ou à les dépasser par l’échange et le contact physique. »

[5]J’ai retiré les noms car il ne s’agit pas ici de m’en prendre personnellement à leurs auteurs, mais de réfléchir sur leur texte en tant que symptôme d’une attitude générale. Du reste, comme j’ai donné les liens, mes lecteurs pourront les retrouver tant que les quatre publications resteront accessibles sur le compte Facebook d’Aquilino Morelle.

[6]« Si j'avais signé une autorisation pour qu'il fasse ce travail pour ce laboratoire, je me le rappellerais. Je n'aurais jamais signé un truc pareil. C'est comme si on autorisait un percepteur des impôts à conseiller une entreprise pour payer moins d'impôts. Et puis, on ne signe pas ça comme ça. Il y a des règles de déontologie, si le chef de corps n'est pas le premier à les faire respecter, où va-t-on ? » déclare au Monde André Nutte, directeur de l’I.G.A.S. à l’époque des faits.

[7] Divorcé d’une journaliste politique, M. Morelle est le mari (ou le compagnon ? les sources divergent) de Laurence Engel, actuelle directrice de cabinet du ministre de la Culture (Aurélie Filippetti, elle-même en couple avec Frédéric de Saint-Sernin, ancien secrétaire d’État de Chirac). Mme Engel, énarque, auditeur à la Cour des comptes, fut dir-cab du président d’Arte Jérôme Clément et directrice des Affaires culturelles à la mairie de Paris. Elle est pressentie pour prendre la tête du Musée Picasso, poste qui pourtant devrait revenir à un scientifique plus qu’à un administratif. Beau parcours d’oligarque, en tout cas, même si la prochaine étape en vue n’est pas encore atteinte, maintenant que l’affaire Morelle ricoche sur elle. — À propos du travail de M. Morelle à l'I.G.A.S., je recommande cet article du Figaro, où l'Inspectrice honoraire Hélène Strohl, qui l'y a côtoyé, dresse le constat d'une certaine décadence de la haute administration dont il est le parfait représentant : Aquilino Morelle « incarne un type de hauts fonctionnaires : ceux qui considèrent que l'administration, le service public ne constituent plus un lieu intéressant de pouvoir et qui pensent qu'une carrière réussie débouche forcément sur un poste politique ou/et lucratif dans une entreprise privée. […] Comme un certain nombre de membres des corps de contrôle de l’État, il n'a jamais considéré que le contrôle, l'audit, le conseil de divers services publics, d’État, de collectivités territoriales eût une quelconque importance ni le moindre intérêt. Sauf quand il s'agissait de rapports à forte densité politique et médiatique ». Voir aussi son livreL’État social ne fonctionne plus, Albin Michel, 2008.

[8] Du moins selon la version de L’Équipe. Selon Domenech lui-même, Anelka lui aurait plutôt lancé : « Enculé, t’as qu’à la faire tout seul, ton équipe de merde ! ». Quoiqu’usant d’un vocabulaire plus ordurier, Anelka avait donc démissionné de lui-même, montrant plus de dignité qu’Aquilino Morelle…

MÊME LES ESPIONS PEUVENT MOURIR PAR ACCIDENT

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            Je suis plongé en ce moment dans la lecture des souvenirs de Bernard Billaud, un proche conseiller de Chirac entre 1976 et 1984, D’un Chirac l’autre (éditions de Fallois, 2005), livre d’un grand intérêt dont je ferai sans doute un compte-rendu critique.
            Mais je veux sans délai faire partager à mes lecteurs une anecdote qui donne à penser. Bernard Billaud, né en 1942, a eu deux mentors politiques, Georges Bidault et Georges Bonnet. De ce dernier, on se souvient surtout que, ministre des Affaires étrangères en 1938, il accompagna Daladier à la conférence de Munich. Sa carrière politique a été en fait beaucoup plus riche puisque, en plus de ses mandats locaux en Dordogne, il a occupé de nombreux portefeuilles ministériels, en particulier celui des Finances en 1933.
Georges Bonnet.jpg            Georges Bonnet (1889-1973) était très lié dans sa jeunesse à Robert de Jouvenel (1882-1924), journaliste et polémiste nettement à droite, auteur de La République des camarades, frère de Henry de Jouvenel (1876-1935) le deuxième mari de Colette, et donc oncle de Bertrand de Jouvenel (1903-1987), essayiste bien connu qui flotta dans toutes les eaux, du fachisme au libéralisme et de l’écologisme au marxisme (et, pour l’anecdote, amant de sa belle-mère Colette, qui tira de leur liaison son roman Chéri).
            Le 17 mai 1982, Bernard Billaud reçut Bertrand de Jouvenel dans son bureau de l’Hôtel de ville (il s’agissait d’essayer de sauver l’appartement de Colette au Palais-Royal, dont la fille Bel-Gazou venait de mourir). Billaud ne put s’empêcher de lui dire combien, par Georges Bonnet, la « tribu des Jouvenel » lui était familière, et lui conta cette histoire très intéressante (chap. XI, p. 361-362) :
 
         J’évoque alors l’amitié indestructible que Georges Bonnet vouait à Robert de Jouvenel, le frère de son père. Cette amitié a survécu à la mort prématurée de son oncle. Que de fois ai-je admiré le bureau qui était placé dans la vaste entrée de l’appartement du boulevard Flandrin ! Robert de Jouvenel l’avait légué à Georges Bonnet. Je me rappelle que ce dernier m’avait assuré que Churchill, l’ayant admiré un jour qu’il se rendit au domicile de l’homme d’État radical, lui attribuait une origine et une facture anglaises. En tout cas ce meuble avait une histoire que je narre à mon visiteur : une balle l’avait traversé de part en part. Georges Bonnet m’en montra l’impact bien visible. L’incident eut lieu à un moment difficile de sa carrière. Il venait de détenir le portefeuille des finances dans les trois brefs gouvernements Daladier, Sarraut et Chautemps de janvier 1933 à janvier 1934. Il avait accueilli dans son cabinet un avocat du nom de Guiboud-Ribaud qui s’était révélé être une créature d’Alexandre Stavisky, ce qui avait fait se déchaîner L’Action française et toute la presse hostile au régime. Georges Bonnet ignorait tout évidemment des relations douteuses de son collaborateur.
         Un soir, après qu’il eut fait l’objet de menaces de mort particulièrement violentes et explicites, Georges Bonnet voulut s’assurer que dans l’un des tiroirs du bureau de Robert de Jouvenel se trouvait toujours le revolver chargé qu’il y dissimulait. Sa femme, Odette, le voyant manipuler l’arme, voulut, par crainte d’un accident, la lui arracher. Le coup partit !
         J’entends encore Georges Bonnet me dire : « Voyez-vous, Bernard, si la balle, au lieu de transpercer le bureau, m’avait atteint, jamais on n’aurait pu faire admettre à qui que ce soit que ma mort était le résultat d’un accident. On aurait partout proclamé que je m’étais suicidé à cause de mes relations avec Stavisky et ainsi aurait définitivement sombré mon honneur. »
         Jouvenel me fixe intensément, me dévorant du regard ; il m’écoute comme pétrifié. Il hoche la tête : « À quoi tient la destinée… » murmure-t-il.
 
            Ce qui me retient dans cette anecdote, c’est qu’elle révèle à quel point le hasard, c’est-à-dire l’absurdité, rôde en permanence sur chacune de nos têtes, et menace à tout instant de frapper même ceux qui ont des raisons de mourir.
            Le complotisme, qui est un des fléaux du monde contemporain, repose sur une double base : la négation du hasard et la négation de l’inefficacité. Pour un complotiste, la police, l’armée, les services de renseignement sont toujours d’une efficacité absolue. La gabegie, la désinvolture, l’aveuglement, la paresse, la sottise, la routine endormissante n’existent pas : si L.H. Oswald a réussi à assassiner Kennedy et les terroristes d’al-Qaïda à détourner quatre avions le 11 septembre 2001, cela ne peut signifier que la police de Dallas, le F.B.I., la C.I.A. et le N.O.R.A.D. se soient révélés très inférieurs à leur tâche : étant par définition tout-puissants et infaillibles, c’est forcément qu’ils ont été les complices, voire les instigateurs de ces attentats. De la même façon, quand un personnage important, lié à des affaires suspectes, meurt brusquement, cela ne peut être l’effet du hasard : les crises cardiaques impromptues, les accidents domestiques, les manipulations fatales d’objets dangereux, les crimes de rôdeurs, les pertes de contrôle de véhicule, tout cela n’existe pas, et les suicides ne concernent que les gens qui ne gênent personne. Tout a du sens, rien n’est fortuit, et quand la mort de quelqu’un profite à certains puissants, c’est forcément que ces puissants l’ont éliminé. Un dirigeant politique, un espion, un homme d’affaires, voire une vedette médiatique, ne sauraient être victimes d’un accident. Seuls les naïfs peuvent gober ce genre de coïncidences : aux complotistes, on ne la fait pas. Dès lors qu’il y a la plus petite incertitude sur les circonstances du décès, c’est qu’on nous cache des choses et que la version officielle nous ment. Gérard de Nerval, Rodolphe de Lorraine et Marie Vetsera à Mayerling, Marilyn Monroe, Rudolf Hess à Spandau, François de Grossouvre à l'Élysée, Pierre Bérégovoy, Kurt Cobain n’ont pas pu se suicider : ils gênaient, ils connaissaient des secrets, ils ont donc été assassinés. Le président Warren Harding (en 1923), l’ancien ministre Joseph Fontanet dans la rue (en 1980), Coluche sur sa moto, Jean-Edern Hallier sur son vélo, la princesse Lady Diana dans la voiture de Dodi al-Fayed ne sont pas morts par l’effet du hasard : ils ont été éliminés comme les précédents, par un diabolique complot qui avait froidement programmé leur assassinat.
            Et si la femme de Georges Bonnet avait été encore plus maladroite qu’elle ne l’a été, alors c’est que celui-ci se serait suicidé… prouvant par là qu’il n’était que l’homme de paille de Stavisky, occulte ministre des finances de la France pendant toute l’année 1933.

LE FESTIVAL D’AVIGNON OU LA GRANDE MISÈRE DU THÉÂTRE

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            Les manifestations des intermittents du spectacle, qui ont déjà causé l’annulation de plusieurs représentations prévues au festival d’Avignon, attirent l’attention générale sur ce festival de théâtre de réputation internationale (le plus important du monde, dit-on), qui compte parmi ces manifestations faisant encore de la France un pays au rayonnement culturel majeur, – mais vu que nous sommes déjà devenus une puissance militaire moyenne, une puissance politique moyenne, une puissance économique moyenne, il serait bien étonnant que dans deux ou trois générations nous ne soyons pas également une puissance culturelle moyenne.      
             Le festival d’Avignon, pour ceux qui n’y ont jamais mis les pieds, est composé de deux volets : le « in » et le « off » (l’anglais n’est pas une langue étrangère en France, n’est-ce pas), qu’il faudrait plutôt appeler « l’officiel » et le « non-officiel » (mais cela aboutirait à abréger « officiel » en « off »…). Tels qu’ils se présentent depuis quelque vingt (trente ?) années, ces deux festivals concomitants sont radicalement différents. Le festival officiel n’a que peu d’intérêt. Il propose une trentaine de spectacles subventionnés à mort, intello-chiants, prétentieux et chichiteux. C’est par excellence le lieu du théâtre contemporain, au sens le plus détestable du mot (comme dans « art contemporain », « musique contemporaine », etc), c’est-à-dire l’endroit où les metteurs en scène se prennent pour des créateurs de génie et cherchent à imposer leur réputation à grands renforts de provocations ineptes et d’innovations délirantes, sans tenir aucun compte ni des textes ni des acteurs ni du public, voire en les agressant ouvertement. Le public y est pour l’essentiel constitué de jobards cultureux, espèce un peu particulière qui prend son plaisir non pas dans l’agrément (inexistant) d’un spectacle rebutant au possible, mais dans la vanité de se sentir en phase avec l’avant-garde du moment. Autrement dit, ils jouissent d’eux-mêmes, de se regarder applaudir ce qui les ennuie, et de se dire : « comme je suis intelligent de comprendre qu’il faut imaginer ce roi habillé, alors qu’un enfant s’exclamerait qu’il est nu ! ». N’oublions pas non plus les très nombreux spectateurs invités, qui n’osent pas huer ce qui ne leur a rien coûté. Bref, n’assistez jamais à un spectacle de l’Avignon officiel, sauf par exception s’il vous a été dûment recommandé par un ami de toute confiance. En plus, le prix est prohibitif ! Vous lâcheriez jusqu’à cinquante euros pour vous ennuyer pendant deux ou trois heures (voire plus). Du reste, quelques vieux chenoques nostalgiques ont déjà expliqué tout cela mieux que moi, comme Régis Debray dans Sur le pont d’Avignon (Flammarion, 2005 : compte-rendu fielleux ici) ou Jacques Julliard dans une tribune du Nouvel Observateur, « les assassins du théâtre ». Lire aussi cet article accâblant du Figaro, qui rapporte entre autres quelques propos acides de Fabrice Luchini.
             Le festival non officiel, c’est la grande foire au spectacle. Avignon semble attirer tous les acteurs de France et d’ailleurs, qui viennent y jouer tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi. Le spectacle envahit la ville dont l'hypercentre, pendant trois semaines, prend les allures d'une fête de la musique permanente : foule dense jusqu'à 1 heure du matin, artistes de rue, bateleurs grimés et costumés qui font de la réclame dans l'esprit du spectacle qu'ils vous proposent. Cette année, ce ne sont pas moins de 1307 spectacles qui sont proposés pendant trois semaines (le chiffre est en constante inflation : il y en avait 966 en 2009 ; 1030 en 2010 ; 1126 en 2011 ; 1161 en 2012 ; 1258 en 2013). Une richesse impressionnante en terme de quantité, mais dont on peut se demander si elle n'implique pas une grande misère en qualité. Il ne s’agit pas uniquement de théâtre au sens strict du terme, car il y a aussi, quoique en faible proportion, du spectacle pour enfants, des marionnettes, du cirque, de la danse, des récitations poétiques, des contes, du mime, de la magie, du théâtre musical, de l'improvisation, – et beaucoup d’humoristes en solo : l’empire de la dérision assoit aussi son règne dans la cité des papes. Dailleurs, un grand nombre des pièces proposées relève du théâtre de boulevard (en particulier celles dont les affiches saturent les murs de la ville) : Pyjama pour six, Une heure avant le mariage, Bon anniversaire mon amour !, Dix ans de mariage, Le Bon la bru et la vieille bique, Un mariage follement gai, etc. Les comédies qui tapent en-dessous de la ceinture sont également très à la mode : Le Sexe pour les nuls, Faites l'amour avec un Belge, Conversations avec ma libido, Contes coquins, Le Sexe de la modèle, Tu penses vraiment qu'à ça !?, Mars et Vénus, La Guerre des sexes, Sexe arnaque et tartiflette, Sexe magouilles et culture générale, Love coach, Dans la peau d'une bombe, Ma femme me prend pour un sex toy, etc. Et je passe sur tous les spectacles qui misent sur le genre déjanté, fût-ce aux dépens des classiques. 
               Un coup d’œil sur le programme de cette prolifération de spectacles, dans son classement par auteurs, est extrêmement instructif. Qu’il y ait beaucoup de noms tout-à-fait inconnus n’a rien de choquant : le festival d’Avignon, tel qu’il a été créé par Jean Vilar en 1947, se voulait axé sur la création contemporaine. Il est donc normal et légitime que de jeunes auteurs viennent tenter de s’y faire connaître et reconnaître. Mais ce qui est troublant, c’est que ces noms totalement inconnus soient une écrasante majorité. Dans ce festival qui est le grand rendez-vous national (voire international) du théâtre, donc la vitrine de l’art dramatique, on s’attendrait à ce que la priorité soit tout de même donnée aux grands textes. Sans vouloir le figer dans une vision trop « patrimoniale », on aimerait que, pour l’honnête homme d’aujourd’hui, venir en Avignon au mois de  juillet soit le moment idéal pour voir les classiques qu’on n’a encore jamais vus aussi bien que pour découvrir les grands noms de demain. En 1947, le premier festival d’Avignon, ce fut une « semaine d’art dramatique » proposant trois pièces jouées par la troupe de Jean Vilar : Richard II de Shakespeare, L’Histoire de Tobie et de Sara de Claudel, La Terrasse de midi de Maurice Clavel. Claudel était alors encore vivant, mais à 79 ans, sa réputation était faite depuis un moment. Maurice Clavel, à 27 ans, était un jeune inconnu, qui dailleurs ne s'imposera jamais comme dramaturge, trouvant plutôt sa voie dans l’essai et la tribune polémique (vingt-quatre ans plus tard, il se rendra célèbre par un mémorable coup d’éclat à la télévision contre « messieurs les censeurs »). Un classique et deux créations, l’une d’un auteur consacré et l’autre d’un auteur débutant : c’était un bon dosage, dont la proportion mériterait d’être toujours respectée.
             Sur les 1307 spectacles proposés en 2014, on pourrait donc espérer un tiers de classiques, soit environ 435 œuvres du répertoire. Or on en est très très loin ! Molière, Shakespeare, Feydeau, Hugo, Wilde, Musset sont convenablement représentés (au moins deux pièces), le premier surtout, dieu du théâtre français dont on célèbre inlassablement le culte. Soyons juste, il y a aussi quelques bonnes surprises (du moins sur le papier !) : Eschyle (Les Perses), Plaute (Aulularia, spectacle joué par une troupe italienne), Machiavel (La Mandragola : même remarque que pour la pièce précédente. Je ne suis pas sûr que ces deux pièces soient jouées en français), John Gay  (L'Opéra du gueux), Péguy (Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc), Cocteau (L'Aigle à deux têtes), Goldoni (Arlequin valet de deux maîtres, plus une saynète dans un pot-pourri de plusieurs auteurs), Gogol (Le Revizor mais aussi… Le Journal d’un fou, qui est une nouvelle), Aristophane (On marche sur la tête, une adaptation tellement libre de Ploutos que le titre original n’est donné nulle part), Charles Vildrac (Le Paquebot Tenacity), Pierre Gripari (Inspecteur Toutou, qui est plutôt pour les mômes). C’est tout. Oui, parmi les dramaturges « classiques », ce sont à peu près les seuls qu’on trouvera cette année parmi ces 1307 spectacles du festival non officiel d’Avignon. Oh, qu’on se rassure, les classiques du XXe siècle figurent bien au programme, mais à condition qu’ils se caractérisent soit par une certaine mise en cause du langage et de la parole, soit par des thèmes gauchistes : ainsi Roger Vitrac, Artaud, Brecht, Beckett, Ionesco, Jean Genet, Friedrich Dürrenmatt, Jean Tardieu, Nathalie Sarraute, Michel Vinaver, Michel Tremblay, Bernard-Marie Koltès, Jean-Luc Lagarce, Harold Pinter, Peter Handke, sont là et bien là (tiens, Fernando Arrabal manque à l’appel. En voilà un qui est enterré avant même d’être mort. On échappe aussi à Marguerite Duras, c’est toujours ça de pris). Principe : le théâtreux a besoin de se sentir subversif d’une manière ou d’une autre. Il faut qu’il vous fasse sentir le vide de toute communication, ou à l’inverse qu’il vous communique ses opinions sur les injustices de la société et la menace toujours latente du fachisme.
                 Je me suis amusé à pointer tous les grands dramaturges dont les noms manquent à l’appel du programme 2014 (ou alors qui y figurent de façon tellement marginale que c’en est presque insultant). Accrochez-vous :
. Montherlant : zéro.
. Anouilh : zéro.
. Sacha Guitry : zéro.
. Pirandello : zéro.
. Sophocle, Euripide, Térence, Sénèque : zéro.
. Ibsen, Strindberg : zéro.
. Ben Jonson, Christopher Marlowe, John Webster, Lope de Vega, Tirso de Molina, Calderon : zéro.
. John Synge, George-Bernard Shaw, Sean O’Casey, Eugene O’Neill, Tennessee Williams, Arthur Miller : zéro.
. Goethe, Schiller, Büchner, Grabbe, Lenau, Wedekind, Max Frisch, Hugo Claus, Ostrovski, Witkiewicz, Gombrowicz : zéro.
. Garnier, Rotrou, Regnard, Lesage, Beaumarchais, Vigny, Dumas, Villiers, Maeterlinck, Crommelynck, Ghelderode, Armand Salacrou, Marcel Aymé, Jacques Audiberti, René de Obaldia : zéro.
. Henri Becque, Octave Mirbeau, Victorien Sardou, Tristan Bernard, Flers et Cavaillet, Édouard Bourdet, Marcel Achard, André Roussin : zéro.
. Brasillach : zéro (étonnant, non ? Cela dit, Sartre ne fait pas mieux).
. Labiche : une courte farce (Un jeune homme pressé) associée à une autre de Feydeau et une de Tchekhov. 
. Giraudoux : une seule pièce (Ondine), et seulement pendant la moitié du festival.
. Corneille : une seule pièce (L'Illusion comique) jouée par deux troupes, la première dans une adaptation « revisitée façon commedia dell’arte », la seconde dans une adaptation « dépoussiérée » par « l’esprit des Monty Python » : au secours.
. Claudel : une seule pièce (L'Échange).
. Racine : aucune vraie pièce, théâtre,festival d'avignon,festival off,intermittents du spectacle,jean vilar,subventions,création contemporaine,régis debray,jacques julliard,molière,maurice clavel,humoristes,théâtre de boulevard,guy debord,spectacle,mise en théâtre,adaptation,corneille,aristophane,andromaque,cité des papes,avignon,fabrice luchini,metteurs en scène,sexe,vulgarité,droidlomisme,bien-pensance,racisme,culpabilitétrois adaptations sans doute à fuir (une espèce de pot-pourri qui présente comiquement les onze tragédies, une transposition de Phèdre pour une seule actrice, et une transposition d’Andromaque pour deux acteurs, un Vietnamien et un nègre, qui se joue dailleurs dans une « salle Édouard Glissant », écrivain antillais et théoricien du métissage universel).
. Rostand : trois espèces d’adaptation de Cyrano, sans doute à fuir.
. Marivaux : une pièce secondaire (La Mère confidente), un pot-pourri et une adaptation.
. Tchekhov : un spectacle associant deux pièces mineures (La Demande en mariage et L'Ours), une adaptation de nouvelle et deux spectacles associant une saynète de Tchekhov et des saynètes d’autres auteurs.
. Mais du Molière, du Molière, du Molière, pitié ! 24 spectacles (22 pièces et 2 pots-pourris) à lui tout seul pour cet imposteur.
             Et à côté de ça : Nicolas Bedos, Didier Porte, Christophe Alévêque, Isabelle Alonso, Mustapha El Atrassi, Chraz, Gérald Dahan, Anthony Kavanagh, Chantal Ladesou, Sophie Forte, Gustave Parking, Julien Courbet, Jean-Michel Ribes, Laurent Baffie, Samuel Benchetrit, Michel Onfray, théâtre,festival d'avignon,festival off,intermittents du spectacle,jean vilar,subventions,création contemporaine,régis debray,jacques julliard,molière,maurice clavel,humoristes,théâtre de boulevard,guy debord,spectacle,mise en théâtre,adaptation,corneille,aristophane,andromaque,cité des papes,avignon,fabrice luchini,metteurs en scène,sexe,vulgarité,droidlomisme,bien-pensance,racisme,culpabilitéEtienne Chouard, l'affaire Dreyfus (à travers les lettres à sa femme), Didier Éribon (sociologue bourdieusiste et homosexuel), Karl Marx le retour par Howard Zinn (historien marxiste américain), l'assassinat de Jaurès (deux spectacles, centenaire oblige), Claire Etcherelli (Élise ou la vraie vie, vous savez, cette fable immigrationniste), Race(s) ou pourquoi l'homme blanc se prend-il toujours pour le Maître du monde [1]Pierre et Mohamed (l'amitié de l'évêque et du musulman), Adolf et Joseph (Hitler redescend sur terre et doit se montrer philosémite), Le Nazi et le barbier (roman d'Edgar Hilsenrath : un nazi qui devient plus juif que les juifs), Sophie Scholl (l’Allemande anti-nazie), Etty Hillesum (déportée à Auschwitz), l’increvable journal d’Anne Frank... Les vedettes du comique seul-en-scène et les militants de l’anti-France se sont tous donnés rendez-vous ici. Rires gras et bien-pensance gauchiste à tous les étages ! Avignon n’est pas le lieu du patrimoine théâtral vivant, mais c’est le lieu du spectacle vulgaire et du spectacle « citoyen ».
                 Il faudrait se demander si l’offre ne fait que s’adapter à la demande du public, ou bien s’il y a une offre première dans laquelle le public est prié de trouver satisfaction. Je laisse de plus savants que moi se pencher sur cette question-clef.
                Je note en tout cas que les spectacles durent presque tous entre une heure et une heure et demie, souvent une heure quinze, ce qui est court. Je présume que celà est dû à une contrainte économique : la plupart des salles jouent plusieurs spectacles dans la journée (certaines en enchaînent jusqu’à huit entre midi et minuit !, comme le Thy théâtre 12h, 13h30, 15h, 16h30, 18h, 19h30, 21h, 22h30, ça défile sans temps mort). Il faut donc que les spectacles soient brefs, pour en faire tenir le plus possible au même endroit. Rentabilité oblige ! C’est sans doute pour la même raison qu’on voit souvent des pièces classiques réadaptées pour être jouées par trois, ou deux, ou même un seul acteur : moins il y a d’acteurs sur l’affiche, plus ça rend le spectacle économique. Beaucoup de pièces sont jouées dans des sortes de "théâtre de poche", petites salles d'une cinquantaine de places avec scène étroite et décor rudimentaire, par des troupes d'acteurs plus ou moins amateurs : ce sont des spectacles plutôt sympathiques, et on peut tomber sur de bonnes surprises.
         Cependant je ne vois pas de facteur économique dans une tendance lourde du théâtre contemporain, massivement illustrée par le programme du festival non officiel 2014, comme on l’aurait parié : la mise en théâtre de textes non théâtraux. Eh oui, je vous l’ai caché jusqu’à présent, mais la vérité m’oblige à l’avouer : les grands auteurs sont là en nombre. Mais quand je dis les grands auteurs, je ne sous-entends pas les grands dramaturges, ceux qui ont spécialement écrit pour le théâtre, ceux qui sont connus avant tout comme des hommes de théâtre, ceux dont les textes ont naturellement vocation à être joués sur scène. Non. Les autres, au contraire. Ainsi cette année  les élus sont : Andersen, L'Arioste, Augustin d'Hippone, Bossuet, Hermann Broch, Blaise Cendrars, Albert Cohen, Arthur Conan Doyle, Julio Cortazar, Frédéric Dard, Pierre Desproges (son roman Des femmes qui tombent !), Dickens, Dostoïevski (spectacle d'après ses lettres !), Romain Gary, Maurice Genevoix, Khalil Gibran, Jean Giono, Ivan Gontcharov, Homère, Jack Kerouac, Joseph Kessel, Rudyard Kipling, Etienne de La Boétie, Roy Lewis, Jean-Patrick Manchette, Maupassant, Hermann Melville, Robert Merle, Patrick Modiano, Montaigne, Irène Nemirovsky, Pablo Neruda, la princesse Palatine (encore un spectacle d'après une correspondance ; il y a aussi les lettres de Victor Hugo et Juliette Drouet), Georges Perec, Charles Perrault, Jacques Prévert, Raymond Queneau, Rilke, Rimbaud, Saint-Exupéry, George Sand, Alan Sillitoe, Simenon, Roger Vercel, François Villon, Simone Weil, Eugène Zamiatine, Stefan Zweig, l'histoire de Gilgamèche, Les Mille et une nuits, Diderot (pas seulement Jacques le fataliste et l’Entretien avec la Maréchale de…, mais aussi les lettres à Sophie Volland !), Voltaire (certainement pas Mahomet ou Zaïre : mais Candide, cette pièce bien connue, dans une adaptation africaine), Guillaume Apollinaire (pas Les Mamelles de Tirésias, mais Alcools, évidemment), Aimé Césaire (pas La Tragédie du roi Christophe, mais le Cahier d'un retour au pays natal), Heinrich von Kleist (pas Le Prince de Hombourg mais sa nouvelle Michael Kohlhaas), Mérimée (pas une pièce du Théâtre de Clara Gazul, mais Colomba), James Joyce (pas Les Exilés, mais Ulysse, bien sûr), Boris Vian (Le Goûter des généraux ? Les Bâtisseurs d’empire ? non : Elles se rendent pas compte et un pot-pourri de je ne sais quels textes, associés à d’autres de Ramuz), Marcel Pagnol (La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, vous aviez deviné), Albert Camus (Caligula ? Les Justes ? mais non : La Chute et L'Étranger, enfin !), La Fontaine (les Fables : qui croyait que ce pût être l’une de ses six pièces ? Dailleurs personne ne les connaît), Cervantès (Don Quichotte, forcément, pas Le Siège de Numance ou Le Rufian bienheureux, quelle idée), Flaubert (Le Candidat ? vous avez perdu : Bouvard et Pécuchet, voyons), Louis-Ferdinand Céline (L'Église ? mais non, vous n'avez rien compris : le Voyage, quoi d’autre ?), Yourcenar (Électre ? Le Mystère d’Alceste ? décidément vous êtes stupide : les Mémoires d’Hadrien, réfléchissez).
           N’est-ce pas curieux, cette façon de vouloir mettre tout et n’importe quoi sur la scène ? Faut-il l’attribuer à la simple manie de la nouveauté ?: on part du principe que les pièces du répertoire sont toutes déjà connues, or on veut absolument de l’inédit, donc on va le chercher dans les endroits les plus inattendus, on se flatte à la fois de rendre hommage aux grands auteurs et d’apporter du nouveau en les présentant comme personne avant. Ou bien faut-il appeler à la rescousse Guy Debord et la notion de spectacularisation universelle ?: tout est spectacle, tout a vocation à être joué sur une scène, tout texte peut et doit être représenté, il n’y a pas de frontière entre les genres, le roman et la poésie sont aussi théâtraux que le théâtre. Et finalement, c’est le festival d’Avignon lui-même qui devient un gigantesque spectacle, offrant à voir la société actuelle dans ses travers, ses excès et sa vanité.

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[1] Voici le résumé officiel de ce spectacle, qui est en fait un sololoque : théâtre,festival d'avignon,festival off,intermittents du spectacle,jean vilar,subventions,création contemporaine,régis debray,jacques julliard,molière,maurice clavel,humoristes,théâtre de boulevard,guy debord,spectacle,mise en théâtre,adaptation,corneille,aristophane,andromaque,cité des papes,avignon,fabrice luchini,metteurs en scène,sexe,vulgarité,droidlomisme,bien-pensance« Quels sont les grands inspirateurs du nazisme ? Dans cette création originale François Bourcier (Lettres de Délation, Résister c’est Exister) met en scène et interprète avec le même talent et la même fougue, à travers leurs écrits, ces grandes figures américaines et européennes de l’histoire qui rêvaient d’offrir à un système économique, une vérité scientifique s’appuyant sur l’inégalité des races et la supériorité d’une « race » blanche, appelée à dominer le monde. Un rêve qui de l’esclavagisme à l’antisémitisme aboutira à la mise en place de la terrifiante solution finale. L’ère industrielle par la rentabilité du produit « humain » était ouverte !».  On voit bien l'idée : toute proclamation de fierté occidentale débouche inéluctablement sur la chambre à gaz. L'homme blanc est raciste par essence. Il transpire le génocide par tous ses pores.

PATRICK MODIANO, NOBEL FRANÇAIS DE LITTÉRATURE

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Patrick-Modiano.jpg          L’Académie suédoise vient de décerner le Prix Nobel de littérature à Patrick Modiano. C’est la fête : celà nous fait deux prix en sept ans, puisque Le Clézio l’avait eu en 2008. La France conforte sa place de première nation littéraire du Nobel, qu’elle détient presque sans discontinuer depuis le premier prix remis à Sully-Prudhomme en 1901[1], et avec quinze prix elle allonge un peu l’écart sur ses principaux poursuivants, les États-Unis à onze et le Royaume-Uni à dix[2]. Voilà qui tranche sur la période 1965-2007 : plus de quarante ans de vaches maigres, pendant lesquels nous n’eûmes qu’un seul prix dont nous enorgueillir, celui de Claude Simon en 1985, un lauréat du reste contesté, que d’aucuns tinrent pour plus calamiteux encore que la mise en quarantaine de notre littérature[3]. Cette longue disette tranchait avec la période précédente, faste s’il en fut : cinq prix en quinze ans, celui de Gide en 47, de Mauriac en 52, de Camus en 57, de Saint-John-Perse en 60 et de Sartre en 64. Et encore, il faudrait tenir compte que Valéry devait l’avoir en 1945, mais il eut la mauvaise idée de mourir trois mois avant ; qu’Anouilh faillit l’avoir en 1962 (pour ne pas couronner deux Français en trois ans, le jury préféra John Steinbeck à la consternation générale, même aux É.-U.A.) ; et que Malraux le manqua de peu plusieurs fois, sans doute pour des raisons politiques, de Gaulle n’étant pas très bien vu à Stockholm. À côté de bien d’autres éléments, le palmarès du Nobel de littérature nous rappelle que les années 50 furent encore une période d’hégémonie culturelle de la France, qui sur ce plan-là se remit très bien de la défaite et de l’Occupation. Si notre puissance politique subit un coup mortel en 1940, c’est seulement dans les années 60 que notre rayonnement littéraire, artistique et intellectuel commença à s’effriter, pour s’effondrer dans les années 70 et 80.
            Les deux prix de 2008 et 2014 sont-ils l’indice d’un regain ? Hélas, je ne le crois guère. Dabord, dès le début des années 90 (voire dès la fin des années 80 ?), j’entendais dire que Le Clézio (né en 1940) et Modiano (né en 1945) étaient les deux seuls qui survivraient dans cette génération, les deux seuls assurés de finir dans la Pléiade, les deux seuls ayant une chance au Nobel. Autrement dit, maintenant que nos deux seuls candidats ont été élus, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y en ait un troisième dans les prochaines années, et une nouvelle disette de vingt ans ou plus est fort envisageable. Car qui y a-t-il ensuite ? À part peut-être Michel Houellebecq, aucun auteur de moins de 60 ans ne semble avoir acquis une solide audience internationale. Songeons avec nostalgie à l’entre-deux-guerres et l’immédiat après-guerre : alors qu’ils avaient à peine atteint 45 ans, Giraudoux, Mauriac, Saint-John Perse, Cocteau, Cendrars, Morand, Montherlant, Malraux, Céline, Aragon, Éluard, Giono, Bernanos, Saint-Exupéry, Sartre, Camus paraissaient déjà, selon l’avis général, des classiques vivants, ayant pris place dans la galerie des auteurs majeurs de notre littérature, promis à être confirmés comme tels par la postérité. De qui peut-on avec assurance en dire autant aujourd’hui ? Entre les faiseurs de romances commerciales (le duo Marc Lévy et Guillaume Musso) et les écrivains confidentiels pour littéraires distingués (Pascal Quignard, Pierre Michon, etc), on ne voit guère de noms capables de s’imposer durablement jusqu’à prétendre à la plus prestigieuse distinction internationale, alors que la concurrence mondiale va être de plus en plus rude[4]. À moins peut-être qu’Éric-Emmanuel Schmitt, au nom de la promotion de l’écriture dramatique…
            L’autre raison est plus subjective, et je cours le risque d’être démenti par l’avenir, mais j’ai du mal à me convaincre de la haute valeur de MM. Le Clézio et Modiano, et je trouve les jurés Nobel bien généreux de les avoir couronnés, du vivant de romanciers aussi puissants que Philip Roth, Thomas Pynchon, Don DeLillo, Ismaïl Kadaré, Yachar Kemal, Umberto Eco, Antonio Lobo Antunes, Salman Rushdie ou André Brink[5]. Le premier de nos deux lauréats me paraît, du moins pour ce que j’en ai lu, une sorte de Pierre Loti pour bien-pensants de l’âge humanitaire, jamais à court de bons sentiments niaiseux ni de fades extases devant les beaux paysages : un Paulo Coelho sous couverture NRF, avec la reconnaissance universitaire que celà implique[6]. Du second, je suis estomaqué que Peter Englund, le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise, voie en lui « le Proust de notre temps ». Pour avancer une telle comparaison (autrement que sur le ton cynique de celui qui persiflerait que chaque époque a le Proust qu’elle mérite), il faut réduire Proust à n’être qu’un explorateur de la mémoire, comme s’il n’était pas aussi bien d’autres choses, et dabord un formidable démiurge. Tout à l’opposé, Modiano est un romancier minimaliste, qui fait ses livres avec des riens, et ce n’est même pas vraiment un romancier, car il ne construit guère d’intrigues et ne crée guère de personnages : il pratique plutôt ce détestable genre contemporain qu’on appelle l’autofiction, dont il est l’une des rares réussites. Il n’a quasiment rien fait d'autre que des petits récits d’atmosphère, où des narrateurs évanescents sont en quête de figures fantômatiques… C’est toujours un peu la même chose, et ce sont toujours les mêmes thèmes : la mémoire, le souvenir lancinant de l’Occupation, l’identité, l’errance dans Paris, la recherche du père, le brouillage du réel, la trahison… Naturellement, j’accepte qu’un écrivain tourne toujours autour des mêmes obsessions, et dailleurs je ne refuse pas de voir en Modiano un auteur au sens fort du terme :  mais l’obsession ne finit-elle pas par tourner chez lui au ressassement, et l’homogénéité de son univers ne débouche-t-elle pas sur une lassante monotonie ? Lire un Modiano de temps en temps, c’est une expérience qui n’est pas insignifiante, mais peut-on en lire plusieurs à la suite sans en être très vite saturé et préférer décidément des auteurs plus variés et des œuvres plus nutritives ? Ou d'une écriture plus raffinée : on vante son « style sobre et limpide », qualification qu’on emploie en général pour valoriser le non-style. Cette prose transparente, d'accès facile, doit sans doute très bien passer à la traduction (comme celle de Maupassant), mais ce n'est pas un gage de qualité, au contraire même. 
         Modiano me paraît par excellence un écrivain du mode mineur. Par « mineur », je n’entends pas mauvais comme le premier Marc Levy ou le premier Dan Brown venus, ni même médiocre comme ces Katherine Pancol ou ces Anna Gavalda que s’arrachent les lectrices jamais rassasiées de bluettes sentimentales. Je l’entends encore moins dans le sens politique proposé par Gilles Deleuze dans les années 70[7]. Les auteurs mineurs font partie de la grande littérature, mais à un rang secondaire : par rapport aux auteurs majeurs, qui ont acquis une importance incontournable dans l’histoire littéraire, et qui éclaboussent tous les yeux par l’ampleur de leur production, par la riche diversité de leurs écrits, par la force de leur génie et par l’éclat insoutenable de leurs chefs-d’œuvre, les auteurs mineurs font entendre une petite musique discrète dont le son très pur sera toujours reconnu par ceux qui ont de l’oreille. On appelle parfois « petits maîtres » ces auteurs qui n’ont pas de puissance créatrice, qui ne savent produire que de minces livres d’une humble ambition, le plus souvent très centrés sur leur expérience personnelle, mais qui se recommandent par l’excellence de leur style ou l’authenticité de leur voix. Il leur arrive de réaliser de petits joyaux qui brillent, dans l’ombre modeste où les amateurs savent aller les chercher, d’une lumière plus vive que bien des œuvres fameuses mais à demi ratées des grands auteurs, dont le vol d’aigle traverse forcément quelques trous d’air de temps à autre. Puisque j’ai déjà cité deux fois Angelo Rinaldi, je le citerai une troisième en lui empruntant une évocation de cette partie peu fréquentée mais vitale du grand jardin des lettres, que lui inspire le cas d’Alexandre Vialatte : « Les maniaques de la classification […] se demandent avec gravité quelle place Vialatte va occuper au juste, quand il sera définitivement tiré de l’ombre. Quand il aura dans toute la France – soyons hardi – autant de lecteurs que Camus dans une bourgade du Morvan. Sans aucun doute, on ne saurait le loger au même étage que Proust, Céline ou Beckett. Ce n’est que l’un de ces écrivains dits mineurs dans les manuels très scolaires, et que la passion des mots a conduit en tête du classement, dans sa catégorie. Mais n’est-ce pas déjà énorme ? Car, retirer de la littérature française les auteurs de son envergure – de Benjamin Constant à Paul-Jean Toulet et à Charles-Louis Philippe, en passant par Cocteau – équivaudrait à supprimer toutes les pièces du jeu d’échecs pour ne laisser que la Reine et le Roi. Celà rendrait la partie impossible, et il ne resterait qu’à inonder le damier de nos pleurs. »[8] La présence de Cocteau dans cette petite liste étonne un peu, mais qu’importe ici. On la complétera volontiers en ajoutant, par exemple, Eugène Fromentin, Marcel Schwob, André Suarès, Léon-Paul Fargue, Valéry Larbaud, Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau, Paul Gadenne, Henri Calet, Jean Reverzy, aujourd’hui Gabriel Matzneff, etc. Oui, Rinaldi a raison d’affirmer que ces auteurs mineurs sont indispensables à la littérature, à sa respiration, à son équilibre, à sa variété, de même qu’une équipe de foutebôle ne saurait être composée que de buteurs et de meneurs de jeu. Mais si les milieux récupérateurs ou les arrières-latéraux sont nécessaires, est-ce une raison pour leur décerner le Ballon d’or ? N’y a-t-il pas là un mélange des ordres qui n’aboutit qu’à brouiller les hiérarchies et augmenter la confusion générale ?
            Une des caractéristiques constantes du comité Nobel de l’Académie suédoise, c’est sa volonté d’honorer la littérature dans sa diversité, ce qui suscite une certaine incompréhension des médias et du grand public, qui s’attendent à ce que le prix Nobel ne consacre que les auteurs reconnus comme majeurs dans le genre qui écrase tous les autres depuis environ un siècle et demi, le roman. Aussi tient-elle à distinguer régulièrement des poètes forcément très peu illustres (pour me limiter aux trente dernières années : Jaroslav Seifert en 1984, Joseph Brodsky en 1987, Derek Walcott en 1992, Seamus Heaney en 1995, Wislawa Szymborska en 1996, Tomas Tranströmer en 2011), et, quoique moins souvent, des dramaturges (Dario Fo en 1997, Harold Pinter en 2005, et jadis G. Hauptmann, G.B. Shaw, Pirandello, O’Neill). Il semble que cette littérature en mode mineur, qu’on aurait du mal à définir précisément, fasse aussi désormais partie des genres d’expression, ou disons plutôt des catégories d’écrivains, que l’Académie suédoise entend soutenir et promouvoir : Imre Kertész en 2002, Herta Müller en 2009, la nouvelliste Alice Munro en 2013 et maintenant Modiano n’en relèvent-ils pas ? C’est une politique qui a sa légitimité et qu’on peut respecter, quoique je ne la partage pas[9]. Je me demande toutefois s’il ne faudrait pas voir là un symptôme d’une certaine mentalité contemporaine, qui a renoncé à toute ambition, déteste la prétention, ne croit plus au "génie", se complaît dans un minimalisme accessible à tout-le-monde. En somme, l’Académie suédoise aurait senti d’instinct que seuls des auteurs mineurs étaient vraiment accordés à une époque mineure…
            Ce n’est pas la seule raison pour laquelle le prix accordé à Modiano m’inspire une certaine gêne. On nous dit que Modiano est quasiment inconnu dans le monde anglo-saxon, d’où la perplexité avec laquelle la presse étrangère a accueilli l’annonce de son prix. Certes, on peut partir du principe que Modiano est un auteur très important, et en déduire qu’il y a là une preuve supplémentaire, parmi bien d’autres, que les États-Unis (et à moindre degré la Grande-Bretagne) vivent renfermés sur eux-mêmes, peu curieux du monde extérieur[10]. Cependant on peut aussi se demander si, à l’inverse, ce ne serait pas une preuve que les livres de Modiano sont terriblement franco-centrés et donc peu attractifs pour des étrangers : de fait Paris y joue un tel rôle, et le souvenir de l’Occupation y est si prégnant, qu’on se demande si quelqu’un qui ignorerait tout de l’histoire de France au XXe siècle peut entrer dans cet univers. Si encore il s’agissait d’un romancier social, à la Zola ou à la Tom Wolfe, qui ne nous laisse rien ignorer du milieu qu’il nous invite à explorer avec lui ! Mais chez Modiano, tout fonctionne par allusion, tous les signes sont flous. On pourrait presque dire que chez lui, les noms propres ne sont pas des "effets de réel", mais des effet d’irréel ! Or encore faut-il que lecteur connaisse ces référents historiques et géographiques pour bien sentir la brume d’irréel dans laquelle la prose modianesque les enveloppe. Le bref libellé de l’Académie suédoise qui justifie la désignation de Modiano est dailleurs ainsi rédigé : « pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation ». C’est une curieuse approche de la littérature que de mettre en avant la peinture d’une période historique : le mérite principal de Balzac et de Stendhal est-il d’avoir dévoilé la France de 1830, le mérite principal de Shakespeare d’avoir brossé un tableau de l’Angleterre à l’époque des Lancastre et des York ? Bien sûr, il y a aussi celà chez eux, mais un écrivain n’est pas un historien, et si son œuvre a une valeur documentaire sur une époque, c’est par surcroît. Et du reste, l’Académie suédoise se trompe : Modiano ne peint pas l’Occupation comme Proust la France du début du XXe siècle ou Zola celle du Second Empire. Pour comprendre l’Occupation par le roman, il vaut mieux relire Au bon beurre de Jean Dutourd, Les Forêts de la nuit de Jean-Louis Curtis, Le Chemin des écoliers de Marcel Aymé ou Mon village à l’heure allemande de Jean-Louis Bory. L’Occupation de Modiano est un souvenir, une atmosphère, une projection, un fantasme, un vertige, un cauchemar : ce n’est pas un cadre réel. On peut même affirmer que Modiano ne nous dévoile rien du tout de l’Occupation, mais énormément de la névrose mémorielle de l’Occupation dans la France des années 70 et suivantes, comme je le souligne dans ma note critique sur ses trois premiers récits. 
Or je fais partie de ces gens dont le patriotisme souffre beaucoup plus du cirque permanent de la repentance que des objets mêmes de cette repentance maladive (esclavage, colonialisme, affaire Dreyfus, Vichy, fachisme, tout ça). C’est pourquoi, devant cette célébrité planétaire qui s’abat sur Modiano, j’ai l’impression pénible qu’éprouvent les gens dont le honteux secret de famille se voit brusquement exposé en public. Cet enfant psychopathe qu’on exhibe malgré nous, oui, c’est bien notre rejeton ; inné ou acquis, son trouble mental vient bien de nous ; vous ne le saviez pas, mais nous vivons depuis si longtemps avec cette tare qu’elle fait partie de nous. En lisant Modiano, le monde entier va savoir que nous sommes toujours obsédés par ce que nous avons fait sous Vichy, que nous passons notre temps à nous tourmenter sur l’infamie des collabos et l'horreur du génocide juif. Bernard Pivot voit en Modiano un auteur « très français». Pour la forme, on peut en discuter. Mais pour ce qui est du contenu, c’est tragiquement vrai.

         Même en restant sur un plan strictement littéraire, en tant que Français passionnément attaché à la littérature française, les deux Nobel de Le Clézio et Modiano en sept ans me mettent mal à l’aise. Je crains qu’il ne faille y voir, non l’amorce d’un renouveau, mais le dernier écho d’une grandeur passée. Je crains qu’il s’agisse d’une reconnaissance exagérée et imméritée, qui sur le long terme nous discrédite plus qu’elle nous serve. Je crains qu’il y ait malentendu, méprise, erreur de jugement, cadeau plein de bonnes intentions mais sans grand discernement. Le Clézio et Modiano ont-ils vraiment été couronnés pour leurs mérites intrinsèques, ou bien ont-ils bénéficié de la francophilie des académiciens suédois[11], de leur remords de nous avoir presque oubliés pendant quarante-trois ans, de leur souci plus ou moins conscient de rendre un hommage régulier à la nation littéraire par excellence ? Tant que nous restions dédaignés, nous pouvions toujours nous cuirasser de mauvaise foi et plaider l’ignorance des étrangers, ou le préjugé anti-français, ou les arrière-pensées politiques, voire la rancœur déclenchée par le refus de Sartre. Mais maintenant que nous voilà projetés en pleine lumière, nous ne pourrons plus dissimuler notre médiocrité. Des milliers d’amateurs de littérature, encore prévenus en notre faveur par la gloire quasi hégémonique de nos lettres pendant des siècles, vont faire le même constat que nous après avoir lu quelques titres de Le Clézio et Modiano : « Quoi ! la littérature française contemporaine, ce n’est donc que ça ? »

 

Pour compléter cet article : trois notes de lecture sur les trois premiers livres de Modiano, La Place de l’étoile (1968), La Ronde de nuit (1969) et Les Boulevards de ceinture (1972).

 



[1] Pour les maniaques de précisions chiffrées : la France a été première exéquo avec l’Allemagne dès 1902 (l’historien Theodor Mommsen, un des nombreux choix déconcertants du jury), à nouveau seule première en 1904 (Frédéric Mistral, choix aussi discutable que celui de Sully-Prudhomme), à nouveau première exéquo en 1908 (le philosophe Rudolf Eucken, un des choix les plus contestables de l’histoire du prix, d’autant qu’il a été préféré à Swinburne qui ne l’aura jamais et Selma Lagerlöf qui l’aura l’année d’après). En 1910, l’Allemagne passe devant grâce à Paul Heyse (un des nombreux demi-inconnus de cette période décidément peu glorieuse de l’histoire du prix) et creuse l’écart en 1912 avec Gerhart Hauptmann (un dramaturge naturaliste important à l’époque mais bien oublié aujourd’hui). La France revient à une longueur en 1915 (Romain Rolland), se retrouve à nouveau première exéquo en 1921 grâce à Anatole France, prend seule la tête en 1927 (Henri Bergson, encore un choix insolite), se fait rejoindre une dernière fois dès 1929 (Thomas Mann), et doit attendre 1937 (Roger Martin du Gard) pour être enfin définitivement toute seule au sommet. Il n’y a donc qu’entre 1910 et 1920 que la France aura été la deuxième nation la plus primée.

[2]On peut cependant discuter de la pertinence d’une répartition des écrivains selon leur passeport, car il y a une nationalité littéraire qui n’est pas la nationalité juridique : ainsi la France pourrait légitimement revendiquer comme siens le Belge Maurice Maeterlinck, Nobel 1911 (qui a passé presque toute sa vie en France) et l’Irlandais Samuel Beckett, Nobel 1969 (né en 1906, il s’installe en France en 1938 jusqu’à sa mort en 1989, vit avec une Française et écrit ses œuvres majeures en français) ; inversement, il faut reconnaître que Gao Xingjian (2000) est beaucoup plus un écrivain chinois qu’un écrivain français (même si, depuis vingt ans, il a écrit plusieurs pièces en français). C'est pourquoi je considère qu'aucun écrivain français n'a eu le Nobel entre 1985 et 2008. Deux en plus et un en moins, celà nous ferait 16 lauréats au lieu de 15, encore qu’on puisse aussi nous retirer Frédéric Mistral qui a écrit en provençal (mais il se traduisait lui-même en français, et le provençal n’est-il pas une langue de France ?). Les États-Unis devraient avoir 9 prix au lieu de 11 : passe encore qu’on leur compte le poète russe Brodsky, Nobel 1987 (1940-1996), qui s’est exilé assez jeune (32 ans) et est en effet passé à l’anglais. Mais Czeslaw Milosz, Nobel 1980 (1911-2004), a beau s’être installé aux É.U.A. en 1961 et en avoir acquis la nationalité en 1970, il a continué dans son exil à écrire ses œuvres majeures en polonais : lui accorder les deux nationalités n’a pas beaucoup de sens littéraire ; quant à Isaac Bashevis Singer, Nobel 1978 (1902-1991), son installation aux É.U.A. et sa naturalisation sont plus précoces dans sa vie (1935 et 1943), mais il n’a pas cessé d’écrire en yiddish, et son œuvre romanesque a continué à être en majeure partie située dans la communauté juive de Pologne. Il serait plus pertinent de le classer parmi les écrivains israéliens (en tant qu’Israël est le foyer national virtuel des juifs du monde entier), ou même comme Milosz parmi les écrivains polonais, que parmi les écrivains états-uniens. Le Royaume-Uni peut à bon droit revendiquer l’Irlandais George-Bernard Shaw (1925), mais à l’inverse devrait céder les très cosmopolites Elias Canetti (1981) et Vidiadar Surajprasad Naipaul (2001). Le premier (1905-1994), né en Bulgarie de parents juifs espagnols, a certes vécu une trentaine d’années à Londres (en gros de 1939 à 1970), mais toute son œuvre est écrite en allemand. C’est un homme de la Mitteleuropa, qu’on pourrait considérer comme Autrichien (il vécut à Vienne de 1924 à 1938) ou Suisse alémanique (il vécut à Zurich pendant son adolescence, puis de plus en plus continument à partir de la fin des années 60). Le second, né à Trinité-et-Tobago de parents d’origine indienne, semble essentiellement marqué par l’Inde et par les Antilles. Difficile de trancher sur l’appartenance nationale d’un écrivain du monde multiculturel. Je le verrais, faute de mieux, comme un Indien de la diaspora, à l’instar de Salman Rushdie. Les Britanniques tomberaient donc de 10 à 9 lauréats. Mentionnons aussi que la poétesse juive Nelly Sachs, co-Nobel 1966 (1891-1970) est considérée comme suédoise parce qu’elle a vécu à Stockholm de 1940 à sa mort. Mais elle n’a pas cessé d’écrire en allemand : il faudrait donc la rattacher à l’Allemagne (qui passerait alors de 8 à 9 prix), ou peut-être à Israël, car son œuvre est très marquée par la judéité et le destin d’Israël (et saluée comme telle par le jury). On pourrait aussi discuter de la nationalité de Hermann Hesse, considéré comme Suisse : il a passé la majeure partie de sa vie chez les Helvètes, mais il est né en Allemagne, et en 1914 il s’est même présenté à l’ambassade pour se faire engager (en vain) ; sa culture n’est-elle pas beaucoup plus allemande que suisse ? Enfin il va sans dire (mais là il n’y a guère de débat) que Henryk Sienkiewicz (1905) doit être considéré comme Polonais et non comme sujet russe, de même que Rabindranath Tagore (1913) comme Indien et non comme sujet britannique. Enfin il serait aussi absurde de nier que l’apatride Ivan Bounine (1933) fût un écrivain russe, bien qu’il ait vécu en France de 1920 à sa mort en 1953. — Bien entendu, ma tendance à rattacher les écrivains à leur pays d’origine plutôt qu’à leur pays d’adoption (non sans exceptions : Beckett et Brodsky) n’est pas un hasard dépourvu d’implications politiques…

[3] Je pense en particulier à Angelo Rinaldi qui commit un article d’anthologie,  d’une rare cruauté, contre l’auteur de La Route des Flandres, dans L’Express du 25 octobre 1985. Il s’ouvre ainsi : « Après ‘Greenpeace’, Claude Simon… Le prestige de la France reçoit un second coup avec l’attribution du prix Nobel à l’écrivain le plus ennuyeux et le plus artificiel qui ait existé depuis la disparition de Casimir Delavigne. C’est à se demander si, après avoir ‘déstabilisé’ l’armée, on n’a pas cherché à s’attaquer à la littérature, les deux seules choses un peu sérieuses dans ce pays quand nous raisonnons à l’échelle des siècles. Jugée à partir des livres de Claude Simon, notre littérature, aux yeux du public international, ce sera non pas le ‘Bateau ivre’ de Rimbaud, mais le ‘Rainbow Warrior’, qui, après l’explosion, donne de la gîte. Au degré d’affliction où nous sommes, toutes les hypothèses se présentent à l’esprit. […] L’Académie de Stockholm serait-elle ‘infiltrée’ par le KGB comme certains mouvements pacifistes ? A-t-on cherché à confirmer le bruit selon lequel le roman serait définitivement mort ? ». Et se termine comme suit : [Un autre choix] « nous aurait, en tout cas, épargné cette situation qui met notre amour-propre à l’épreuve et dont on ne voit que trop l’issue : on a démissionné M. Hernu pour moins que celà, c’est à présent M. Lang que l’on s’apprête sans doute à renvoyer. Pas de doute, le roman français gît dans un cachot de Stockholm. Il sera aussi difficile de le tirer de là que les ‘époux Turenge’ des geôles d’Auckland. » (article recueilli dans Les Roses et les épines. 20 ans de critique littéraire à L’Express, Les Cahiers de l’Express, hors-série n°4, juin 1990, p. 78-79).

[4] Sur un total de cent-dix lauréats, la Chine n’en a eu que deux  (le naturalisé français Gao Xingjian en 2000 et Mo Yan en 2012), comme le Japon (Kawabata en 1968 et Kenzaburo Oe en 1994) ; l’Afrique noire n’en a encore eu qu’un seul (le Nigérian Wole Soyinka en 1986), comme l’Inde (personne depuis Tagore en 1913 !), la Turquie (Orhan Pamuk en 2006) et le monde arabe (l’Égyptien Naguib Mahfouz en 1988) ; l’Indonésie, la Malaisie, la péninsule indochinoise, la Corée, l’Iran : zéro. Il y a des balances à rééquilibrer ! (Au passage, on s’amusera de constater que la Suède en a eu huit (!), la Norvège et le Danemark trois chacun, la Finlande et l’Islande, un chacune : mais bien sûr, aucun scandinavocentrisme là-dedans…)

[5] Et encore ne mentionné-je pas quelques autres morts après 2008, et qui auraient donc pu l’avoir à la place de Le Clézio, comme Carlos Fuentes, Vassili Axionov, John Updike, Tom Sharpe, Dobritsa Tchossitch, Antonio Tabucchi, Barry Unsworth, etc.

[6]À la sortie du Chercheur d’or, Angelo Rinaldi exécuta Le Clézio dans des termes qui sont restés dans la mémoire des curieux de littérature contemporaine (L’Express, 22 février 1986) : « Le poseur taciturne des îles Sous-le-Vent a écrit de jolies nouvelles. Elles ne font pas oublier sa philosophie pour Signe de Piste et son lyrisme appliqué. […] Il est recommandé à un romancier de nicher sa fiction à l’intérieur d’un mythe universel – ici, la Toison d’or – mais l’abc du métier, si l’on prend ce parti, veut que l’on ne téléphone pas en PCV au lecteur pour l’en avertir. Ce que fait sans relâche M. Le Clézio, entre goyaves et cocotiers, dans un décor à mi-chemin de Paul et Virginie et de la vitrine aux fruits d’outre-mer de Fauchon.  N’adhérant jamais tout à fait à sa propre folie et se regardant vivre sans le moindre atome d’humour, Alexis perd son épaisseur de personnage et donne l’impression de se fatiguer plus à penser qu’à creuser le roc. Ses hymnes à l’innocence des paradis perdus aboutissent surtout à un exotisme d’exposition coloniale – dans le meilleur des cas, à du Saint-John Perse délavé. La sincérité de M. Le Clézio est d’ailleurs hors de discussion. Elle n’a d’égale qu’une naïveté bien étonnante de la part d’un écrivain depuis vingt ans à la tâche. C’est que sans doute il s’est pris terriblement au sérieux dans l’intervalle – ce sérieux qui est l’exact contraire du tragique, né des secousses d’une vraie sensibilité. » (article recueilli dans Les Roses et les épines. 20 ans de critique littéraire à L’Express, Les Cahiers de l’Express, hors-série n°4, juin 1990, p. 88-89). Sur Le Clézio, lire aussi cet excellent article de Pierre Jourde, qui tape dans le mille, comme souvent. 

[7] Son concept de « littérature mineure », développé à partir de notes assez ambigües de Kafka, se veut politique et subversif : il s’agit de promouvoir une littérature qui fasse entendre, dans une langue majeure, la voix des minorités opprimées par l’homme-blanc-européen-mâle-hétérosexuel-adulte-urbain-raisonnable. Voir G. Deleuze et F. Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Minuit, 1975. De mon point-de-vue, l’originalité et la force de l’imaginaire de Kafka, ainsi que son importance dans la littérature mondiale, font au contraire de celui-ci un auteur majeur.

[8] Sic pour « damier » : il aurait dû dire « échiquier ». Article paru dans L’Express du 11 novembre 1978, recueilli dans Les Roses et les épines. 20 ans de critique littéraire à L’Express, Les Cahiers de l’Express, hors-série n°4, juin 1990, p. 58.

[9] Je pense que la réputation du Nobel est telle qu’il doit laisser d’autres récompenses jouer le rôle de  prix de découverte, et se réserver celui de prix de consécration. (Et j’ai aussi une faiblesse pour les romanciers animés d’une ambition démiurgique, dont l’imagination débordante et l’invention verbale inépuisable laissent le lecteur pantois.) Si j’étais juré, je pousserais mes collègues à viser le consensus en ne couronnant que des auteurs déjà largement reconnus. Ainsi dans les années 70, j’aurais écarté Patrick White (73) , E. Johnson et H. Martinson (74), Vicente Aleixandre (77), Odysséas Elytis (79), et même Heinrich Böll (72) et Eugenio Montale (75), pour faire de la place à Borges et Nabokov, Graham Greene ou Anthony Burgess, Gracq ou Yourcenar, Italo Calvino ou Alberto Moravia, Ernesto Sabato ou Jorge Amado.

[10] Dailleurs en octobre 2008, le précédent secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, Horace Engdahl, avait déclenché un tollé outre-Atlantique en assumant le relatif dédain du comité Nobel à l’égard des écrivains états-uniens : « Il existe bien sûr des auteurs forts dans toutes les grandes cultures, mais on ne peut pas nier le fait que l'Europe soit toujours le centre du monde littéraire... pas les États-Unis [...] Les États-Unis sont trop isolés, ils ne traduisent pas assez et ils ne participent pas au dialogue des littératures. »

[11] Rappelons que l’Académie suédoise a été fondée en 1786, sur le modèle de l’Académie française, par le roi Gustave III, parangon du francophile des Lumières. Et Alfred Nobel (1833-1896) a vécu à Paris en 1850 et entre 1875 et 1890. C’est dans son laboratoire parisien qu’il a inventé la dynamite plastique. C’est encore à Paris qu’il a rédigé son testament, programmant l’institution d’un quintuple prix philanthropique, en 1895.

FILLON, LA POULE MOUILLÉE

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fillon.jpg            Je comprends mal cette affaire Fillon-Jouyet qui depuis quelques jours agite les médias et le « microcosme » politique. Français Fillon aurait déjeuné avec Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Élysée, le 24 juin dernier. Fort bien. Lors de ce déjeuner, Fillon aurait exhorté Jouyet à accélérer les procédures judiciaires en cours contre Nicolas Sarkozy, de façon à l’abattre en plein vol. Très bien ! Où est le problème ?
            Confusion des pouvoirs ? Restons sérieux. En aucun cas il ne s’agit que Sarkozy soit jugé et condamné à l’Élysée. Mais que je sache, les magistrats du parquet ont notamment pour fonction d’ouvrir et diriger des enquêtes judiciaires, ainsi que de mettre en œuvre la politique pénale du gouvernement. Les procureurs ne sont donc pas des juges indépendants, ce sont des agents du pouvoir exécutif. Ils sont aux ordres du Garde des Sceaux, et indirectement du Président de la République. Il est parfaitement normal et légitime que l’Élysée presse le parquet de tout mettre en œuvre pour faire juger un individu dangereux pour la Nation.
            Trahison à l’U.M.P. ? Arrêtons de jouer les enfants de chœur. Tout-le-monde sait bien que la vie politique n’est faite que de trahisons, de manœuvres, de crocs-en-jambe et de savonnages de planche. À supposer que Fillon ait réellement tenu à J.-P. Jouyet les propos que celui-ci a rapportés à deux journalistes (ce que ce dernier a publiquement nié, puis reconnu), il n’aurait rien à se reprocher. En quoi est-il répréhensible de vouloir que la machine judiciaire soit rapide, exigeante, efficace ? Si Sarkozy a violé la loi, alors il est normal et louable de souhaiter qu'il en soit puni ; s'il ne l'a pas fait, alors la justice le blanchira. Tout-le-monde a donc intérêt à ce que les procédures en cours aillent jusqu'au bout : même Sarkozy, car il vaut mieux s'en sortir par un acquittement éclatant que par un non-lieu en catimini. Fillon n’a pas agi contre la France, ni contre la morale, – ni même contre l’U.M.P., car il y a d’excellentes raisons de penser que Sarkozy ferait un très mauvais candidat pour son parti en 2017 : avec le triple handicap de son mauvais bilan, de sa personnalité insupportable à une large part de la population et de ses affaires judiciaires, plus son désir de revanche personnelle qui n’est pas un bon mobile en politique, il a de bonnes chances de mener son camp à la défaite. C’est donc rendre service à l’U.M.P. que d’écarter cet énergumène plus états-unien que français, même si les militants aveuglés par leur dévotion ne veulent pas l’admettre (quoi de plus bête qu’un militant ?) et semblent disposés à miser sur ce mauvais cheval.
            Le véritable problème dans cette affaire, c’est la lâcheté de François Fillon, tétanisé qu’on puisse l’accuser de trahison. Il a fait une première erreur en tentant une manœuvre en coulisses (à supposer qu’il ait vraiment dit à Jouyet ce que celui-ci a rapporté), alors qu’il aurait dû proclamer haut et fort qu’il souhaitait que la justice condamnât Sarkozy pour ses graves entorses à la légalité. Il fait maintenant une deuxième erreur en n’assumant pas ses propos, ou en ne profitant pas de l’occasion pour reprendre à son compte ce qu’on lui prête (ce qui revient au même). De quoi a-t-il peur ? D’être considéré comme un traître ? Mais c’est trop tard : quoi qu’il ait réellement dit, tout-le-monde à l’U.M.P. et au-delà est convaincu qu’il a bien exhorté Jouyet (donc Hollande) à « taper vite ». Et c’est bien normal, et c’est même plutôt flatteur : c’est la preuve qu’on voyait (bien à tort) en Fillon en homme déterminé dans son ambition, habile dans ses manœuvres, résolu dans son opposition à Sarkozy. Des qualités à porter à son crédit et dont il aurait pu s'enorgueillir, mais qu’il vient de repousser avec une rare sottise. Entre l'homme énergique décidé à pendre ses adversaires à un « croc-de-boucher » et la poule mouillée qui ne veut surtout pas qu'on puisse croire qu'il a prononcé ne serait-ce qu'une phrase pour stimuler l'action judiciaire, comment ne pas préférer le premier ? Quitte à passer de toute façon pour un traître, il y avait un bénéfice à en tirer. Mortellement blessé par son duel perdu avec Copé il y a deux ans, marginalisé par le retour de Sarkozy et l’ascension sondagière de Juppé, Fillon n’a plus beaucoup de cartes dans son jeu, et celle de poser à l’Anti-Sarkozy était l’une des dernières. Il n’en a pas voulu (à l’instar de Bayrou qui avait un espace pour poser à l’Anti-Chirac après la dissolution de 1997, ce qui aurait pu lui donner un destin présidentiel), et maintenant il perd sur tous les tableaux : ses farouches dénégations ne l’empêchent pas de passer pour un traître, mais sa prudente neutralité le maintient dans le rôle médiocre qui a été le sien entre 2007 et 2012 : un supplétif inutile de Sarkozy.

          Une lâcheté partagée en face, puisqu’il paraît que selon les confidences de Jouyet, Hollande à qui le message de Fillon avait été transmis, n’en aurait tenu aucun compte : « Non, non, on ne s’en occupe pas ». Mais quelle bande de mous-du-gland !  Une preuve de plus que nos politiciens manquent de caractère. Ils ont tellement peur de leur ombre qu’ils n’osent même pas se concurrencer réellement les uns les autres, et encore moins assumer publiquement cette concurrence.  

 


ATTENTAT CONTRE CHARLIE-HEBDO : LE DÉBUT DE L’ESCALADE ? (fiction uchronique)

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Ce matin, attentat islamiste sanglant contre Charlie-Hebdo. Douze morts, y compris des grandes figures droidlomistes comme Cabu et Wolinski. Ainsi, le jour même de la sortie de Soumission de Michel Houellebecq, les islamistes confirment tout ce qu’on pensait d’eux, en s’en prenant non pas aux patriotes qui veulent débarrasser la France de l’islam, mais au contraire aux droidlomistes qui ont tout fait pour les y installer... Il y a de ces nouvelles qu’on a du mal à appréhender, non pas parce qu’elles heurtent de plein fouet nos schémas mentaux, mais tout au contraire parce qu’elles confirment nos intuitions. À voir le réel s’identifier à la fiction, on doute d’être endormi ou éveillé, on se demande si on ne serait pas en train de vivre le premier chapitre d'un roman uchronique, qui serait au Camp des saints ce que Lovecraft est à Harry Potter. Il faut poursuivre ce roman uchronique, afin de se rassurer en constatant, par la comparaison, qu’il n’ira pas plus loin que cet incipit sanglant.

 

 

. Chapitre II : Attentat islamiste sanglant contre le siège du C.R.I.F. Départs massifs de juifs français pour Israël. Diffusion mystérieuse sur le net d’un enregistrement privé où Alain Finkielkraut déclare à deux amis : « J’exècre l’islam et je n’ai jamais pu blairer les arabes ». Une partie des médias condamne ces propos mais Le Figaro publie une tribune de Pascal Bruckner : « Je comprends la réaction humaine de mon ami Alain », et Me William Goldnadel se répand sur les radios et les télés en expliquant : « Finkielkraut a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas ».

. Chapitre III : Attentat islamiste sanglant contre le siège du Grand Orient. Communiqué de l’État islamique : « Ce n’est qu’un début ! La guerre totale est déclarée en France. Si elle n’intègre pas l’Oumma, elle se retrouvera à genoux. » François Hollande décide d’appliquer l’article 16 de la Constitution.

. Chapitre IV : Des notabilités d'extrême-droite, dont Alain Soral et Christian Bouchet, annoncent leur conversion à l'islam et déclarent rallier le djihad révolutionnaire pour l'éradication de la subversion cosmopolite moderne : « L'islam est la seule force de résistance active contre le maçonno-sionisme, qui est le véritable fléau mondial. La France et l'Europe ne s'en sortiront jamais si on n'extirpe pas le mal à la racine, et pour celà, le djihad est le seul recours. C'est la lutte à mort de Guénon contre Attali ! ». À l'inverse, des notabilités du P.S. et de l'U.M.P. annoncent leur ralliement au F.N. pour sauver l'Occident contre l'expansion de l'Islam : « Nous payons 40 ans d’erreurs et d’aveuglement. Le Pen avait vu juste depuis le début. Arrêtons de nous voiler la face, et osons dire publiquement ce que nous ne disions qu'en privé : on n'en serait pas là si on n'avait pas laissé entrer ces millions d'immigrés indésirables et inassimilables ».

. Chapitre V : La Grèce, où le parlement est partagé entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite, annonce qu’elle quitte l’euro. Dans les semaines suivantes, l’Italie, l’Espagne et le Portugal font de même. Jean-Claude Juncker fait une annonce solennelle avec toute la Commission européenne derrière lui : « Les pays qui se câbrent devant l'ordre européen devront se soumettre ou tomberont dans le néant. Quoi qu'il arrive, la marche vers l'intégration fédérale se fera sans faiblesse et sans recul. » Cette annonce maladroite suscite un tollé sans précédent dans toute l'Europe. Tous les éditorialistes estiment que la Commission s'est elle-même frappée à mort et ne s'en relèvera pas. Dans la majorité des pays membres de l’U.E., des sondages indiquent une majorité en faveur non seulement de la sortie de l’euro, mais aussi de la sortie de l’Union Européenne.

. Chapitre VI : Énorme attentat à la bombe contre la Grande Mosquée de Paris : 300 morts. On évoque la piste du Betar. Le successeur de Richard Prasquier à la tête du C.R.I.F., ancien patron de la L.D.J., déclare : « Qui sème le vent récolte la tempête ». La France est en état de guerre de religions : en moyenne, deux synagogues et deux mosquées sont plastiquées chaque semaine. Les troubles s’aggravent progressivement, et le pays entre peu à peu dans une phase d’insurrection permanente. Dans les banlieues de Paris, de Lyon, de Marseille et de Lille, les services publics ne sont plus assurés, suite à de multiples assassinats de policiers, de pompiers, d’infirmières, d’enseignants, d’employés municipaux, des détournements de bus, des pillages de trains, des sacs de bâtiments officiels. Le pape François et les cardinaux européens lancent un appel à la trêve civile, à l'amour des étrangers et à la réconciliation œcuménique : « Les musulmans sont nos frères, nous devons les accueillir, les héberger, les aimer. » Cet appel inopportun suscite une vague d'antichristianisme sans précédent. De nombreux prêtres sont assassinés par des militants nationalistes, et de nombreuses églises de banlieue, construites au XXe siècle (dont la cathédrale d'Évry) sont incendiées. La colère anticatholique gagne l'Italie, où les prélats considérés comme xénophiles sont systématiquement abattus par un groupuscule se réclamant de Nietzsche et d'Evola. Le pape François, face au désastre, décide de quitter Rome et de transférer le siège de la Papauté à Yamoussoukro (Côte-d'Ivoire), – ce que certains interprètent comme une réalisation de la prophétie attribuée à saint Malachie. 

. Chapitre VII : L’Allemagne s’embrase à son tour. Le mouvement Pegida appelle à la lutte contre l'islam « par tous les moyens ». En Angleterre, le Londonistan annonce ne plus reconnaître la Couronne et se rallier au Califat. Dans les banlieues des grandes villes européennes, de nombreuses communautés musulmanes font peu après la même déclaration. Une part de l'agglomération londonienne échappe à tout contrôle des autorités britanniques. En Italie, les bateaux remplis de migrants africains et orientaux, dès qu'ils sont repérés près des cotes, sont systématiquement coulés par des pirates qui se réclament d’un mouvement patriotique italien. Vladimir Poutine assure de son soutien les peuples européens décidés eux aussi à « buter les rebelles musulmans jusque dans les chiottes ».

. Chapitre VIII : Au Moyen-Orient, l’État islamique conquiert Baghdad. Les monarchies du Golfe sont en proie à des révoltes populaires qu’elles répriment dans le sang au Qatar et au Koweit, mais l’afflux des pèlerins paralyse celle d’Arabie séoudite. Le régime de Riyad s’effondre et les insurgés qui ont pris le pouvoir à La Mecque annoncent leur jonction avec le Califat. Vaste incendie révolutionnaire dans le monde musulman, où de nombreuses villes rejettent l’autorité de leur État et se livrent aux mains de rebelles locaux favorables au Califat. La plupart des pays musulmans basculent dans la guerre civile. En Israël, le nouveau Premier ministre, à la tête d’une coalition où les ultra-religieux juifs dominent, annonce qu’il a plusieurs missiles nucléaires pointés sur La Mecque et Médine, et qu’à la première agression contre les intérêts juifs, il réduira en cendres radioactives les villes saintes du Prophète.

. Chapitre IX : À Bruxelles, attentat contre la Commission européenne. Plusieurs commissaires figurent parmi les victimes, dont Jean-Claude Juncker. À Strasbourg, des milices fachistes françaises et allemandes, agissant de concert, incendient le bâtiment du Parlement européen. Angela Merkel, David Cameron, Matteo Renzi et Mariano Rajoy annoncent simultanément que la coordination entre leurs États sera plus étroite que jamais, mais que les institutions européennes sont « provisoirement suspendues » et que leur pays, recouvrant sa pleine et entière souveraineté, n’acceptera plus aucune injonction ni entrave venant d’une autorité supra-nationale. Leur cote de popularité remonte aussitôt en flèche.

. Chapitre X : François Hollande doit annoncer s’il s’aligne sur la décision de ses partenaires, ou s’il maintient la pleine appartenance de la France à l’U.E., mais il est assassiné par un déséquilibré, auquel on ne peut attribuer aucune motivation politique ni religieuse (jusqu’au bout, ce médiocre sera resté à côté des grands enjeux). Apprenant qu'il est Président de la république par intérim, Gérard Larcher succombe à une crise cardiaque. Le pouvoir est vacant : Manuel Valls confie en privé que « les leviers de commande ne répondent plus ». On murmure que l’armée et la police ne seraient prêtes à obéir qu’à un Président énergique « qui saurait prendre les mesures extrêmes exigées par la situation ». 

. Chapitre XI : Le patron du M.E.D.E.F. tient une conférence de presse. Il explique qu’à cause du dérèglement profond de l’activité économique, l’année 2015 se soldera par un million de chômeurs en plus, une croissance de -5%, une inflation de 15 %, « et si les Français ne se remettent pas immédiatement au travail, ce sera deux fois pire ». Un journaliste dans la salle hurle : « Mais on s’en fout, de votre croissance ! Tant mieux si vos profits s’écroulent ! », sort son révolver et abat Pierre Gattaz. C’est un altermondialiste qui a sa carte de presse au Monde diplomatique. Il est arrêté par la police, mais délivré deux heures plus tard par une foule en colère qui prend d'assaut le commissariat où il était placé en garde en vue. C'est le signal d'une vaste contestation anticapitaliste. Les entreprises multinationales d'origine états-unienne, comme McDonalds, Nike, Disney, Exxon, Coca-Cola, Procter & Gamble, considérées comme responsables de la crise et de la destruction des sociétés européennes, sont massivement boïcottées. B.-H.L. se fait entarter, et dans son éditorial du Point, il s’inquiète : « Jusqu'où s'arrêtera l'escalade ? »

. Chapitre XII : Une base américaine de l’O.T.A.N. en Turquie se fait bombarder par un tir de missiles venant de l’Europe de l’Est, sans que sa provenance soit identifiable (Russie ? Ukraine ? Hongrie ?). Barack Obama se déclare « prêt à intervenir pour rétablir l’ordre en Europe, et ailleurs s’il le faut ». La Chine, se croyant menacée, annonce qu’elle vend ses bons du Trésor états-uniens. La bourse de Wall Street s’effondre, l’économie des E.U.A. s’écroule avec une brusquerie et une ampleur aussitôt perçues comme dix fois pires qu’en octobre 1929. La Chine profite du désordre général pour s’emparer de Formose et de toutes les îles Spratley, mais rassure le Japon en lui certifiant qu’il n’a rien à craindre d’elle, et lui offre même de rejoindre son alliance militaire et économique avec la Russie. Le Japon reste neutre en attendant la suite des évènements, tandis que les E.U.A., en proie à la guerre civile à leur tour, doivent fermer presque toutes leurs bases militaires dans le monde : l'État fédéral, dédaigné par les Latinos qui vivent et pensent en espagnol, et rejeté à la fois par les banlieues nègres et par les anciens États confédérés rejoints par ceux du centre-ouest, doit s'employer à reconquérir son propre territoire comté par comté.

. Chapitre XIII : On apprend que les auteurs de l'attentat contre Charlie-Hebdo ont été manipulés par l'agent littéraire de Michel Houellebecq, qui voulait faire le beuze pour doper les ventes de Soumission.

HIER CHARLIE-HEBDO, ET DEMAIN ?

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            La nouveauté de l’évènement d’hier, cette terrible fusillade dans les locaux de Charlie-Hebdo, c’est la conjonction, inédite me semble-t-il, entre l’attentat ciblé et la tuerie collective.
 
             Depuis l’antiquité il y a toujours eu des assassinats idéologiques de célébrités. Si on met à part ceux qui ont visé les chefs d’État, on peut penser par exemple à la philosophe païenne Hypatie en 415, à Marat en 1793, à l’archevêque de Paris Mgr Sibour en 1857, au patron de Renault Georges Besse en 1986, au réalisateur néerlandais Théo Van Gogh en 2004, etc.
           Au XIXe sont apparus des attentats aveugles, la pose d’une bombe permettant de tuer d’un coup plusieurs personnes, passants infortunés se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment : on pense bien sûr aux actions commises par les nihilistes russes et les anarchistes français. À partir de 1989, on a vu se multiplier, dans les établissements scolaires d’Amérique du nord (dont celui de Colombine est le plus fameux), des fusillades au hasard. Ces tueries à l’arme-à-feu, qui sont en général des massacres gratuits et suicidaires perpétrés par de purs psychopathes, ont été imitées en Europe par des criminels d'un type un peu distinct, mi-psychopathes mi-terroristes : ainsi Richard Durn à Nanterre en 2002, Anders Breivik à Utoya en 2011, Mohammed Merah à l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse en 2012, Mehdi Nemmouche au musée juif de Bruxelles en 2014, etc. Malgré la différence du mode opératoire, du profil et de la motivation des auteurs, on voit bien que la fusillade aveugle n'est fondamentalement qu’une variante de l’attentat à la bombe : dans les deux cas, le (ou les) terroriste(s) ignore(nt) à l’avance l’identité et le nombre de leurs victimes, et il(s) souhaite(nt) qu'il y en ait le plus possible. Il y a deux semaines, à Dijon et à Nantes, deux attaques successives de piétons percutés par des véhicules, faisant à chaque fois une douzaine de blessés, ont pu faire croire à l’invention d’un troisième mode d’attentat analogue, inspiré quant à lui du jeu vidéo Carmageddon. Si le cas de Nantes reste à ce jour obscur, celui de Dijon a une dimension idéologique évidente (port de djélaba, cri « Allahou Akbar », déclaration d’un élan de sympathie pour les enfants de Palestine et de Tchétchénie), qui peut très bien se combiner avec le dossier psychiatrique du protagoniste au lieu d’être annulée par celui-ci, comme le prétendent de façon lénifiante le Gouvernement et le procureur. Cependant, à ce jour, ce nouveau mode de massacre terroriste n’a pas encore fait d’émules.   
 
            Assassinat ciblé et attentat aveugle : ces deux types de crime, apparemment opposés, ont été réunis en un seul hier. Les frères Saïd et Chérif Kouachi avaient l’intention arrêtée d’abattre Charb, et peut-être aussi tel ou tel autre dessinateur : on a donc un assassinat ciblé. Par contre la mort de l’employé du journal, de l’agent de nettoyage, de l’invité auvergnat, des deux policiers (et sans doute celles de Bernard Maris et d’Elsa Cayat), et la blessure de dix autres, n’avaient pas été nominalement programmées : ces victimes ont eu le malheur de se trouver en face des tueurs. On a donc aussi un attentat aveugle.
             Mais un attentat aveugle dont les victimes ne sont pas n’importe qui. Cabu et Wolinski sont deux monuments du dessin satirique en France depuis un demi-siècle, connus de presque tous les Français. Charb, Tignous, Honoré, Bernard Maris, le journaliste blessé Philippe Lançon, sont des noms bien connus de tous ceux qui suivent l’actualité. Rien à voir avec les anonymes passants de la rue Copernic (1981), les passagers du métro de la station Saint-Michel (1996) ou même les membres du Conseil municipal de Nanterre (2002).
              Ce qui est saisissant dans cet évènement, c’est qu’en éliminant d’un coup six célébrités, il a, pour la première fois dans l’histoire contemporaine, ouvert la voie à l’idée d’une purge sanglante des gens détenant un certain pouvoir et considérés à ce titre, par certaines portions de la population, comme des nuiseurs. À chacun d’entre nous sans doute il est déjà arrivé de penser à un petit groupe de gens importants pour lequel nous avons une antipathie voire une aversion décidée (le gouvernement, les dirigeants de tel parti politique, les collaborateurs de tel média, les animateurs de tel groupe de pression, les responsables de telle grande entreprise, etc), en se laissant aller à un fantasme vengeur : « Ah, tiens, s’ils pouvaient tous se trouver ensemble dans un avion qui s’écraserait, ces salauds, on serait bien débarrassé ! ». Mais ce genre de fantasme n’est qu’un petit délire momentané, qui sert à préserver notre hygiène psychologique dans une parenthèse d'irritation. Nous n’émettons pendant quelques secondes un vœu de mort que pour évacuer notre bile et apaiser notre courroux, et celà ne signifie pas que nous souhaitions réellement la mort de ces gens. Leur mort symbolique, dans notre cinéma mental, nous suffit. Nous serions dailleurs parfaitement satisfaits s’ils prenaient leur retraite demain sans plus jamais faire parler d’eux. Et même, si nous nous trouvions, dans la réalité, en face de l’un de ces maudits nuiseurs publics qu'en paroles secrètes nous expédions allègrement dans un enfer virtuel, sans doute serions-nous plus enclins à essayer de discuter avec lui qu’à lui cracher au visage.
             Mais depuis hier, l’idée d’une purge sanglante d’un groupe de (supposés) nuiseurs célèbres, éliminés ensemble, d'un coup, par une seule rafale de mitraillette, cette idée si soulageante et si terrifiante ne relève plus du pur fantasme hygiénique. Ce genre de petit délire mi-pervers mi-blagueur appartient aussi à la réalité : il y a maintenant un précédent. Ça pourrait avoir lieu demain, puisque ça a eu lieu hier. La brèche ayant été faite, on peut s’attendre à ce que l’idée de refaire le même coup germe désormais dans certains cerveaux fragiles. Les conférences de rédaction, les séances de bureau politique, les conseils d'administration, les loges maçonniques ont intérêt à se tenir derrière des portes blindées ! Nul ne sait si l’actuelle « oligarchie » est destinée à subir un jour un renversement brutal et intégral, comme le rêvent d'aucuns, persuadés que nous sommes en 1788. Mais toutes les figures de la classe politico-médiatique ne mourront sans doute pas dans leur lit.

 

P.S. : Une autre question que pose cet attentat islamiste, c'est son effet sur les consciences de ceux qui ont une mauvaise opinion de l'islam. Bien sûr, pendant quelques jours, et même quelques semaines, il y a aura une solidarité totale avec les victimes de Charlie-Hebdo. La France et les Occidentaux vont faire bloc derrière eux, au nom de la cause sacrée de la liberté d'expression. Mais ensuite ? Qui peut être certain que la critique du fanatisme islamique et la satire de la dévotion musulmane resteront aussi acerbes ? Salman Rushdie et Robert Redecker persécutés, Theo Van Gogh, Charb et ses amis assassinés... celà va en faire réfléchir plus d'un : derrière les mâles rodomontades d'hier, y a-t-il vraiment tant d'aspirants au martyre que ça parmi nos « faiseurs d'opinion » ? Il y a deux ans, j'avais épinglé une déclaration d'Élie Semoun, qui avouait candidement qu'il préférait ne pas traiter ce sujet pour éviter de finir égorgé, montrant par là que la terreur régnait déjà dans les têtes : un document à relire !

DE LA GUERRE DES ÉTOILES À STAR WARS : L’EMPIRE ATTAQUE ET GAGNE

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            La saga de George Lucas est un bon repère pour suivre la colonisation culturelle croissante de la France par les É.-U.A. Quand la première trilogie est sortie, en 1977, 1980 et 1983, le premier épisode et la série ont été traduits, selon la norme habituelle, et diffusés sous le titre de La Guerre des étoiles (un titre qui est dailleurs une adaptation, puisque la traduction littérale aurait dû être : les guerres de l’étoile [1]). Le titre anglais Star wars était alors peu connu en France et encore moins usité, faisant passer ceux qui l’employaient pour des snobes ou des frimeurs.
            Une génération plus tard, le changement est sensible : Le producteur états-unien diffuse le premier volet (1999) puis les deux suivants (2002 et 2005) sous le titre original générique de Star wars, selon le nouvel usage, de plus en plus répandu, consistant à ne pas traduire les titres de films (ce que les Québécois continuent néanmoins de faire, vaille que vaille [2]). Malgré la loi Toubon, les Français, de plus en plus aplatis devant tout ce qui vient des États-Unis, laissent faire, si bien que le producteur gagne son pari linguistique haut la main. Ce choix était pourtant commercialement risqué, du moins apriori, si l’on ne tenait pas compte de l’assentiment des Français à leur domination coloniale [3] : il obligeait en effet le public français à faire l’effort de changer de dénomination, puisque l’expression « la guerre des étoiles » était massivement connue et employée pour désigner la saga. Il était en outre incohérent, puisque les titres des trois nouveaux épisodes continuaient à être traduits (La Menace fantôme, L’Attaque des clones, La Revanche des Sith). L’expression française et l’expression anglaise ont cohabité dans les bouches de nos compatriotes à la sortie du premier épisode et un peu après. Mais le rouleau compresseur du nom officiel l’a bien évidemment emporté sur l'ancien nom d’usage : la puissance du réel imposait de s’aligner sur le titre employé sur les affiches et relayé docilement par les médias. La colonisation mentale et culturelle des Français par les É.-U.A. était devenue si écrasante que les chances de maintenir dans l’usage le titre français étaient très faibles. Ceux qui continuaient à parler de « la guerre des étoiles » passaient de plus en plus pour des ringards, maladivement ou sénilement accrochés à un ordre révolu.
            Dans les années qui ont suivi, la commercialisation des films en DVD, leurs diffusions à la télévision, les produits dérivés, la « culture internet » qui s’est développée autour de la série, tout a définitivement imposé l’étiquette générique de Star Wars. Le tout premier épisode lui-même, celui qui a lancé la série et imposé l’expression « la guerre des étoiles » pendant une génération, a été rebaptisé en 2000 Un nouvel espoir, faisant disparaître le premier titre français dans le néant. À l’heure où paraît un septième épisode de ce qui sera peut-être une ennéalogie, la concurrence entre l’expression française et l’expression anglaise, encore sensible il y a quinze ans, est définitivement caduque. Les nouvelles générations ne connaissent même plus l’expression « la guerre des étoiles » qui fut si populaire chez leurs parents. En moins de trente ans, les Français, qui étaient encore un peuple culturellement fort et rayonnant, passant spontanément au tamis de leur propre langue ce qui venait de l’étranger, se sont métamorphosés en un peuple faible, se laissant imposer tel quel ce qui vient de l’étranger pour mieux se laisser modeler par lui [4]. Il leur est devenu si naturel de s’adapter aux autres qu’ils ne comprennent même plus qu’on puisse, qu’on ait pu, adapter les autres à soi. Car on ne parle là que de la simple traduction d'un titre, certes pas d'une réécriture de l'œuvre entière pour la refaçonner par le moule local, comme Ducis, Vigny et d'autres l'ont fait avec quelques pièces de Shakespeare, ou comme les États-uniens le font de temps en temps avec certains de nos films, ainsi À bout de souffle ou Trois hommes et un couffin, refactures qui, exportées à leur tour, deviennent parfois des succès ici, ô comble de l'américanophilie !, ainsi Le Clochard de Beverly Hills, très médiocre adaptation de Boudu sauvé des eaux. À l'instar des Romains dans l'Antiquité, les États-uniens importent peu de choses telles quelles, mais ils adaptent énormément tout ce qui vient d'ailleurs. Ils se nourrissent du monde entier, mais en l'américanisant, comme les Romains romanisaient et comme les Français francisaient, du temps où ils avaient une culture forte. Or les Français d'aujourd'hui ne comprennent plus qu'on puisse franciser quoi que ce soit, fût-ce un titre de film. Ce n’est pas seulement qu’ils désapprouvent cette attitude, c’est qu’ils ne parviennent même plus à en saisir le bien-fondé. La démarche de l’assimilation de l’étranger, que cet étranger soit un mot, un produit culturel ou un individu, leur est devenue une aberration impensable. Ils sont tellement xénophiles qu'ils ne savent plus être eux-mêmes.
            On peut rêver au réveil de la Force française… mais je crains que l'Empire (américain) n'ait définitivement vaincu la république (française), et que notre peuple tout entier n'ait basculé à jamais dans le côté obscur.

 

 

[1] Rappelons aussi que le personnage de Darth Vader a été rebaptisé Dark Vador : un nom qui reste à consonance anglaise, mais qui sonne plus méchant pour une oreille française. Cette légère transformation du nom montre que les traducteurs, en 1977, s’octroyaient encore une certaine liberté d’adaptation des noms propres. Certes, on était déjà très loin de l’interpretatio gallica, qui francisait sans vergogne les noms de personne grecs (Thoukudides devenant Thucydide), les noms de personne latins (Julius Caesar devenant Jules César, Titus Livius devenant Tite-Live), les noms de personne italiens (Francesco Petrarca devenant François Pétrarque, Niccolo Machiavelli devenant Nicolas Machiavel), les noms de personne anglais (Buckingham devenant Bouquinquant, même si ce nom ne s’est pas imposé), les noms de personne russes (Vassili devenant Basile), les noms de lieu italiens (Firenze devenant Florence, Torino devenant Turin), les noms de lieu espagnols (Zaragoza devenant Saragosse, La Coruna devenant La Corogne), les noms de lieu anglais (London devenant Londres, Canterbury devenant Cantorbéry), les noms de lieu allemands (Regensburg devenant Ratisbonne, Bayern devenant Bavière), les noms de lieu russes (Belarous devenant Biélorussie, Moskva devenant Moscou), etc. Mais il en restait encore l’ombre…

[2] Souvent, les Québécois se contentent d’une traduction pure et simple du titre, démarche d’une simplicité et d’une évidence qui ne peut que nous couvrir de honte : ainsi Independance Day est-il pour eux Le Jour de l’indépendance ; - Jurassic Park : Le Parc jurassique ; - Kill Bill : Tuer Bill ; - Mars Attacks ! : Mars attaque ! ; - Men in Black : Hommes en noir ; - Scary Movie : Film de peur ; - Seven : Sept ; - Taxi Driver : Chauffeur de taxi ; - Terminator : Terminateur ; - The Social Network : LeRéseau social ; - Toy Story : Histoire de jouets, etc. Pourquoi ne sommes-nous pas capables d’un geste aussi élémentaire ? Faut-il que nous soyons descendus au dernier degré de l’avilissement pour que le colonisateur nous vende sa camelote sous sa propre enseigne, et pour que nous l’achetions avec encore plus d’enthousiasme que si elle nous était proposée sous une étiquette française ! D’autres fois, les Québécois recourent à une très légère adaptation, que ne peut qu’approuver un esprit doté d’un peu de bon sens et d’un peu d’habitude de la traduction (même si certaines sont améliorables) : ainsi Apocalypse now est-il pour eux C’est l’apocalypse ; - Big Fish : La Légende du gros poisson ; - Chicken Run : Poulets en fuite ; - Dirty Dancing : Danse lascive ; - Fast and Furious : Rapides et dangereux ; - Ghost : Mon fantôme d’amour ; - Inglourious Basterds : Le Commando des bâtards ; - L.A. Confidential : Los Angeles interdite ; - Missing : Porté disparu ; - Pretty Woman : Une jolie femme ; - Pulp Fiction : Fiction pulpeuse ; - Raging Bull : Comme un taureau sauvage ; - Scream : Frissons ; - Starship Troopers : Les Patrouilleurs de l’espace ; - The Game : Jouer avec la mort ; - Trainspotting : Ferrovipathes, etc. Enfin il arrive que les Québécois, constatant l’impossibilité d’une pure traduction et l’insatisfaction d’une légère transposition, s’éloignent délibérément de l’original pour en donner une libre adaptation. Cette pratique est légitime et de fait, beaucoup de titres littéraires ne ressemblent que peu à l’original. Jules Castier a fort bien fait de rebaptiser Le Meilleur des mondes, par allusion à Candide, le roman d’Aldous Huxley dont le titre anglais, Brave new world, plus faible, fait référence à un vers de Shakespeare qu’on ne connaît pas ici ; et Marc Saporta a aussi eu du nez en rebaptisant Paris est une fête le livre de souvenirs d'Hemingway dont tout-le-monde a entendu parler depuis un mois et qui est paru en anglais sous le titre A Moveable Feast. Au cinéma, Stagecoach a été jadis transformé en La Chevauchée fantastique, et The Deer Hunter, naguère, en Voyage au bout de l’enfer. Là où nous avons maintenant lâché prise, les Québécois s’obstinent dans cette salubre attitude et quand, toute honte bue, nous gobons sans protester American History X, ils le filtrent en Génération X-trême ; - American Pie : Folies de graduation ; - Breaking the Waves : L’Amour est un pouvoir sacré ; - In the Mood for Love : Les Silences du désir ; - Mafia Blues : Analyse-moi ça ! ; - Ocean’s Eleven : L’Inconnu de Las Vegas ; - Saw : Décadence ; - Total Recall : Voyage au centre de la mémoire, etc. Bien sûr, ces inventions ne sont pas toutes aussi magistrales que Le Meilleur des mondes, et plusieurs font sourire, ainsi qu’on le constate avec désolation ici ou , ou encore ou . Mais les faciles sarcasmes dont beaucoup de Français accablent ces titres, quand ils en prennent connaissance, ne font que témoigner de leur bassesse et de leur servilité. Ils se gaussent du ridicule de ces titres, sans voir que ce sont eux qui sont ridicules, ces aliénés à qui leur propre langue paraît risible, ces collabos qui mériteraient au minimum le camp de rééducation linguistique. S’ils habitaient encore leur culture, n’importe quel titre français leur paraîtrait plus beau qu’un titre étranger, et au lieu de s’acharner mesquinement sur ces titres maladroits, ils seraient émus devant ces admirables actes de résistance, dont on trouvera une liste ici. (Par ailleurs, il va sans dire que les titres des séries télévisées sont aussi traduits au Québec. Ainsi Desperate Housewives y est-il Beautés Désespérées ; - Prison Break : La Grande évasion ; - Star Trek : Patrouille du cosmos, etc. Liste ici.)

[3] Le comble de la servilité coloniale est atteint quand un titre anglais est rebaptisé pour le public français par… un autre titre anglais. Ainsi The Hangover, que les Québécois ont transposé en Lendemain de veille, est-il devenu en France Very Bad Trip. Honte, honte, honte.

[4] On notera qu’en même temps que la deuxième trilogie de George Lucas, le cinéma nous a proposé une autre trilogie fantastique, celle du Seigneur des anneaux, sortie en 2001, 2002 et 2003. Si le producteur n’a pas osé agresser le public français par le titre original The Lord of the Rings, c’est sans doute parce que le roman de Tolkien était déjà connu depuis trente ans sous un titre français. Mais on notera qu’en 2011, Orange puis Canal+ ont diffusé la série télévisée Game of Thrones, alors que depuis 1998 la série romanesque de George R.R. Martin est publiée et bien vendue en librairie sous le titre de Le Trône de fer. C’est donc que, contrairement à ce qui avait encore cours en 2001, même la notoriété du titre français d’un roman étranger ne suffit pas à garantir que l’adaptation filmée soit donnée sous ce titre français plutôt que sous le titre anglais original. Depuis quelques années, les éditions Pygmalion et la collection de poche J’ai Lu restent fidèles au titre générique Le Trône de fer, mais elles impriment au bas de la couverture le titre de la série télé Game of Thrones, afin de bien attirer tous les fans de celle-ci. On peut craindre que, un jour ou l’autre, le titre anglais ne se substitue purement et simplement au titre français sur la couverture des livres.

ALAIN DECAUX EST MORT, ET POUR LONGTEMPS

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Alain Decaux.jpg               Alain Decaux est mort. Au petit jeu du « Qui va rester ? Qui sera oublié ? », je parierais volontiers qu’il ne restera rien d’Alain Decaux dans un siècle, et même dans un demi-siècle, et peut-être même dans un quart-de-siècle. Dailleurs, autant il a marqué les 45 ans et plus, autant j’ai l’impression qu’il était déjà totalement inconnu des jeunes générations [1].
          Né en 1925, Alain Decaux était un vulgarisateur de l’Histoire, mais il n’était rien d’autre. Avec beaucoup de talent, ce grand admirateur d’Alexandre Dumas a fait aimer l’histoire à deux ou trois générations de Français, par la radio, par la télévision et par ses livres. Ce n’est pas un mince mérite. Il a sans doute éveillé beaucoup plus de vocations d’historiens que Fernand Braudel ou Jacques Le Goff ! Mettons aussi au crédit de cet homme très affable et appelant la sympathie que, dans les années 70, il a fait partie de ceux qui commençaient à s’alarmer de l’effondrement de l’enseignement de l’histoire [2], et qu’il a fait de son mieux, pendant trois ans, en tant que ministre de la francophonie.
            En lisant ce titre en tête d’un article du Point : « Les Français perdent leur prof d’histoire », j’ai cependant pensé à la fameuse une de Libération le 18 octobre 1983 : « La France perd son prof ». De Raymond Aron à Alain Decaux, quelle chute… Mais nous pouvons encore tomber plus bas ! Le nouveau prof d’histoire préféré des Français, n’est-ce pas Lorant Deutsch ?
                Professeur d’histoire dans les médias, Decaux n’était pas un historien, et cela doit être répété avec force. Il n’a jamais rien ajouté à nos connaissances, et il n’a jamais renouvelé l’interprétation de quoi que ce soit. Bainville non plus n’ajoute rien à nos connaissances, mais Bainville est une intelligence lumineuse : on le lit toujours avec profit, car il nous permet de mieux comprendre ce que nous savions déjà. Or quand on n’est pas ignare, il n’y a rien à tirer d’un livre d’Alain Decaux, ni connaissance ni réflexion. On a souvent comparé Decaux avec G. Lenotre (1855-1935), le maître de la « petite histoire », mais la comparaison est tout-à-fait inadéquate. G. Lenotre était avant tout un spécialiste de la Révolution française, à laquelle sont consacrés la plupart de ses livres, alors que Decaux abordait toutes les époques avec la même superficialité, de Spartacus à J.F. Kennedy. Surtout, G. Lenotre était un authentique historien, c’est-à-dire quelqu’un qui enrichit notre savoir. Inlassable débusqueur d’archives, il s’attachait à redonner vie à des anonymes et des oubliés. Une histoire très « petite », des petits personnages et des petits faits, mais inconnus avant lui, et qui, à défaut de faire comprendre la genèse du présent, permettent au moins d’éclairer de façon inédite le quotidien du passé, et même de donner de la substance au vécu de nos ancêtres. G. Lenotre était dailleurs complètement englouti il y a vingt ans, mais il semble remonter à la surface : on trouve à nouveau ses livres en collections de poche. Grasset propose trois titres dans « Les cahiers rouges », Perrin un en « Tempus », et « Texto » de Tallandier a ressorti en cinq volumes la série Vieilles maisons, vieux papiers.
               Decaux, lui, ne faisait que raconter une nouvelle fois ce que dix autres avaient déjà raconté avant lui, avec une prédilection pour les figures romanesques et les énigmes lancinantes. Ce n’était que du récit d’histoire. Du bon récit pour le grand-public, mais rien de plus. Compilation et narrativisation, sans aucun apport propre. C’est pourquoi ses livres n’ont aucune chance de survivre : ils ont remplacé les ouvrages en vogue sur les mêmes sujets (Lætitia Bonaparte, la Castiglione, le Prince impérial, Anastasia, Blanqui, les Françaises, Victor Hugo, saint Paul, etc), et ils seront remplacés par d’autres ouvrages sur les mêmes sujets – si ce n’est pas déjà fait –, puisqu’ils n’ont pas marqué l’historiographie par une originalité quelconque. Mais Decaux n’aura finalement pas fait beaucoup de livres consacrés à un sujet précis : sa bibliographie compte autant de recueils de petits récits indépendants (tirés plus ou moins directement de ses émissions radiophoniques et télévisées), comme Dossiers secrets de l’Histoire, Histoires extraordinaires, Alain Decaux raconte, Destins fabuleux ou C’était le XXe siècle (et j’en passe). Ce genre, où il était concurrencé notamment par Guy Breton et ses Histoires d’amour de l’histoire de France ou par Pierre Miquel [3], est éminemment périssable, car le succès de ce type de livres tient surtout à la notoriété médiatique de son auteur : c'est une production essentiellement commerciale, dont les artisans font tous à peu près la même chose. Quand l'un d'entre eux a disparu des écrans, le public l'oublie vite et va vers ses successeurs. Les recueils d'historiettes de Decaux continueront à se vendre encore un peu pendant dix ou vingt ans, mais ensuite, ce sera probablement le trou noir, – ou alors, c'est qu'il n'aura pas été remplacé, et ce sera une preuve affreuse de la désaffection des Français pour leur histoire. (Quant aux ouvrages à destination des enfants, c’est un marché très concurrentiel où la durée de vie est encore plus brève.)
            Heureusement le successeur d’Alain Decaux existe déjà, et à mesure que son succès va s’affirmer, il va reléguer ce dernier dans l’oubli : c’est Franck Ferrand [4]. Même prodigieux talent de conteur, même sens pédagogique, même aisance dans l’audiovisuel, même goût pour les énigmes, même fascination pour la France des rois, même esprit de tolérance œcuménique… Une fois n’est pas coutume, je donne la palme au jeune contre l’ancien : il y a plus d’impertinence chez Ferrand, qui n’hésite pas à s’aventurer dans les domaines sulfureux de L’Histoire interdite (Tallandier, 2008) pour y soutenir des thèses hétérodoxes [5] l’exposant aux rudes remontrances des historiens officiels, ou à s’attaquer à la réputation très surfaite de François Ier, roi de chimères (Flammarion, 2014). Cette audace met en relief, par contraste, le conformisme à toute épreuve d’Alain Decaux, qui aura toujours été terriblement institutionnel et désespérément consensuel. Il n’aura jamais dérangé, ni inquiété, ni choqué personne : pas étonnant qu’il ait été à ce point couvert d’honneurs.
                Car Decaux, ce simple passeur, ce conteur qui n’a rien inventé ni rien renouvelé, a été surchargé de titres et de décorations, comme seule pouvait lui en attribuer une époque où un Président de la République passe un ouiquenne au parc Disneyland, et où son successeur lit L’Histoire de France pour les nuls en bronzant sur la plage [6]. Passe encore que Decaux ait été élu en 1979 à l’Académie française, qui a accueilli bien d’autres zéros. Mais, ainsi que je l’avais découvert il y a quelques mois avec effarement, il était non seulement commandeur des Arts-et-Lettres, mais aussi grand-croix de l’ordre National du Mérite et grand-croix de la Légion d’honneur, soit à chaque fois les plus hauts grades ou dignités dans ces trois décorations (sur trois, cinq et cinq possibles). Il faut savoir que le nombre de titulaires vivants de la grand-croix de la Légion d’honneur est limité à 75 (pour l’O.N.M. : 142 titulaires de la grand-croix en 2010), et qu’elle est décernée au compte-gouttes : quatre ou cinq personnes par an pendant longtemps, une petite dizaine depuis quelques années. Je veux bien que M. Decaux fût sympathique et estimable, mais enfin, son œuvre et son action étaient-elles à ce point admirables qu’il fût digne d’être élevé au pinacle de la reconnaissance nationale ? Je crois bien qu’il était le seul auteur vivant à cumuler ces trois dignités maximales ! [7] Même Jean d’Ormesson n’abat pas ce brelan, n’étant que commandeur dans l’O.N.M. Prenons la mesure de ce constat ahurissant : par le biais de ses décorations officielles [8], l’État a fait de M. Alain Decaux l’auteur le plus honoré en France, on pourrait même dire le premier des Français tenant une plume [9]. Les bras vous en tombent, non ? Heureusement que personne ne prend très au sérieux ces breloques qu’on épingle sur les poitrines, sinon il y aurait de quoi se fâcher tout rouge. Se fâcher serait du reste un moyen de ne pas déprimer, car on en vient à se dire que cette époque de décomposition généralisée n’a plus aucun sens de la hiérarchie : les talents d’un ordre inférieur sont couverts d’honneurs qui devraient être réservés aux talents d’un ordre supérieur. Est-ce que demain il suffira d’avoir fait quelques émissions de télévision pour être décoré de la grand-croix, d’avoir signé un livre pour être élu à l’Académie ? Et ensuite, on donnera le bâton de Maréchal de France aux généraux en fin de carrière, on transférera au Panthéon ceux que les sondages semestriels ont placé parmi les dix Français les plus populaires, on émettra des timbres à l’effigie des vedettes de la télé-réalité, on donnera aux rues et aux places les noms des pétomanes ?
 
            Certes, il faut de tout, des chercheurs qui apportent du nouveau et des vulgarisateurs qui diffusent la connaissance auprès du grand-public. Loin de moi l’idée de réprouver ce que faisait Decaux. Ce qui me gêne, c’est la confusion des ordres. Son élection à l’Académie, ses décorations extravagantes ont mis dans l’esprit des gens que c’était un écrivain et un historien, comme si Michel Chevalet était un scientifique ou François Lenglet un économiste. Dans la civilisation des médias, le médiateur « fait écran » devant le créateur, au point de l’effacer complètement et de pouvoir se faire passer pour lui aux yeux du public…
            Dans l’« œuvre » livresque d’Alain Decaux, qui a commencé par un livre défendant la survie de Louis XVII sous le nom de Naundorff (thèse totalement invalidée depuis longtemps), qui a terminé par des bondieuseries accablantes, et où l’on trouve une vigoureuse défense des époux Rosenberg (dont la culpabilité pour espionnage est maintenant bien établie par l’ouverture des archives), – je ne vois aucun titre ayant une chance de survie durable, à part peut-être Le Tapis rouge (Perrin, 1992), mais justement parce que c’est un livre atypique dans sa production : le témoignage d’un candide qui se retrouve ministre pendant trois ans. Ce récit ne sera sans doute jamais réédité en librairie mais, une fois devenu disponible par voie électronique, il pourra trouver de temps en temps des lecteurs dans les siècles à venir, curieux de découvrir une expérience gouvernementale à travers les yeux d’un non-politique. Je note dailleurs que peu de ses titres sont actuellement disponibles dans les collections de poche, et seulement parmi les derniers parus. Celà n'empêche évidemment pas qu'ils puissent être réimprimés dans l'avenir. Mais celà montre que les lecteurs avaient commencé à se détourner de lui.
            Il y a quelques années, je l’avais entendu à la radio parler de sa publication du moment, La Révolution de la Croix. Néron et les chrétiens (Perrin, 2007). Sur ce sujet des premiers siècles du christianisme, où j’ai quelques lumières, j’avais été atterré par la cascade d’erreurs et d’inepties qu’il avait débitées en une heure, allant jusqu’à dire qu’on avait les « manuscrits » des historiens latins. Effaré, j'en avais tiré la conclusion qu'il s'était à peine documenté sur ce dont il parlait, et qu'il connaissait moins bien le sujet qu'un bon étudiant de licence suivant une U.V. là-dessus (comme je le fis moi-même à Paris-IV avec Luce Pietri et Nicole Belayche). Ce livre est en quelque sorte la suite d’une biographie de Paul de Tarse (L’Avorton de Dieu. Une vie de Saint Paul, Perrin / Desclée de Brouwer, 2003), encore plus scandaleuse : une simple mise en roman des sources, un ras-des-pâquerettes biographique sans problématisation, sans mise en perspective du contexte, sans aucun recul critique. L’idée que les documents antiques (qu’ils soient chrétiens ou païens, dailleurs) ne doivent être lus qu’avec une extrême défiance effleure à peine Decaux. Pour lui, l’essentiel du travail du biographe semble de se rendre sur les lieux où son personnage est passé [10]. La belle affaire ! si c’est pour gober ensuite tout ce qu’il dit… Quand l’absence totale de tout esprit historique se conjugue avec la crédulité du croyant, on obtient une non-biographie affligeante, qui ne fait que paraphraser la légende dorée du Nouveau Testament et des actes apocryphes. On en aura une idée par cette conférence prononcée en plein Notre-Dame où, pendant trois quarts-d’heure, Decaux fait le catéchisme, enfilant sans faiblir tous les poncifs et toutes les naïvetés appelés par le sujet et attendus par ses auditeurs. J’ai eu la curiosité de chercher quelques critiques du livre sur l’internet, et je n’ai quasiment rien trouvé. L’internet est encore très loin d’exercer le rôle d’évaluation qu’il pourrait avoir sur les livres, comme il le fait sur les restaurants. C’est ça un média démocratique : le cul et la bouffe dabord ! On n’y trouve sur L’Avorton de Dieu que des platitudes béates, consignées par des ignorants qui ont voulu du roman et qui sont contents d’avoir eu du roman, ainsi : « Très grande qualité à tous points de vue : écriture, documentation, caractère très vivant du récit. Se lit comme un roman en conservant une grande valeur sur le plan spirituel. Excellente introduction à une croisière-pèlerinage sur les pas de St Paul » ; ou encore, ce jugement d’un lecteur qui manifestement ne connaît rien ni à l’Antiquité ni à l’historiographie : « Livre instructif sur la vie de Paul et aussi sur son époque. Bonne analyse du personnage et de son caractère. C'est un livre d'historien qui s'est donné la peine d'approfondir ses recherches, pour coller au plus près de la réalité. » Je n’ai repéré qu’un seul avis critique qui ait nettement perçu l’insignifiance du livre de Decaux, et l’absence de savoir et de pensée qu'il trahit, mais sur un site pour le moins hétérodoxe : celui de Maurice Mergui, un disciple de Bernard Dubourg, tenant d’une lecture « midrachique » du Nouveau testament, selon laquelle les écrits chrétiens primitifs ne seraient qu’une invention juive, tous les épisodes pouvant se décoder comme des jeux de mots en hébreu, de telle sorte que Paul, comme Jésus, n’aurait aucune réalité historique. Une thèse ultra-minoritaire, mais pas plus invraisemblable que la version officielle de l’Église catholique, aveuglément suivie par le raconteur d’histoires qui vient de disparaître.
                     Comment expliquer que la presse accueillît un livre de Decaux avec un tel concert d’éloges, qu’aucun historien sérieux ne se dévouât jamais pour le ramener à son néant historiographique, ne serait-ce qu’en listant toutes ses erreurs ? Je vois plusieurs motifs à cette étrange passivité : – a) La nullité culturelle des médias, qui ont depuis longtemps renoncé à leur fonction critique, se contentant bien souvent, en guise de recensions de livres, de paraphraser les dossiers de presse fournis par les éditeurs. – b) Le positionnement très « mainstream » d’Alain Decaux, chrétien de gauche affirmé mais sans ostentation, ce qui devait lui valoir la sympathie apriori de tous les médias bien-pensants. Les milieux cathos applaudissaient ses bondieuseries, et les droidlomistes appréciaient l’humaniste bon teint : pourquoi dire du mal d’un homme si sympathique et qui pense si bien ? – c) N’oublions pas sa position institutionnelle : élu à l’Académie française en 1979, ministre entre 1988 et 1991, il bénéficiait par là d’une sorte d’immunité. Il ne faut jamais se brouiller avec quelqu’un qui pourrait voter contre vous le jour où l’envie vous prendrait de postuler au Quai Conti… – d) Le dédain des historiens, qui évidemment savaient que ses livres n’avaient aucune valeur, et qui préféraient n’en rien dire plutôt que de perdre leur temps à les lire et les critiquer [11]. Ils devaient se dire qu’une attaque serait inutile, car elle ne lui ferait pas perdre beaucoup de lecteurs, et que de toute façon les amateurs de véritable histoire n’en apprendraient rien, sachant déjà à quoi s’en tenir. D'où un silence méprisant et facteur de méprise, parce qu'il entretenait le public dans sa confusion. – e) La mentalité démocratique de notre époque : le public a toujours raison, donc critiquer ceux qu’il aime, c’est lui manquer de respect, en plus de passer pour un jaloux, un aigri, un grincheux, un raté, etc. Ceux qui aujourd’hui s’aventurent à se moquer de Marc Levy ou Guillaume Musso, au nom d’une certaine idée de la littérature, se prennent toujours une volée de bois vert en retour, au nom du sacro-saint respect dû aux écrivains et à leurs lecteurs, comme l’a noté Pierre Jourde dans un excellent article. J’ai moi-même observé il y a deux ans, en consultant des réactions sur la chute du conseiller Aquilino Morelle, que beaucoup de gens étaient allergiques à tout discours critique. Donc évitons de les braquer en agressant un homme qui fait vendre des livres et qui intéresse les gens à l’histoire…
            Et voilà comment, au lieu d’être considéré comme un simple vulgarisateur d’histoire, fonction utile et même nécessaire, Alain Decaux a pu passer indûment pour un historien. Ce qui a altéré l’esprit public de façon certes mineure, mais non nulle.
 
            Dans son genre, je préfère nettement son compère André Castelot (1911-2004), autre grand pilier de la « Librairie Académique Perrin », naguère spécialisée dans ce genre de productions faciles (avant qu’Anthony Rowley la reprenne en main pour lui donner une orientation plus sérieuse). Quant on regarde sa bibliographie, on constate que Castelot a peu pratiqué les recueils d’historiettes, préférant les biographies. En outre, il n’a pas eu la prétention de parler de tout, limitant son territoire à la France et sa période aux trois siècles et demi compris entre la Renaissance et le Second Empire (avec une prédilection pour la Révolution et l’Empire). Enfin il aimait bien, lui, découvrir des archives privées. Ses biographies sont romancées, anecdotiques, très superficielles, dépourvues de sens critique, mais elles ont pu, à l’occasion, apporter quelques éléments nouveaux. C’était un historien médiocre (il avait la sagesse de se définir plutôt comme écrivain d’histoire), alors que Decaux n’était pas un historien du tout [12].
                    Je préfère aussi et surtout Pierre Miquel (1930-2007). Certes, à partir de la fin des années 80, celui-ci s’est mis à publier sur tout et n’importe quoi [13], accumulant des ouvrages bâclés et criblés d’erreurs [14]. Mais il n’oubliait pas qu’il avait été dabord un véritable historien, agrégé, docteur, élève de Pierre Renouvin, spécialiste de la Troisième république et de la Grande guerre, sujet sur lequel il est revenu sans cesse et a commis des ouvrages convenables voire bons. Miquel n’était pas seulement, dans ses historiettes radiophoniques et livresques, quelqu’un qui avait, comme Decaux et Ferrand, le don de la narration, le sens du vécu individuel, le goût de la chair humaine dont parle Marc Bloch. Il était surtout un héritier de Michelet, un vieux clemenciste, un vrai patriote qui avait une certaine idée de la France. Un homme de gauche, certes, mais de cette gauche républicaine et nationale qui n’a rien à voir avec les libéraux-libertaires cosmopolites qui ont pris le pouvoir en mai 68. Chez Miquel, j'entends vibrer cette voix de la France venue du fond des âges, je sens la pesanteur des siècles derrière l'évènement qu'il raconte ; en Decaux, je crois voir un vieil oncle qui divertit la famille avec ses anecdotes, et je n'entends, derrière, que le crépitement de la cheminée.
           On rend hommage à Alain Decaux, par exemple Éric Zemmour dans  sa chronique [15], pour avoir été l’un des relayeurs de ce « roman national » qui faisait les Français. Je n’en suis pas si sûr. Je n’ai jamais perçu chez Decaux une conscience aigüe de l’identité de la France, un amour particulier de son peuple et de son histoire. Était-ce parce que son papillonnage de touche-à-tout universel lui faisait parler avec le même brio de Mayerling que du Masque de fer, de Raspoutine que de Marie-Antoinette, de Martin Bormann que de Stavisky ? Ou bien que, par pudeur, il s’effaçait totalement derrière son sujet ? J’ai l’impression (peut-être injuste) que, chez Decaux, le « roman national » n’était pas une perspective consciente et délibérée (ce qui me paraît le cas chez Miquel, et même, à un certain degré, chez Castelot), mais plutôt un effet a posteriori, comme si elle coulait de source et s’imposait d’elle-même au raconteur d’histoire, sans qu’il ait besoin de la faire surgir ni la canaliser. Il n'y aurait donc pas à l'en louer. Et ce serait une nouvelle manière de dire que Decaux n’avait aucune idée personnelle et que, simple reflet de son temps et de sa formation, il racontait inconsciemment l’histoire comme on la racontait déjà avant lui.

               Cependant, me dira-t-on pour finir, il ne faut pas voir en Decaux un écrivain mais plutôt unhomme de médias. Hier encore on pouvait croire que ses émissions radiophoniques et télévisuelles avaient été englouties. Or, avec l’avènement de l’internet, tout se conserve ! Donc, pendant des décennies, voire pendant des siècles, des générations entières pourront encore regarder avec passion Alain Decaux raconte. — Mouais. Je demande à voir. Certes, on peut avoir – on doit avoir – la nostalgie de cette télé de grand-papa où un homme seul, face à une caméra en plan fixe, parvenait à capter l’attention du téléspectateur pendant près d’une heure (avec tout-de-même quelques photos intercalées de temps en temps). Mais le documentaire historique a complètement changé : l’œil du public est désormais habitué à des séquences brèves et variées, des changements de plan incessants, des scènes dramatiques filmées (dits « docu-fictions »), des reconstitutions par images de synthèse, des intervious, des visites sur place, de la musique… La Caméra explore le temps, que Decaux a faite entre 1957 et 1966 avec André Castelot et Stellio Lorenzi, avait une forme plus moderne : une présentation de quelques minutes, suivie d’une « dramatique » d’une à deux heures, avec des bons acteurs de l’époque, qui s’apparente aux docu-fictions actuels. Hélas, ces téléfilms en noir-et-blanc à petit buget ont mal vieilli. La reconstitution historique s’accommode mal de moyens rudimentaires...
             Les narrations d’Alain Decaux face à la caméra sont encore plus surannées, j’en ai peur. Si, âgé de quarante ans et inconnu, il surgissait maintenant dans le « paysage audiovisuel français » pour y proposer ce qu’il faisait entre 1969 et 1987, on doute qu’il fasse un bon chiffre d’audience. Le grand succès qu’a eu son émission en son temps (du moins le grand succès auquel peut prétendre ce type d’émission) était peut-être dû tout simplement au fait qu’elle était la seule, en France, sur ce « segment » comme on dit en jargon managérial. On peut même se demander si la parodie qu’en faisait l’humoriste Guy Montagné n’a pas largement contribué à la popularité d’Alain Decaux. Tout celà augure très mal de sa survie sur l’internet dans cinquante ans. Dailleurs, on pourrait presque dire que l’internet a déjà rendu son verdict. En effet, très rares sont les numéros d’Alain Decaux raconte présents sur Youtube (je n’en vois même que deux en intégralité : ceux consacrés à Richard Sorge et à Katyn, et aucun sur Dailymotion). Et cette rareté devient terriblement significative quand on la met en contraste avec le succès d’Henri Guillemin. Celui-ci, dans les années 60 et 70, a réalisé pour la Télévision Suisse Romande exactement la même chose qu’Alain Decaux : une riche série de causeries historiques qui ne sont rien d’autre que des conférences filmées, avec encore moins d’images intercalées. Or ces causeries ont été intégralement mises en ligne il y a quelques années, et obtiennent une audience si remarquable qu’elle a attiré l’attention d’un journaliste de Rue89. Comment se fait-il qu’Henri Guillemin triomphe là où Alain Decaux disparaît ? Ce n’est pas une question de forme : le talent oratoire du second est aussi grand que celui du premier, et il a le léger avantage d'une voix plus agréable. L’explication est simple : Guillemin a des idées. Il est partial, partisan, engagé. Ce n’est pas un pur vulgarisateur qui raconte ce qui s’est passé, c’est un idéologue qui défend une thèse. Une thèse souvent très contestable, dont les bases documentaires sont fragiles, une thèse qui peut indigner ou consterner, mais qui ne laisse pas indifférent. Guillemin ne se contente pas de capter votre attention, il vous secoue, il vous fait réfléchir, il vous incite à en savoir plus. Decaux vous a passionné pendant une heure, mais quand il a fini, vous allez vous coucher sans qu’il ait rien changé en vous. Ce n’était qu’un raconteur d’histoires, un causeur divertissant, un robinet d’eau tiède. Il ne vous tenait éveillé que pour mieux vous endormir. Lui-même a glissé dans le sommeil de la mort, et il n’est pas près d’en sortir.

 

 

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[1] Sauf peut-être dans la bourgeoisie catholique ? J’imagine volontiers que des mamies bigotes, à défaut de pouvoir traîner leurs petits-enfants à la messe aussi souvent qu’elles l'auraient voulu, collaient entre leurs mains Alain Decaux raconte Jésus aux enfants (Perrin, 2006), Alain Decaux raconte la Bible aux enfants (Perrin, 1998) et Alain Decaux raconte l’histoire de France aux enfants (Perrin, 1987). Mais quel souvenir les mômes en ont-ils gardé ? À cet âge, on ne fait pas du tout attention à l’auteur d’un livre. On peut, longtemps après, se sentir marqué par certaines pages, et n’avoir aucune idée de celui qui les a faites, ni même du livre où elles étaient.

[2] Son article paru dans le Figaro-Magazine du 20 octobre 1979, « On n’apprend plus l’histoire à vos enfants ! », eut un grand retentissement. Mais la situation n’a fait que s’aggraver depuis…

[3] Je pense aux deux diptyques parus chez Fayard : Des histoires de France, des Gaulois à de Gaulle 1 (1980) suivies des Nouvelles Histoires de France, des Gaulois à de Gaulle 2 (1981) ; et Les Faiseurs d’histoire 1, de Crésus à Jeanne d’Arc (1982) suivis de Les Faiseurs d’histoire 2, d’Isabelle la Catholique à Catherine la Grande (1982). Ces quatre volumes sont la reprise de chroniques prononcées au micro de France Inter. Je les ai lus entre dix et quinze ans, et je dois dire qu’il ne m’en reste à peu près rien, sans doute parce que c’est le destin de ce genre de livres, dont les petits récits sont à la fois quintessenciés par la mémoire et recouverts ensuite par des récits plus développés. Néanmoins, je les recommanderais volontiers à des enfants ou adolescents qui ne sont pas rebutés par des livres sans images, et je regrette qu’ils n’aient jamais été réédités en poche.

[4] Decaux avait en quelque sorte intronisé Éric Le Nabour comme son héritier. Mais celui-ci est très loin d’atteindre la renommée de son modèle.

[5] Je suis assez partisan moi aussi de situer Alésia à La Chaux-des-Crotenay plutôt qu’à Alise-Sainte-Reine. En revanche, je suis en désaccord total avec l’idée que Corneille ait pu écrire les pièces de Molière, et plus que sceptique sur les autres thèses (Jeanne d’Arc manipulée par Yolande d’Aragon ; Cipriani dans le tombeau des Invalides à la place de Napoléon ; un « troisième homme » dans l’affaire Dreyfus).

[6] Il est vrai que c’était en août 2006, donc six ans avant d’être élu. Mais un énarque de 52 ans, qui nourrit l’ambition à peine secrète de succéder un jour à Philippe-Auguste, Louis XIV et Napoléon, devrait avoir depuis longtemps dépassé le stade de la « nullité » en matière de connaissances sur l’histoire de la France.

[7] C’était aussi le cas de Jean Favier (mort en août 2014). Mais Favier a été directeur des Archives nationales et Président de la Bibliothèque Nationale de France : le genre de postes institutionnels qui vous expose mécaniquement à recevoir des décorations. Le cas encore de Jacqueline de Romilly (morte en 2010), qui fut la première femme élue professeur au Collège de France.

[8] La liste n’était pas close : Alain Decaux a aussi eu droit à une cérémonie officielle dans la cour d’honneur des Invalides, avec un discours du Président de la République ! Et dans dix ans, le Panthéon ? Je ne me souviens pas que Duby, Braudel ou Febvre aient été honorés par une telle cérémonie... Devant cet État qui dégrade l’esprit public en brouillant à ce point les valeurs, faut-il rire ou pleurer ? (Ajout du 4 avril)

[9] Celà me remet en mémoire une anecdote que je trouvais très amusante mais à laquelle soudain, par contraste, je trouve une teinte tragique. Il paraît que dans les années 60, lors d'un conseil des ministres, on examinait la prochaine promotion de la Légion d'honneur. De Gaulle prend la parole : « Je vois que Mauriac n'est que grand-officier. Il faut l'élever à la grand-croix. C'est tout-de-même notre plus grand écrivain vivant ! » Un silence se fait et tous les regards se tournent vers Malraux. Le Général se rend compte qu'il a commis une indélicatesse, et il se rattrape : « ... parmi d'autres ! ». (Selon certaines versions, Malraux aurait répondu : « Moi, de toute façon, je n'accepte de décoration qu'à titre militaire. ») Ah, heureuse époque que celle qui pouvait désigner, pour ses deux plus grands écrivains vivants, Mauriac et Malraux, et ce du vivant de Montherlant, Sartre, Aragon, Yourcenar, Giono, Anouilh, Morand, Genet, Beckett, Char, Gracq, Cohen, Saint-John Perse !... Qui soutiendra sérieusement que nos Modiano, Le Clézio, Sollers, Quignard soient du même niveau ? Et quelle pitié de ne plus avoir un président lettré, qui ait à cœur que les plus hauts talents aient les plus hautes décorations ! Très respectueux de l'Académie, De Gaulle se serait sans doute montré aimable avec l'auteur de C'était le XXe siècle, lui donnant du « Cher Maître » dans des lettres pleines de gentillesses et de compliments, mais on n'imagine pas qu'il ait accepté qu'Alain Decaux devînt l'homme de lettres le plus hautement décoré en France.

[10] Dans cette interviou accordée à Famille chrétienne, Decaux se vante, pour sa biographie de Victor Hugo, d’avoir passé une nuit à Hauteville House ! Évidemment, c’est plus facile et plus amusant que de trouver du nouveau, d’éplucher des archives inédites, ou même de réinterpréter les œuvres. Jean-Marc Hovasse, dont la biographie de Hugo, en trois tomes de plus de mille pages chacun (le premier paru en 2001, le deuxième en 2008, le troisième… pas encore), écrase celle de Decaux à tous points-de-vue, pas seulement le poids, exécute ainsi le reporteur du passé dans une interviou au Magazine littéraire : « La biographie d'Alain Decaux, c'est autre chose. Son principe consiste essentiellement à reformuler à la première personne : là où Maurois a écrit "la maison de Victor Hugo se trouvait rue Hauteville", Decaux écrit à peu près : "Je suis allé jusqu'à la maison de Victor Hugo. J'ai grimpé la rue Hauteville." C'est de la real-biographie , une sorte de reportage : "moi qui vous parle, j'ai vu celà de mes yeux". Et sans la moindre enquête ! Avec, en tout et pour tout, un quart du livre pour les trente-cinq dernières années de Victor Hugo. Pourquoi ? Parce que pour la période de 1851 à 1885, on ne peut plus répéter, il faut chercher, travailler... Je comprends très bien qu'il ait eu du mal à finir pour être prêt en 1985 [=le centenaire de la mort], mais, franchement, depuis quinze ans il aurait pu remédier à ce déséquilibre, aussi injustifiable que parfaitement compréhensible : aucun livre ne présente encore de synthèse utilisable pour cette période-là. » 

[11] Une recherche sur le site Persée, qui archive les collections d’un grand nombre de revues universitaires françaises, et contient donc des milliers de recensions d’ouvrages, fait chou blanc. Il semble ainsi qu’aucun livre d’Alain Decaux n’ait jamais été recensé dans l’une des revues dont les collections y sont consultables. La même recherche sur Cairn.info, qui complète Persée (avec des collections plus récentes), révèle un tout petit compte-rendu, un seul en tout et pour tout. Dans Études (la revue des jésuites) de juillet-août 2003 (tome 399), page 140, on trouve ces quelques lignes dues à Pierre Gibert (je les recopie in extenso) : « Dans la tradition d’une intelligente et agréable vulgarisation (un peu, si l’on veut, à la manière de Daniel-Rops), Alain Decaux, offre "une vie de saint Paul" pour laquelle il tient le plus simplement et le plus raisonnablement compte des données des Actes des Apôtres et des Épîtres de celui qui s’est lui-même désigné comme "l’avorton". Il est, je pense, inutile de souhaiter un plein succès à cette œuvre, puisqu’il est déjà garanti par le nom de l’auteur comme par l’ample publicité qui lui a été faite. » Un laconisme assez éloquent pour qui sait lire… d’autant que le reste de la recension, avec quatre fois plus de lignes, est consacré à Paul le converti. Apôtre ou apostat ? d’Alan F. Segal (Bayard, 2003), un livre « d’un tout autre registre », un livre sérieux, lui, un vrai livre d’histoire.

[12] Pourquoi André Castelot n’a-t-il pas eu la même reconnaissance institutionnelle, alors ? Celle d’Alain Decaux  procède-t-elle uniquement de ses causeries télévisées ? Je crois bien plutôt que c’est parce que Castelot avait une tache indélébile sur son passé : sous l’Occupation, il travailla dans deux journaux collaborationnistes, L’Écho de Nancy (où, par exemple, le 11 septembre 1941, il rend compte de l’exposition « La France et le Juif », expliquant que « l’exposition antijuive de Paris se contente de mettre lumineusement sous les yeux du visiteur quelques faits, quelques chiffres, quelques noms, qui prouvent l’hallucinant enjuivement de notre pays depuis 1936 »), et surtout La Gerbe d’Alphonse de Châteaubriant, dont sa mère était la maîtresse et dont il fut le secrétaire particulier dès 1934. Arrêté à la Libération, incarcéré plusieurs mois à Fresnes, Castelot fut acquitté, mais interdit de publication pendant deux ans par le Comité National des Écrivains. Il est dommage que (sauf erreur), il n’ait pas livré son témoignage sur cette période et sur cet intéressant personnage qu’était Châteaubriant, romancier régionaliste (Goncourt 1911) puis propagandiste catholico-nazi. — Il est amusant de constater que pendant plus de trente ans, le bon droidlomiste Alain Decaux a animé chaque samedi soir sur France Inter La Tribune de l’histoire entre André Castelot, ancien collabo, et Jean-François Chiappe, catho-monarchiste notoire (neveu du préfet Jean Chiappe, gendre du général Denikine, collaborateur de Rivarol, auteur d’ouvrages sur la Vendée, membre dirigeant du Front National, etc). Il était aussi l’ami de Jean Ferré, le fondateur de Radio-Courtoisie. Cette capacité d’Alain Decaux à se lier d’amitié avec des hommes aux idées éloignées des siennes doit être mise à son crédit : elle prouve une louable ouverture d’esprit (mais peut-être aussi une certaine inconsistance intellectuelle ?).

[13] C’est étrange, cette intempérance éditoriale des vieux. Leur réputation est déjà faite, quel besoin ont-ils de rajouter des lignes à leur bibliographie en publiant n’importe quoi ? Besoins financiers, train-de-vie dispendieux, dettes à éponger ? Ou obscur sentiment que chaque nouvelle parution en librairie fait reculer la mort ? Dans un article sur Jean-Denis Bredin, j’avais pointé le cas d’Henri Troyat, qui sortait chaque année une biographie inutile. Un cas plus spectaculaire encore est celui de Max Gallo, dont la plume a toujours été incontinente, mais qui depuis la fin des années 90 inonde les librairies de récits historiques dont on ne saurait même pas dire s’il s’agit plutôt de romans historiques (abominables) ou plutôt de biographies romancées (abjectes). En tout cas, ses erreurs par pelletées, son insupportable style oral (verbes au présent, phrases ultra-courtes, scènes haletantes, détails triviaux, clichés à chaque ligne), sa façon de vouloir prendre le populo à la gorge, tout celà le rend illisible pour un esprit distingué. Faut-il mépriser les lecteurs, faut-il se mépriser soi-même, pour pisser ainsi de la copie tout juste bonne à être recyclée en carton ! Cet agrégé et docteur en histoire avait pourtant montré qu’il pouvait écrire des ouvrages, certes de compilation, mais sérieusement documentés (L’Italie de Mussolini, Perrin, 1964) et des biographies un peu trop narratives et hagiographiques, mais presque honorables, faisant de lui un Castelot de gauche (Robespierre, Garibaldi, Jaurès, Vallès). Quelle mouche l’a piqué en 1997, et quel besoin a-t-il, depuis, de faire subir à Napoléon, de Gaulle, Hugo, César, Louis XIV, Voltaire, Jésus et Richelieu un tel supplice ? Pitié pour eux, pitié pour les lecteurs, pitié pour les arbres !... Jean-Marc Hovasse, dans l’interviou citée à la note n°10, s’en désole comme moi : « Le livre de Gallo par exemple n'a rien à voir avec une biographie : c'est un produit marketing, un produit "bio". Les phrases ne font pas plus de huit mots. Ce n'est plus le "je" de Decaux. Avec Gallo, c'est le "on" et le démonstratif : "On est surpris par ce qu'on ressent, ce trouble, cette émotion". Il paraît que c'est le signe d'une sympathie, d'une identification totale... Après tout, chacun est libre de faire ce qui lui plaît, mais pourquoi traîner Victor Hugo dans cette galère ? Aucun de ses ennemis les plus virulents, ni Sainte-Beuve, ni Planche, ni Veuillot, ni même Biré, n'auraient eu la cruauté de lui souhaiter un pareil traitement. », et donne deux exemples de légendes complaisamment reprises par Gallo, pour le pur plaisir d’un effet vulgaire.

[14]À titre d’exemple, on lira ici la démolition en bonne et due forme d’un ouvrage où Miquel a voulu jouer au géographe : http://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1988_num_17_1_2736

[15] Profitant de n’importe quel évènement pour répéter ses thèses, Zemmour invente l’affrontement entre un Decaux réactionnaire et une « Sorbonne » anti-nationale, anti-littéraire et déconstructiviste. C’est très exagéré, voire fantasmatique. Dabord la métonymie est inadéquate : il aurait plutôt fallu parler de l’E.H.E.S.S., car la Sorbonne a toujours été un nid de conservateurs, comme Alphonse Dupront, Roland Mousnier, Pierre Chaunu ou Jean Tulard. Ensuite, les grands artisans du renouvellement de l’histoire par les sciences humaines, les Braudel, Mandrou, Duby, Goubert, Le Goff, Furet, Le Roy Ladurie, n’étaient nullement des anti-Français ou des ennemis du bon style. Tous petits-fils de Michelet et fils des patriotes Marc Bloch et Lucien Febvre, lecteurs de Stendhal et Voltaire, ils étaient attachés à la France et s’efforçaient d’écrire le mieux possible ; certains même votaient à droite ! Si on cherche des militants déclarés de l’anti-France, acharnés à détruire le roman national, on ne trouve guère que l’hystérique Suzanne Citron, auteur du Mythe national (Les Éditions ouvrières, 1987). Mais que pèse cette naine face au géant Braudel, auteur de L’Identité de la France ? Enfin, ce n’est pas de leur fait si les programmes scolaires ont été pervertis. Les coupables sont à chercher parmi les inspecteurs de l’Éducation nationale, pas parmi les pontes de l’E.H.E.S.S. C’est le ministère, ce n’est pas l’université qui, mettant la charrue avant les bœufs, a voulu transplanter directement les innovations de l’université dans le primaire et le secondaire. Braudel, Duby et les autres ont toujours, au contraire, affirmé qu’il fallait commencer par poser des bases chronologiques, et que les enfants, on les intéresse et on les fait rêver par des récits, des évènements, des grands hommes.

UNE CLASSE POLITIQUE DE PLUS EN PLUS IMPUISSANTE ET SCLÉROSÉE… JUSQU’À PROVOQUER UNE RÉVOLUTION ?

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            Les gens qui sont profondément hostiles au système actuel peuvent se diviser en deux catégories : ceux qui jugent qu’il n’est pas du tout démocratique (contrairement à ce qu’il prétend être), et ceux qui jugent qu’il est beaucoup trop démocratique. La seconde catégorie est bien plus minoritaire que la première, mais c’est vers elle que j’incline.
            Il y a un peu plus d’un mois, alors que le projet de loi sur le travail porté par Myriam El Khomri commençait à susciter un net rejet de l’opinion, cette opposition entre deux visions du système a pu subir une sorte de test expérimental. Une de mes connaissances, apparemment échaudée par l’adoption du mariage homosexuel malgré les massives manifestations de la droite catholique, se montrait convaincue que le projet allait passer de gré ou de force : « Je parierais beaucoup plus volontiers qu'ils vont s'en foutre. Souvenez-vous de ce qu'ils ont fait de la pétition contre le mariage homo...  Ils peuvent choisir de faire passer coûte que coûte toutes les réformes qu'ils veulent voir adopter (y compris par le 49-3), même si ça doit leur coûter leur place... je pense à ça parce que je trouve qu'il y a une nette accélération dans les propositions/adoptions de réformes dont on ne parle qu'à peine d'ailleurs et qui ne mobilisent qu'une poignée de députés. » Pour ma part, je trouvais étrange – et assez « complotiste », bien plus qu’idéaliste – cette vision d’une classe politique prête à se sacrifier sur l’autel d’on ne sait quels intérêts secrets. La comparaison avec le mariage homosexuel est inadaptée : c’était une mesure de gauche rejetée par la France de droite. Là, on a une mesure de droite rejetée par la France de gauche. Comment croire que le gouvernement pourrait « se foutre » de braquer son propre électorat, à un an des élections ? En outre, le mariage homosexuel, c’était une « avancée sociétale », allant dans le sens d’un élargissement des droits de l’individu et d’une satisfaction de l’hédonisme : ce type de mesure passe toujours, depuis cinquante ans et plus. La bonne comparaison, pour moi, c’est l’échec du projet Devaquet pour les universités en décembre 1986, c’est l’échec du C.I.P. de Balladur en mars 1994, c’est l’échec de la réforme des retraites de Juppé en décembre 1995, c’est l’échec du C.P.E. de Villepin en mars 2006. À chaque fois, un gouvernement a tenté de toucher aux « avantages acquis » afin de remettre dans le bon sens la machine économique ; à chaque fois, la rue a massivement protesté contre ce qu’elle a perçu comme une atteinte à sa situation et une « précarisation » accrue de la vie économique ; trois fois, les jeunes ont refusé cet avenir meilleur qu’on leur préparait ; et à chaque fois, le gouvernement a cédé, incapable d’expliquer que les inconvénients pour un petit nombre permettraient une amélioration pour le plus grand nombre.
            Le 10 mars, mon contradicteur a cru triompher : Hollande venait d’annoncer qu’il n’était pas question de retirer le projet de loi. Je ne me laissai pas ébranler dans mon pronostic : je sais bien qu’un gouvernement commence toujours par affirmer son inflexibilité, pour tenter de tuer la fronde dans l’œuf. C’est quand les manifestations, loin de se décourager, redoublent d’ampleur, que les choses sérieuses commencent. Comme prévu, les syndicats intensifièrent la mobilisation (la pétition contre le projet, ayant rassemblé un million de signatures dès le 4 mars, était un indice très net du profond rejet populaire), et remportèrent très vite le bras-de-fer : dès le 14 mars, le projet de loi était vidé de l’essentiel de sa substance.  Le maintien de la pression de la rue et des syndicats, relayée par une offensive parlementaire, va entraîner de nouvelles reculades. Une fois de plus, comme je l’avais prévu, un gouvernement a capitulé sous la pression de la rue. Capitulation qui, dailleurs, prouve aussi bien le manque de volonté de nos dirigeants que leur manque de pédagogie : ils ne savent pas expliquer leurs projets, ni les négocier pour les faire accepter en amont, ni les défendre pour les justifier en aval [1]. Quand le projet est annoncé, l’opinion est prise par surprise, et a le sentiment légitime qu’on cherche à lui faire un enfant dans le dos. On se plaint que le gouvernement ne respecte pas les aspirations du peuple, mais dès que celui-ci s’agite, il recule aussitôt. La « tyrannie de l’opinion » fait qu’il n’ose pas prendre des mesures qui paraissent impopulaires, dès lors que cette impopularité se fait bruyante et visible.
 
            Mais ma victoire a été de courte durée. Nous venons en effet d’apprendre l’adoption d’une proposition de loi modifiant la campagne de l’élection présidentielle. On se frotte les yeux en lisant ces modifications demandées et obtenues par le Parti Socialiste. Bien entendu, la barrière des « 500 signatures », qui empêche ou freine considérablement l’apparition d’un candidat hors système, est maintenue, alors que beaucoup demandaient son abaissement. Le seuil a été élevé en 1976 : auparavant, il en suffisait de 100 [2]. Rappelons que si le F.N., les trotskistes ou les écologistes parviennent à chaque fois à réunir ces 500 parrainages d’élus, ils éprouvent néanmoins des difficultés extrêmes à les obtenir. Il leur faut consacrer un gros buget et mobiliser beaucoup de militants pendant des mois (qui vont démarcher et relancer les maires les uns après les autres), pour atteindre ce sésame : c'est une énorme dépense de moyens et d'énergie, qui affaiblit d'autant leur campagne proprement dite. Au contraire, les candidats des partis du « système », comptant déjà des milliers d’élus locaux, n’ont qu’à claquer des doigts pour obtenir les signatures en trois jours.
            Loin d’assouplir la législation pour faire respirer la démocratie, les députés n’ont rien trouvé de mieux que de la durcir encore. Désormais, tous les parrainages seront publiés, ce qui pourra dissuader certains maires, qui pouvaient espérer  passer à travers le tirage au sort et éviter ainsi que leurs électeurs leur reprochent d’avoir soutenu tel candidat. En outre, ce seront les parrains qui devront envoyer eux-mêmes leur signature au Conseil constitutionnel (et non plus les candidats, qui jusqu’à présent allaient déposer en une fois leur collecte), contrainte qui va leur paraître fastidieuse. Enfin et surtout, la période de campagne officielle, impliquant une stricte égalité de temps de parole entre tous les candidats, qui jusqu’à présent durait cinq semaines, sera désormais réduite à deux semaines. Deux semaines seulement tous les cinq ans, pendant lesquelles tous les candidats pourront se faire entendre pareillement ! Deux semaines d’expression égale, pour deux-cents-cinquante-huit semaines d’omniprésence médiatique des grands partis !...
            « Faut-il en pleurer ou en avoir la nausée ? », demande Corinne Lepage dans une tribune qu’on ne peut qu’approuver. Candidate en 2002, et connaissant donc de l’intérieur le chemin-de-croix du petit candidat, elle note qu’en 2012, sur 42 000 parrainages possibles, moins de 15 000 ont été donnés… dont plus de 10 000 pour les deux principaux candidats ! Ce qui veut dire que moins de 5000 élus (12 % !) ont contribué à faire que le grand rendez-vous de la vie politique française soit autre chose qu’un simple face-à-face entre le P.S. et l’U.M.P. « Tout celà n'est pas supportable et parfaitement contraire à la démocratie, conclut-elle. Alors que 88 % de nos concitoyens souhaitent voter pour un candidat qui ne soit pas issu des grands partis politiques, ceux-ci se défendent en violant les règles de base de l'égalité entre les candidats. Dès lors qu'il s'agit de défendre leur fonds de commerce, la désaffection de nos concitoyens pour les politiques, l'abstention, la montée des extrêmes leur sont totalement indifférentes. »
            En effet, cette mesure est proprement ahurissante. On ne cesse de répéter qu’en France plus encore qu’ailleurs, il y a une crise de la démocratie, que la classe politique n’a jamais été aussi discréditée, que les citoyens ne se sentent pas représentés, que les dirigeants vivent dans une bulle, que le pays réel n’est plus écouté, que la parole politique est confisquée par une oligarchie… et voilà que, sans utilité réelle, les politiciens confirment exactement tout celà, et font en sorte de l’amplifier encore ! Ils élèvent le niveau d’entrée dans leur caste, ils confortent l’entre-soi, ils ferment un peu plus le jeu, ils verrouillent le scrutin. L’élection présidentielle, c’est bien connu, est la seule élection qui intéresse encore vraiment les Français, la seule qui leur donne l’impression de peser encore un peu sur le destin du pays. On pourrait dire : la dernière soupape de sûreté de la démocratie. Et voilà qu’on s’arrange pour en faire une partie jouée d’avance, pour décourager les petits candidats de s’y immiscer, pour faire barrage à toute irruption d’un citoyen hors-système qui viendrait bouleverser la donne ! Et celà au moment même où le désir d’un renouvellement de la classe politique se fait plus impérieux que jamais, où les quatre cinquièmes des Français ne souhaitent pas que le président sortant ni son prédécesseur se représentent, comme ceux-ci en ont pourtant l’intention évidente ! (et où, aux E.-U.A., le succès inattendu des candidatures de Donald Trump et de Bernie Sanders montre que, là-bas aussi, le ras-le-bol à l’égard de l’Établissement et le désir de renverser le Système sont de plus en plus prégnants).
          On en vient à se dire que ces politiciens autistes sont en train de jouer aux allumettes sur un baril de poudre. On se demande vraiment ce qu'ils ont dans la tête. Il faudrait que quelqu’un, devant toutes les télévisions, proclame avec la solennité qui convient : Tout celà finira très très mal ; vous ne mesurez pas le degré de mépris, de haine et d'exaspération que vous suscitez ; à force d’étouffer les protestations plus ou moins impuissantes, vous provoquerez une révolution dévastatrice ; la colère du peuple bafoué sera terrible ; à trop ignorer les citoyens, cette classe politique sera balayée dans la violence ; il y aura des têtes promenées au bout d’une pique

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            Un peu après mai 68, Raymond Aron et quelques autres constataient que, depuis deux siècles, les Français ont besoin d’une grande explosion à chaque génération. 1789, 1830, 1848, 1871, 1889 (crise boulangiste), 1934-36, 1958, 1968… En décembre 1995 le pays a été paralysé pendant quelques jours par les manifs contre le plan Juppé, en novembre 2005 les banlieues d’immigrés ont pris feu… deux répétitions d’un mouvement beaucoup plus détonant ? Ce pays est incapable de se réformer pacifiquement ; donc il se rigidifie, il se bloque, et quand la tension devient insupportable, il explose. La révolution périodique plutôt que la réforme permanente… Ainsi la question ne serait pas : la France va-t-elle connaître une terrible secousse, mais plutôt : quand la prochaine secousse aura-t-elle lieu ?
       Parmi les indices qui peuvent nous faire croire à la survenue prochaine d’un évènement de type révolutionnaire, il y a celui-ci : c’est que de plus en plus de gens s’attendent à ce qu’il ait lieu. Attentif à ce qui paraît en librairie, j’ai été frappé que, ces dernières années, trois livres soient sortis portant exactement ce même titre : Ça va mal finir. Le premier est dû à Pierre-Louis Basse en janvier 2005 (Rocher) ; le deuxième à Nicolas Domenach en avril 2006 (Plon) ; le troisième à François Léotard en mars 2008 (Grasset). Voilà donc deux journalistes et un ancien homme politique qui ont senti l’arrivée d’une grande catastrophe sociale, au point d’avertir leurs concitoyens par ce pronostic alarmant. Mais une décennie s’est écoulée depuis les deux premiers, et rien ne s’est vraiment passé. Est-ce à dire que l’orage est derrière nous ? Je crois que de plus en plus de gens sentent obscurément qu’au contraire, la situation ne fait que se tendre de plus en plus, rendant de plus en plus inéluctable une issue violente, sous une forme ou sous une autre. Deux analogies historiques s'imposent aux esprits, ou du moins hantent les consciences : la crise des années 1930 [3] et 1788 [4]. Le simple fait que ces comparaisons reviennent de façon lancinante prouve que nos contemporains croient possible une explosion révolutionnaire, voire s'y attendent. Et en parler crée un climat favorable à son surgissement. Tant l’on crie Noël qu’à la fin il vient…

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                 Les deux évènements que j’ai pointés semblent diamétralement opposés : d’un côté un gouvernement qui recule dès que la rue s’agite, de l’autre des partis qui font en sorte de perpétuer leur mainmise sur la nation. Mais on peut se demander si cette opposition apparente ne cacherait pas une parenté secrète. Si la classe politique éprouve le besoin de verrouiller le système, n’est-ce pas parce qu’elle sent qu’il pourrait se retourner contre elle ? Si elle retire (ou vide) un projet de loi dès que celui-ci se voit contesté, n’est-ce pas parce qu’elle sent qu’en ne cédant pas là-dessus, elle pourrait être emportée tout entière ? Ces deux réactions fébriles ne trahiraient-elles pas, chacune à sa façon, la conscience angoissée que le pays lui glisse entre les mains ?
         J’ai commencé en opposant deux diagnostics contradictoires : absence de démocratie, excès de démocratie. Là encore, ne s’agirait-il pas de deux faces d’une même réalité ? Parce que l’État est déconnecté des forces profondes du pays réel, il se livre à l’opinion que fabriquent les sondages, les médias et les groupes de pression, il se laisse tyranniser par l’opinion superficielle, humorale, versatile de la populace, réalisant cette ochlocratie (pouvoir de la foule) dans laquelle Polybe et les anciens voyaient le pire des régimes.

 

         Retractatio : Si cet article porte un titre interrogatif, c'est que je n'ai aucune idée de la réponse. Contrairement à P.-L. Basse, N. Domenach et F. Léotard, jamais je ne publierai un texte affirmant posément que la survenue prochaine d'une catastrophe est une certitude. Profondément hostile à la civilisation contemporaine dans presque tous ses aspects, je souhaite ardemment qu'une révolution la renverse et la détruise. Mais une large partie de moi-même ne croit pas que cette révolution advienne un jour, et une partie encore plus large est convaincue que, si une secousse révolutionnaire jetait à bas quelques monuments du Système, celui-ci n'en serait pas structurellement modifié, et la faille sismique serait vite comblée et recouverte par de nouveaux édifices d'un style un peu différent des précédents, mais servant aux mêmes fonctions. Je discute souvent avec de jeunes « natios » persuadés qu'ils sont portés par le vent de l'Histoire et que la France, dans pas très longtemps, retrouvera le chemin de sa grandeur en se débarrassant des crapules qui l'avilissent. Leur idéalisme me fait sourire, leurs illusions me touchent et m'attristent. Ma conviction intime est que c'est trop tard. Les Français et les Européens sont trop habitués à leur état, le droidlomisme est trop profondément enraciné dans les consciences. Rien n'endiguera la lente submersion, rien n'arrêtera l'inéluctable décadence. Je ne pense pas que le Front National puisse arriver au pouvoir, et je pense fortement que, s'il y arrivait, il ne pourrait pas changer grand-chose de fondamental, et devrait vite le quitter dans la réprobation générale, sinon la honte et le déshonneur. J'ai l'impression d'avoir vécu trop longtemps sans que rien ne se passe,  d'avoir trop vu les choses rester identiques, pour pouvoir croire encore qu'elles puissent changer. Mais en même temps, je me défie de cette impression subjective. Peut-être que ceux qui avaient 75 ans en 1788 croyaient qu'une révolution était impossible, pour la seule raison qu'ils étaient trop habitués à la stabilité ? Rien n'a changé en France depuis 1983 (virage libéral du P.S. et émergence du F.N.), rien – sinon l'aggravation des tendances déjà existantes à ce moment-là –, mais celà ne prouve pas que rien ne changera dans l'avenir. Cet article procède de mon ahurissement en apprenant les dispositions électorales votées par les députés, qui vont si totalement à l'encontre des vœux évidents des citoyens. Face à une telle façon de scier la branche sur laquelle ils sont assis, je me dis que je pourrais avoir structurellement raison et conjoncturellement tort : en toute logique, aucune révolution ne devrait avoir lieu, les Français se laisseront défranciser sans réagir autrement que par quelques soubresauts vite résorbés ; mais les hommes sont imprévisibles, la bêtise est le plus puissant des facteurs historiques, et notre classe politique pourrait très bien, comme Louis XVI, comme Charles X, comme Napoléon III, comme les gouvernements des années 30, accumuler les erreurs et les imprudences qui déclencheraient une chute à laquelle ils auraient dû échapper facilement. En me souvenant que Raymond Aron, au début de la Guerre froide, avait posé ce diagnostic paradoxal mais lumineux : « guerre improbable, paix impossible » [5], j'ai envie de dire : révolution impossible, statuquo improbable. J'y reviendrai.

 

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[1] Il est frappant que ce projet soit vivement contesté à gauche, ce qui renforce la comparaison avec le C.P.E. de Villepin, qui fut très mollement soutenu par la droite et même par le patronat : dans les deux cas, un Premier ministre qui se rêve en hussard chargeant sabre au clair, assisté par des branquignols ou des courtisans, goupille tellement mal son projet qu’il ne parvient même pas à le vendre à sa majorité ! Se heurter à ses adversaires naturels, passe encore, mais négliger de s’assurer le soutien de son propre camp, c’est ballot… On en vient à se dire que le seul Premier ministre intelligent depuis trente-cinq ans a été Rocard, qui s’illustra brillamment dans l’art délicat de faire passer des réformes en douceur.

[2] Par la même occasion, les membres du Conseil économique et social ont été retirés de la liste des parrains possibles.

[3] La comparaison avec la crise des années 30 a bien sûr été justifiée par la crise financière de 2008, mais elle ne s’est pas tarie depuis. Elle a déjà suscité au moins quatre livres en français : François Lenglet, La Crise des années 30 est devant nous, Perrin, mars 2007 (repris en poche « Tempus ») ; Philippe Corcuff : Les Années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Textuel, octobre 2014 ; Renaud Dély/Pascal Blanchard/Claude Askolovitch/Yvan Gastaut, Les Années 30 sont de retour. Petite leçon d’histoire pour comprendre les crises du présent, Flammarion, octobre 2014 (compte-rendu ici) ; Yvan Gastaut, Sommes-nous dans les années 1930 ?, Belin, février 2015, – sans parler d’ouvrages qui explorent le parallèle de manière moins centrale et sans l’exhiber dans leur titre. Google nous montre que la question inspire régulièrement les médias. Ainsi Les Échos organisent le 6 juin 2007 une discussion entre François Lenglet et Daniel Cohen, tous deux d’accord pour une réponse globalement positive à la question : « Crise des années 30 : le retour ? » ; Le Nouvel Observateur constate le 16 décembre 2010 que « Les années 30 hantent toujours la France » ; il revient sur la question le 17 avril 2013 pour lui consacrer toute sa couverture et un dossier : « Crise, scandales, extrême-droite… les années 30 sont-elles de retour ? » ; Alain Duhamel aborde à son tour la comparaison dans Libération du 23 juin 2011 : « Crise économique et tentation des années 30 », pour proposer de la conjurer par son européisme libéral, et y revient encore dans le même journal le 20 mars 2014 : « Le parfum aigre des années 30 » ; France Inter pose la question dans l’émission « Service public » le 16 octobre 2012 : « La crise des années 30, c’est maintenant ? » ; Le Point pousse un cri d’alarme : « Au secours, les années 30 sont de retour ! » le 8 avril 2013 ; le philosophe Michaël Foessel affirme comme Lenglet : « Les années 30 sont devant nous », dans Libération du 15 novembre 2013 ; Les Inrocks intervioutent Philippe Corcuff le 14 octobre 2014 : « Années 30, le remake ? Finkielkraut et Bouvet répondent à Corcuff » ; Alain Finkielkraut, quant à lui, critique la comparaison dans Le Figaro du 13 octobre 2014 : « L’analogie avec les années 1930 prétend nous éclairer : elle nous aveugle » ; Fabien Escalona la critique aussi sur Slate.fr, le 23 novembre 2014, mais pour des raisons plus neutres : « "Le retour des années 30", ou le gimmick paresseux des "heures les plus sombres" » ; tout comme Serge Berstein et David Engels qui le font en historiens, sur Atlantico.fr le 7 décembre 2014 : « Pourquoi les années 1930 ne permettent pas de comprendre le présent ». Une recherche plus poussée donnerait sans doute bien d’autres occurrences. À vue de nez, il me semble que la problématique s’est politisée et affaiblie : en 2007-2012, on était préoccupé par la crise économique et ses conséquences sociales, autrement dit on réfléchissait à l’avenir de la civilisation. Depuis 2012, c’est surtout la montée du F.N. qui obsède nos intellectuels chochottes, lesquels se demandent indéfiniment si les juifs vont à nouveau être génocidés, ou si au contraire ce sont les musulmans qui sont promis à l’étoile jaune et aux camps de concentration.

[4] La comparaison avec 1788 est moins courue que celle avec les années 30. C’est tout-à-fait naturel : en parlant des années 30, on peut jouer à se faire peur sur la montée de l’hydre fachiste, et pleurer sur les discriminations dont sont victimes ces pauvres minorités si méchamment rejetées par les vilains Français. Celà ne demande pas beaucoup d’efforts, c’est même ouvrir un robinet à indignations stéréotypées. Alors qu’avec la Révolution, c’est différent et ambigu : celà oblige à réfléchir globalement sur ce qui est injuste dans notre société, sur ce qui mériterait d’être aboli, sur le modèle qu’il faudrait installer à la place. Et à se demander si on serait plutôt dans le camp des révolutionnaires décidés à renverser un système qui les opprime… ou plutôt dans le camp des privilégiés victimes de la colère populaire, question fort délicate et inconfortable. Néanmoins on constate que le parallèle est brandi plusieurs fois. Ainsi l’essayiste Éric Verhaeghe (énarque passé dans le privé) est frappé par la similitude des situations économiques :  « 1788/2012 : Sommes-nous à la veille d'une nouvelle Révolution française ? », se demande-t-il sur Atlantico.fr le 15 mars 2012, pour y répondre de manière positive et inquiète. L’historien Pierre Serna se demande aussi : « Sommes-nous en 1788 ? », et sent que nous sommes en effet au début d’un cycle révolutionnaire, dans un article qui fait la couverture du n°1 de Panthéon-Sorbonne Magazine, en janvier-février 2013 ; autre historien spécialiste de la Révolution, Patrice Gueniffey trouve lui aussi qu’il y a entre « 1788 et 2013, un air de famille », comme il le dit au Point le 18 avril 2013. À gauche, Jean-Luc Mélenchon nous avertit, dans une interviou au Parisien le 30 novembre 2013 : « La France est en 1788 » ; et à droite, le « Jour de colère », manifestation du 26 janvier 2014, est interprété par certains comme un signe que nous sommes en 1788. Quant à l’historien Jean-François Sirinelli, dans L’Opinion du 16 octobre 2013, il examine les deux comparaisons pour les rejeter l’une et l’autre, au profit du milieu des années 50 (ce qui suggère implicitement un prochain changement de régime !) : « Sommes-nous dans les années 1930 ou en 1788 ? » ; il rejoint Alain Delon soi-même, qui juge aussi que nous sommes en 1958, mais que « faute d’un de Gaulle, on risque de se retrouver en 1788 », comme il le dit dans une brève interviou à Boulevard Voltaire le 18 novembre 2013. Les années 30 sont un contre-modèle universellement honni, c'est un spectre que tout-le-monde voudrait conjurer ; la Révolution, plus ambivalente, appelle un jugement partagé. Penser qu'un nouveau 1789 est pour demain, c'est craindre les futurs débordements de la Terreur, mais c'est aussi espérer la fondation d'une société plus juste. Et cependant, la crainte du pire l'emporte de loin sur l'espérance du meilleur...

[5] Telle est bien sa formule : c'est le titre du premier chapitre de la première partie de son essai Le Grand schisme (Gallimard, 1948). Il est amusant de constater qu'elle est souvent citée, par méprise, sous cette forme inversée : guerre impossible, paix improbable. C'est aussi qu'avec le recul, une fois la Guerre froide terminée, la formule inversée paraît plus sensée... Mais on ne voyait pas la même chose en 1948, et le prudent Aron avait raison, alors, de moins croire en la paix qu'en la guerre. Quant à moi, c'est bien la formule inversée que j'imite : s'il doit se passer quelque chose en France (et en Europe), ce sera un changement somme toute superficiel : un nouveau régime politique, pas une nouvelle société ; un changement de gouvernance, pas une brusque mutation de la civilisation. Et quand bien même quelques têtes devraient se balader au bout d'une pique, les tendances lourdes persisteront. Ou alors la catastrophe surviendra de l'extérieur, mais là on ne parle plus de la même chose.

La soumission volontaire des Français à la langue anglaise

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        Comme l'a expliqué Albert Memmi dans son Portrait du colonisé, l'une des marques du colonisé, c'est de survaloriser la culture du colonisateur, de vouloir l'imiter en toutes choses, de mépriser sa propre culture. C'est très exactement la situation des Français face aux États-Unis depuis 1944 : tout ce qui vient d'Amérique du nord leur paraît supérieur à ce qui vient de France, et tout ce qui est moderne leur paraît mieux dit en anglais qu'en français.
           J'ai plaisir à reproduire ici une tribune parue hier 3 juillet dans Le Monde, qui s'indigne à juste titre d'une exposition qui porte un titre anglais et remarque très pertinemment que les Français sont atteints de la rage de ne plus parler leur langue. On se gargarise que le Louvre soit le musée le plus visité au monde, mais à quoi bon, s'il ne doit plus contenir que de l'interchangeable camelote mondialisée ? Comme souvent, l'infamie morale se conjugue avec la bêtise, car en croyant choisir la stratégie commerciale la plus rentable, les valets de l'impérialisme yanqui se fourvoient et diminuent leurs bénéfices : on appréciera l'anecdote que rapporte M. Ocelot, témoignant que des Japonais ont maintenu une affiche en français pour attirer plus de spectateurs japonais à son film, alors que le distributeur français avait donné l'ordre de transformer l'affiche française en affiche anglaise.
           Cet homme s'est comporté comme une vile carpette, et disons même comme un collabo, car nous sommes en état de guerre économique, culturelle et civilisationnelle contre une hyper-puissance qui cherche à éliminer toute concurrence et imposer partout ses canons, sa mentalité, ses mœurs, ses codes, ses produits, sa langue. On songe à ce que disait Étiemble, l'auteur de Parlez-vous franglais ?, en 1981 : « Les Français d’aujourd’hui sont tous des collaborateurs de l’impérialisme américain. Ils me dégoûtent autant que les collaborateurs nazis : je les fusillerais sans hésitation aucune. » [1] M. Ocelot, quant à lui, emploie la métaphore de la rage : mais un chien qui a la rage, ne faut-il pas le piquer ?

 

 

« Les Français sont atteints de la rage de ne pas parler leur langue»

Par Michel Ocelot, auteur/réalisateur

       Monsieur le directeur du Musée des arts décoratifs,
        En France, à Paris, dans le palais du Louvre, au Musée des arts décoratifs, une grande exposition sur la mode française est intitulée, en anglais seulement, « Fashion Forward ».
        C’est grotesque, et c’est grave aussi. Je proteste en tant que citoyen français, mais surtout en tant que citoyen du monde (mon métier me permet de voyager, et j’apprécie bien des pays, qui ne doivent pas s’effacer). Vous n’avez pas le droit de participer à l’éradication d’une des séduisantes civilisations du monde ni de décevoir ce monde. La France est le pays le plus visité de la planète, on n’y vient pas pour entendre de la langue anglaise ni vivre dans une imitation anglo-américaine. Bien sûr, la grande langue anglaise est la très bienvenue − en sous-titre.
          Notez que l’incompréhension anglaise de la langue française a ses limites. Outre des termes célèbres que tout le monde connaît, comme « la mode », bien des mots sont communs, ou proches, dans les deux langues (la moitié de l’anglais vient du français et du latin − latin souvent transmis par le français). Ajoutons que la plupart des voisins de la France sont de langue romane (avec 450 millions de locuteurs à travers le monde). L’anglais sans français est alors plutôt un inconfort qu’une aide.
          Je me permets une anecdote personnelle sur l’utilisation de l’anglais par les Français. Je fais des films. J’ai l’honneur d’être distribué au Japon par un studio prestigieux d’auteurs que j’admire. Ils ont dernièrement soumis l’affiche japonaise d’un de mes ouvrages au distributeur français et au réalisateur, avec leur courtoisie habituelle. C’était l’affiche française telle quelle, avec quelques lignes ajoutées en japonais. Le distributeur français, un des plus importants, un ténor du cinéma français, avec expérience et connaissances, mais français, a immédiatement envoyé ses instructions : enlever tout le français et le remplacer par de l’anglais. Nos interlocuteurs ont alors demandé la permission de conserver le français, pour vendre mieux.
          Car ceux qui ont décidé du titre « Fashion Forward » n’ont probablement pas tellement pensé aux anglophones, ils ont d’abord visé les Français.
          Les Français sont atteints de la rage de ne pas parler leur langue. Tout est barbouillé d’anglais ou de pseudo-anglais. Noms de société, marques, émissions, vitrines, galimatias dans les médias, publicités de toutes sortes. Une promenade dans une ville française en compagnie d’un étranger est une épreuve humiliante. Un ami qui pratique la France depuis très longtemps, considérant tout cet anglais à tort et à travers, m’a dit : « Dans le temps, le citoyen français était considéré comme un coq arrogant, aujourd’hui c’est un singe sans fierté.» J’ai même vu une boulangerie qui se dénommait en anglais (en mauvais anglais – c’est un autre point, connaître d’autres langues : si ce boulanger parlait bien anglais, il trouverait le mot « boulanger » très satisfaisant). Cette « boulangerie » en anglais atteint le même abîme absolu que « mode » en anglais au Musée des arts décoratifs de Paris (le ministère de la culture siège au conseil d’administration).
          Il est bien normal d’utiliser, de temps à autre, un terme étranger pour rêver d’herbe plus verte ailleurs, ou de se gargariser d’un mot qu’on ne comprend pas tout à fait et qui s’irise d’autant plus, et il est bon d’adopter des termes nouveaux qui complètent la langue. Mais il ne faut pas que le Japon ne parle plus japonais, que l’Italie ne parle plus italien, que le Brésil ne parle plus brésilien, que l’Islande ne parle plus islandais, que la France ne parle plus français. Il ne faut pas appauvrir le monde, et il faut avoir confiance en soi.

 

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[1] Entretien avec Frédéric Ferney paru dans Le Nouvel observateur en décembre 1981 ; repris dans De Sartre à Foucault. Vingt ans de grands entretiens dans Le Nouvel observateur, Hachette, 1984, p. 341. 

Mme AZOULAY, MODIFIEZ VOTRE CABINET, NE LE CONSOLIDEZ PAS !

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            Depuis une trentaine d’années semble-t-il, les dirigeants politiques ont contracté la manie de saluer la disparition de n’importe quelle personnalité par une pluie d’hommages. Dans les heures qui suivent sa mort, le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la Culture (ou des Sports, ou d’un autre ministère concerné), les chefs des partis, les élus plus ou moins en vue et ceux qui aspirent à l’être, tous bombardent les médias de communiqués pondus par leurs services, célébrant à qui mieux mieux les mérites éminents et l’œuvre incomparable du grand disparu, qui va tellement manquer à la Nation, voire à l’Humanité. Cette manie du communiqué d’hommage mériterait une étude. À vrai dire, je n’ai commencé à y être sensible qu'un peu avant le milieu des années 90 (peut-être grâce aux Guignols de l'info, qui brocardaient ce rite chez Jacques Toubon). Mais j’ai lu Grand amour (1993), le roman où Éric Orsenna transpose son expérience de « plume » de François Mitterrand vers 1982-85, qui atteste qu’elle existait déjà alors [1]. Je serais curieux de savoir ce qu’il en était dans les années 60 et 70, et avant. Malraux, en tant que ministre, a prononcé de grands discours pour les funérailles de Georges Braque et de Le Corbusier qui, recueillis dans ses Oraisons funèbres, font partie intégrante de son œuvre, mais est-ce qu’il se fendait aussi d’un communiqué à la mort de n’importe quel académicien, de n’importe quel lauréat de prix littéraire, d’un cinéaste, d’un chanteur, d’un couturier, d’un cuisinier, d’un champion sportif ? Et de Gaulle, et Pompidou ? Je croirais volontiers que notre hommagite actuelle est une sorte de compensation : nos petits politiques ne vivent plus dans la Culture ni dans l’Histoire, ils ont donc besoin de faire semblant du contraire en établissant un lien entre eux et n’importe quelle figure un tant soit peu mémorable [2]. De Gaulle et Malraux étaient de plain-pied dedans, déjà assurés de leur immortalité : ils n’avaient pas besoin de s’accrocher à la remorque des disparus… Et avant les années 60 ? Eh bien la politique vivait beaucoup moins de communication. La télé n’existant pas et la radio à peine, il n’y avait pas cet appel d’air permanent qui pousse les politiciens à faire incessamment parler d’eux en occupant les ondes le plus souvent possible. Le gouvernement décrétait des obsèques nationales pour Victor Hugo, Maurice Barrès ou Paul Valéry, mais il ne dut sans doute pas publier officiellement sa peine quand moururent Xavier de Montépin, Coquelin aîné, Suzanne Lenglen ou Vincent Scotto.
 
            Si je devenais ministre de la Culture, ma première mesure serait de mettre fin à la pratique de ces communiqués d’hommage, qui font plus de mal que de bien. Ils participent à la dégradation de la parole politique : ils sont trop systématiques, trop proliférants, trop convenus, pour avoir la valeur d’une reconnaissance officielle (telle qu’une décoration ou la dénomination d’un lieu public) qui suppose une sélection réfléchie. Mais en même temps, engageant leur signataire, ils sont beaucoup trop artificiels pour ne pas paraître comme une grotesque imposture dans ce qu’ils ont de personnel. Quand Malraux fait un discours en hommage à Braque ou Le Corbusier, il fait du Malraux, et personne ne peut douter qu’il déclare ce qu’il pense. Quand Hollande, Valls, Fleur Pellerin ou Audrey Azoulay publient un communiqué pour rendre hommage à Pierre Boulez, Michel Tournier, Jacques Rivette ou Yves Bonnefoy, qui peut croire qu’ils pensent ce qu’ils signent ? Tout-le-monde se doute qu’ils ne connaissent que de très loin l’œuvre qu’ils saluent, tout-le-monde sait qu'ils n’ont pas écrit eux-mêmes ces communiqués, et qu’ils auraient même été incapables de les écrire.
Audrey Azoulay.jpg            Non seulement ces communiqués ne servent à rien, mais ils mettent en péril leur signataire en les exposant aux huées à la moindre boulette. Celui que Mme Azoulay, notre nouveau ministre de la Culture depuis le remaniement de février, vient de publier pour saluer Michel Butor en est un remarquable exemple. Écrivain lié au groupe du Nouveau Roman, Michel Butor est surtout connu pour deux romans très ennuyeux mais très prisés dans le monde universitaire, L’Emploi du temps (1956) et La Modification (1957) [3]. Ce dernier est devenu un classique contemporain, qui a fait l’objet dès 1972 d’un volume dans la fameuse collection parascolaire « Profil d’une œuvre » chez Hatier [4]. On peut considérer que, même sans l’avoir lu, connaître son existence fait partie du bagage culturel de l’honnête homme. Mais pas de Mme Azoulay apparemment, puisque son communiqué trouve le moyen de modifier La Modification, en rebaptisant ce roman La Consolidation. Pas non plus, signalons-le en passant, de la greluche de France-Infos qui lisait les dépêches hier soir : vers minuit, je l’ai entendu rebaptiser l’œuvre la plus connue de Michel Butor La Modération. Au moins l’erreur était-elle moins grande, puisque les deux mots sont phonétiquement proches. On peut même, par indulgence, supposer que le titre était correctement écrit sur son papier et qu’elle a fait un lapsus.
            Il n’est pas possible d’être aussi indulgent avec Mme Azoulay, qui vient de placer la barre assez haut dans le concours des bévues culturelles de nos politiciens, suscitant à juste titre la consternation générale, dont témoigne par exemple cet article de Laurent Nunez dans Marianne.  Michel Butor.jpgIl y a quelques années (avril 2011), on avait fait des gorges chaudes de Frédéric Lefebvre, alors secrétaire d’État à la Consommation, répondant que le livre qui l’avait le plus marqué dans sa vie était Zadig et Voltaire ; ce n’était pourtant, peut-être, qu’un petit lapsus très banal, correspondant par pure coïncidence au bizarre nom d’une marque de fringues pas très connue. Qu’aurait-on dit s’il avait répondu Zadig et Rousseau, ou Carmen et Voltaire ! En mai 2015, on a aussi tourné en dérision Nicolas Sarkozy pour avoir, dans un touit, intitulé le dernier roman de Victor Hugo 1793, alors que son vrai titre est Quatre-vingt-treize : une erreur tout-à-fait vénielle, qu’on avait dû commettre dix-milles fois avant lui. L’erreur d’aujourdhui est plus lourde, et surtout, elle est logée au cœur d’un texte officiel.
            Entendons-nous. On n’attend pas forcément d’un ministre de la Culture qu’il soit d'une érudition impeccable lui permettant de briller au Jeu des 1000 euros ou à Questions pour un champion, en sortant du tac-au-tac les principaux titres de Michel Butor ou de n'importe quel autre écrivain français. On admet volontiers qu’un ministre de l’Agriculture n’est pas censé savoir traire une vache ni un ministre de la Santé savoir faire une transplantation cardiaque ; on a plus de mal à admettre qu’un ministre de la Culture n’est pas censé avoir lu tous les livres, vu tous les films, écouté toutes les musiques, contemplé tous les tableaux : on a tort. On peut être un très bon ministre de la Culture, savoir piloter son administration, faire avancer ses dossiers, défendre son buget, mettre en œuvre des projets visionnaires, et néanmoins présenter quelques lacunes en littérature des années 50. L’erreur aurait été commise dans une interviou orale, on y aurait vu un simple lapsus, moins fâcheux que la panne de son prédécesseur, Fleur Pellerin, incapable de donner un titre de Patrick Modiano tout frais prix Nobel [5].
              Mais ce n’est pas une erreur orale. Ce qui est grave, c’est que personne dans son cabinet n’ait repéré la grosse boulette qui entache son communiqué d'hommage à l'auteur de La Modification. Un tel communiqué, je le sais d’expérience, a été rédigé par la personne du cabinet chargée des discours et messages. Il y a peut-être même une cellule de presse, avec plusieurs collaborateurs qui peuvent s’épauler. Ensuite, le texte de ce communiqué a été relu et visé par au moins une autre personne, le directeur du cabinet. On peut même supposer qu’il a été relu par quatre personnes : le conseiller chargé du livre et de la littérature, le chef du service de presse qui contrôle tout ce qui est publié, le directeur du cabinet et le ministre lui-même. Il est donc ahurissant que personne n’ait vu l'erreur de titre, que personne n’ait ouvert un dictionnaire pour vérifier que tout était exact. Il n’y a aucun érudit de référence dans le cabinet du ministre de la Culture, aucun incollable sur les grands noms de la littérature ? Dans le cabinet de n’importe quel autre ministère, admettons, mais dans celui de la Culture ? Personne pour détecter les bévues culturelles qui risqueraient de discréditer le ministre en suscitant les risées de tous les médias et des « réseaux sociaux » ? C’est à se demander si l’erreur ne serait pas volontaire : est-il inimaginable que le rédacteur du communiqué, sur le départ et plein de rancœur envers sa patronne, ait sciemment commis cette erreur de titre, afin de se venger de Mme Azoulay en la ridiculisant ? [6] Faute de cette hypothèse romanesque mais presque rassurante, il faudrait admettre que, dans le cabinet de l’actuel ministre de la Culture, on n’est pas fichu de pondre un texte manifestant une connaissance élémentaire de la littérature contemporaine.
              Il y a beaucoup plus grave que l’ignorance d’un ministre : l’amateurisme de son équipe.

Azoulay sur Butor.jpg


            Et ce n’est pas tout ! La lecture attentive du communiqué révèle d’autres détails déplaisants :
- La mise en page suit la détestable norme américaine : des paragraphes espacés par une interligne mais dépourvus d’alinéa.
- « … compagnon d’aventure du Nouveau Roman, d’Alain Robbe-Grillet, de Nathalie Sarraute ou de Claude Simon » : c’est un peu étrange de juxtaposer un nom de groupe et les noms d’individus qui le composent. Est-ce qu’on dirait : compagnon des Beatles, de Lennon, de McCartney ?
- Le mot « œuvre » est écrit deux fois, la seconde fois correctement, mais la première fois « oeuvre », avec les deux premières lettres séparées et non mêlées.
- Le titre La Consolidation n’est pas seulement faux, il est aussi encadré de guillemets au lieu d’être en italiques.
- Ce titre est également mal typographié, puisque l’usage français veut qu’on mette une majuscule au premier substantif (ou premier adjectif) d’un titre.
- À deux reprises, le texte utilise les guillemets droits anglais (""), au lieu des guillemets chevrons à la française (« »).
- « … celui qui obtint le prix Renaudot pour "La consolidation", semblait animé… » : pourquoi cette virgule entre le sujet et le verbe ?
- « … animé d’un formidable appétit de découvertes et d’expériences mais sans doute plus encore du plaisir de… » : dans cette phrase bien longue, il convenait en revanche de ménager une respiration en mettant une virgule avant la conjonction « mais ».
- « … partager chacune d’elle par le texte-prose ou poésie » : mais qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Le texte-prose ?? Je n’ai jamais rencontré ce mot-composé. Si tant est qu’il existât dans l’idiolecte butorien, il convenait d’écrire : « par le texte-prose ou par la poésie ». Mais la formule naturelle était plutôt : « le texte en prose ou en poésie » ou « le texte prosaïque ou poétique ».
- « … il s’illustrera… » : ce futur, alors que la phrase précédente est à l’imparfait, n’est pas très bien venu.
- « … adresse à sa famille et à ses proches, ses sincères condoléances » : encore une virgule incongrue. On ne sépare pas ainsi le C.O.D. Si on tenait absolument à ménager des pauses (quoique le rédacteur ait montré dans le deuxième paragraphe qu’il pouvait aligner trente-deux mots entre une virgule et un point), il fallait mettre une autre virgule entre « adresse » et « à sa famille », afin d’encadrer le C.O.S.
 
            Onze taches sur ce court texte, en plus de sa grosse erreur, c’est tout de même beaucoup pour une publication du ministère de la Culture ! Son rédacteur mérite un zéro pointé et le renvoi immédiat. « Amenez-moi un agrégé qui sache écrire », aurait dit de Gaulle en 44 à son directeur de cabinet René Brouillet, qui lui présenta son camarade archicube Georges Pompidou. Il est urgent que Mme Azoulay remanie son cabinet et fasse la même demande ! On n’attend pas, je le répète, qu’un ministre de la Culture soit imbattable à Questions pour un champion. Mais on peut attendre que le ministère de la Culture ne publie que des textes en bon français, sans méprise affligeante, des textes respectant la langue française et les usages d’écriture français. Des textes qui donnent l’exemple au lieu de nous faire honte. Et on attend aussi des dirigeants politiques moins de bavardage et plus de pensée, moins de communication et plus d’action.

 

 

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[1] Ce roman hautement fantaisiste n’a toutefois aucune valeur documentaire. On y reconnaît, non nommés ou affublés de noms d’emprunt, des personnages de l’Élysée (Hubert Védrine, le docteur Gubler, Jacques Pilhan et Gérard Collé, Georgette Elgey, etc), et des anecdotes authentiques car racontées ailleurs (Thierry de Beaucé achetant un château qu’appréciait Mitterrand pour pouvoir l’y inviter, p. 230-231 de l’édition Points-Seuil n°11, 1995 ; Mitterrand allant déjeuner chez Michel Tournier pour y parler de Zola, p. 146-148), mais aussi bien d’autres qui ne peuvent être qu’inventées. L’auteur ne se soucie même pas de vérifier les détails : ainsi fait-il de Jacques Delors le président de la Commission européenne lors du sommet de Versailles en 1982 (p. 105). – Trois pages, 116-118, sont consacrées à la rédaction des messages nécrologiques. Le narrateur prétend entretenir un réseau d’informateurs dans les hôpitaux, de façon à être averti le premier des décès d’une personnalité. Ainsi : « Je gagne toujours, presque toujours, la course du chagrin. Car une fois tombée la mauvaise nouvelle, l’annonce d’un trépas quelque peu considérable, tout le monde se précipite. Président, Premier ministre, ministre concerné, opposition… Chacun veut montrer sa peine avant les autres. Trop tard, mesdames, messieurs, Gabriel a déjà rédigé son télégramme de condoléances. / Parfois, nous ne savons même pas à qui les envoyer, ces télégrammes. Les célébrités n’ont pas toujours de famille. Alors, nous les adressons aux principaux journaux, faute de mieux. Les condoléances flottent dans l’air, sans personne sur qui se poser. C’est un peu triste. Mais, finalement, la presse n’est-elle pas la vraie famille des célébrités ? » (p. 117). Je ne crois pas à ce réseau d’informateurs hospitaliers permettant au nègre élyséen de devancer à chaque fois ses concurrents. Mais que penser de ceci : vers 1985, l’hommage présidentiel était dabord purement privé, et c’est seulement par accident et par exception qu’il était publié sous forme de communiqué de presse ?

[2] D’autres motivations doivent aussi jouer, bien sûr. Je me demande dans quelle mesure il n’y aurait pas, inconsciemment, la crainte que ces grands noms du passé, qui ont contribué au rayonnement de notre pays, ne trouvent pas leurs successeurs dans les nouvelles générations, de telle sorte qu’avec leur mort, c’est un peu de la gloire de la France qui disparaît à jamais.

[3] Je suis très sceptique quant à ses chances de survie à long terme. Son œuvre vaste et multiforme comprend un grand nombre d’essais critiques, notamment la série des Improvisations. Chaque fois que j’ai été amené à les ouvrir, j’ai été frappé par leur vacuité et leur gratuité : soit des pages de platitudes sans intérêt, soit des hypothèses fantaisistes dépourvues de justification.

[4] Cette étude de Bernard Lalande a, semble-t-il, été réimprimée jusqu’en 1996, mais a maintenant disparu du catalogue. C’est qu’il ne doit pas y avoir, depuis vingt ans, beaucoup de professeurs de français assez insensés pour faire étudier ce livre soporifique à leurs classes de première !

[5] Cette nâvrante ignorance – qui prouve une fois de plus que les politiques ont plus à perdre qu’à gagner en allant faire les guignols sur les plateaux de télévision – avait suscité une belle tribune de Christian Combaz dans Le Figaro. Il reprochait à Mme Pellerin (qui a plus tard plaidé le trou de mémoire) d’avoir manqué de professionnalisme : « Quand on est chargé de la promotion de la culture française, le matin où l'on apprend que Patrick Modiano a décroché le prix Nobel, on tape son nom sur Wikipédia à l'heure du café. Dans l'ascenseur on se fait résumer Villa Triste. On demande un dossier de presse avant dix heures et demie. N'importe quel cadre commercial à qui l'on vient d'annoncer l'obtention d'un nouveau marché se rue sur les informations du tribunal de commerce. La ministre de la culture, en recevant un coup de fil de chez Gallimard, serait donc incapable de bachoter son sujet une demi-heure avant que les caméras ne débarquent ? » Ce à quoi on peut répondre, comme l’ont fait certains,  par exemple ici ou , que Mme Pellerin a de la sorte offert une sincérité rafraîchissante, rompant avec la culture de l’esbroufe, avec ces polytechniciens et ces énarques qui « savent tout, mais rien d’autre » (comme disait Clemenceau), avec ce vernis qui cache le vide, ces fiches qui remplacent l’acquisition personnelle, ce bachotage qui se substitue à la culture. Voilà un débat qui me trouve bien partagé. C. Combaz le place avec raison sur le terrain de la civilité : «Tant de fois pour ma part, avant d'aller dîner chez un écrivain, avant d'aller au théâtre sur une aimable invitation de l'auteur, j'ai commandé un ouvrage ou consulté des articles, la veille, pour rafraîchir ma mémoire à leur sujet. Je ne suis pas ministre, je suis simplement poli. » En effet, il n’y a pas de politesse sans hypocrisie, mais doit-on pour autant encourager nos politiciens à montrer une vaine infaillibilité dans leurs numéros de cirque médiatique, au lieu de se construire une personnalité forte, avec ce que celà suppose de lacunes ? C. Combaz emporte néanmoins la conviction en élevant le débat : « Le problème est que vous n'étiez pas en mesure, à l'occasion de cet événement, de promouvoir l'image de la France à l'étranger, au moment où elle est si souvent écornée dans d'autres domaines. Le scandale est que vous n'ayez pas saisi cette chance pour prononcer un discours intelligent, que le monde entier aurait écouté, sur la sensibilité littéraire de la France, sur l'importance que revêt la littérature dans la vie sociale de notre pays. Et la raison pour laquelle vous ne l'avez pas fait, c'est que vous en ignorez tout. » Eh oui, dans le pays de de Gaulle et de Malraux, on ne peut pas ne pas attendre que nos dirigeants aient du souffle littéraire, le sens de la grandeur,  la conscience du destin historique de la France. Pour notre malheur peut-être, on ne peut pas se satisfaire qu’ils soient de parfaits gestionnaires et d’exemplaires technocrates.

[6] Vieux fantasme des nègres politiques… Je ne sais plus où j’ai lu que le rédacteur des discours de Ronald Reagan racontait qu’il rêvait, à l’occasion d’une intervention importante devant la presse internationale, de mettre entre les mains du président une épaisse liasse, dont seules les deux premières feuilles auraient été rédigées, la troisième portant : « Et maintenant, espèce de con, tu te débrouilles tout seul ! »


SECOND TOUR DES PRIMAIRES DE LA DROITE : SANS MOI

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            Le premier tour des primaires de la droite, dimanche dernier, a donné lieu à quelques bonnes nouvelles :
                        - l’élimination de Nicolas Sarkozy (20,7%), et conséquemment la fin de sa carrière politique. Bien que sa désignation comme le candidat de la droite eût été sans doute une très bonne chose pour la candidate du Front National, néanmoins on ne peut que se réjouir de voir enfin mis hors-jeu un homme qui aura fait tellement de mal à la France. Qu’après Giscard, un autre ancien président échoue à revenir au pouvoir (comme je l’avais annoncé en mai 2012) est aussi une bonne chose : celà montre qu’on n’est pas toujours condamné à subir les mêmes nuiseurs jusqu’à leur mort. Depuis trois ou quatre ans, tout-le-monde voyait venir – avec désespoir – un nouveau duel en 2017 entre Hollande et Sarkozy, revanche de celui de 2012. On n’aura sans doute ni l’un ni l’autre : ouf !
                        - le score assez misérable de Nathalie Kosciusko-Morizet (2,6%), qui montre que les électeurs de droite ne sont pas du tout attirés par un discours « jeune », moderniste, féministe et pour tout dire gauchiste. Il est vrai que ce score est moins faible qu’elle aurait pu le craindre (que dire de Jean-François Copé et son 0,3 % !, une baffe monumentale qui remet en question le principe selon lequel un candidat qui n’espère pas l'emporter a tout à gagner à participer) ; il est vrai qu’elle peut même se féliciter de terminer quatrième… Mais ne boudons pas notre plaisir de la voir si bas.
                        - le score carrément ridicule de Bruno Le Maire (2,4%), candidat assez prétentieux (il se voyait gagner encore jeudi 17 novembre !), qui n’aura proposé aucune idée à part le renouvellement de la classe politique, supposé incarné par sa propre personne. Dans dix ans il pourra au contraire tout miser sur l’argument de l’expérience, surtout si entretemps il a réussi à faire un stage à Matignon… C’est sans doute raté pour le printemps prochain, mais il ne manquera pas de se voir offrir d’autres occasions.
                        - l’échec d’Alain Juppé, qui espérait terminer en tête avec au moins 35% pour s’imposer comme le favori du second tour, et qui se retrouve deuxième avec 28,6%, un score qui, probablement, met fin à la carrière nationale de ce détestable gaucho-libéral.
                        - le succès de François Fillon, pas le plus infâme des candidats, qui a écrasé ses adversaires avec 44,1%, alors qu’il y a encore deux mois les sondages le donnaient quatrième avec environ 10/12%. La bonne nouvelle réside en ceci qu’un discours plutôt conservateur sur le plan sociétal s’est révélé porteur, et en ceci que les électeurs ont su choisir un « troisième homme » pour mettre en échec le duel annoncé qui leur était vendu par les médias.
 
            J’aurais bien aimé que Sarkozy ne franchît même pas la barre des 20%, ou que Fillon l’emportât dès le premier tour, mais ne chipotons pas. De mon point-de-vue, la vraie déception est le score de Jean-Frédéric Poisson, pour qui j’avais voté : 1,4%. J’espérais qu’une bonne partie des électeurs du Front National et des partisans de « La Manif pour tous » se déplacerait afin de marquer officiellement sa préférence pour le candidat qui était le plus proche de nos idées. Je me disais qu’une large mobilisation pouvait le placer aux alentours de 10%, ce qui aurait constitué un petit séisme tout-à-fait intéressant. J’ai un grand nombre de camarades qui ont fait comme moi (ou tout au moins annoncé qu’ils le feraient ?), mais ceux-ci ne sont pas représentatifs. Le gros des électeurs conservateurs s’est reporté sur Fillon, préférant un candidat plus consensuel mais ayant de vraies chances de gagner, choix qui certes peut se comprendre, même si c’est un choix de futurs cocus. Ils ont raté une occasion de scier le cocotier de mai 68, et je le regrette beaucoup.
            Je me demande par ailleurs si cette élection ne marquerait pas un phénomène pas encore clairement perçu : la prise du pouvoir par les vieux. Dans le bureau de vote où j’ai voté dimanche dernier en fin d’après-midi, le spectacle était édifiant : j’ai croisé une quinzaine de personnes dont pas une seule n’avait moins de 60 ans, et dont la moyenne d’âge devait avoisiner les 75 ans. Je me sentais un intrus débarqué par erreur au milieu d’un cleube du troisième âge, c’en était presque angoissant. Et j’ai lu quelques témoignages faisant état de la même observation. Diverses études [1] confirment que les électeurs étaient environ 40% dans les plus de 65 ans, et 45% à être retraités. Ce sont les vieux qui ont fait la victoire de Fillon, qui est celui des candidats qui a l’électorat le plus âgé. On peut penser qu’on a là le chant du cygne de cette génération, car les suivantes ont des opinions contraires (moins européistes, moins obsédées par la réduction des impôts, moins bienveillantes à l’égard du multiculturalisme). Mais on peut aussi se demander si, dans les décennies à venir, l’abstention croissante ne va pas régulièrement mettre au pouvoir le candidat préféré des vieux, les seuls à voter encore massivement.
 
Fillon-Juppé.jpg            En ce qui me concerne, après réflexion, je vais m’abstenir de voter demain au second tour des primaires de la droite :
           1°) Je me sens globalement plus proche de Fillon que de Juppé, donc je préférerais le premier à l’Élysée, – MAIS Juppé serait un adversaire préférable pour Marine Le Pen : son positionnement centriste et bourgeois offrirait plus de prise au discours national-populaire du F.N. Inversement, Fillon risque de « siphonner » pas mal de voix dans la droite catho. Faut-il voter pour le moins pire des candidats du parti qui l'emportera, ou la jouer stratégique en choisissant le candidat le plus prenable par le parti qu'on soutient ? Dilemme cornélien...
              2°) Fillon a un discours intéressant par certains aspects, – MAIS nettement moins que celui de J.-F. Poisson ; son passé de collaborateur de Sarkozy pendant cinq ans plaide contre lui, et il ne tiendra sans doute pas la plupart de ses promesses : du reste, la polémique sur l’I.V.G. il y a quelques jours montre bien que, quels que soient ses troubles de conscience, il n’est absolument pas l’homme qui reconstruira tout ce que le mai-68ardisme a détruit.
                3°) Le côté islamophile et mondialiste d’« Ali Juppé », candidat de « l’identité heureuse» est abject, – MAIS quand on creuse, on s’aperçoit qu’il ne faut pas attendre une attitude franchement différente de la part de Fillon. Il n’y a aucune raison de penser qu’il sauvera la France de la submersion africaine. Il a nettement déclaré qu’en cas de duel P.S./F.N. au second tour des présidentielles, il voterait pour le P.S. « sans hésiter ». Ne nous faisons aucune illusion sur son appartenance complète au droidlomisme.
           4°) Fillon a un programme sociétal préférable à celui de Juppé, ce gauchiste presque revendiqué – MAIS il a aussi un programme économique très « libéral » et très destructeur : émule de Thatcher, au moment où la Grande-Bretagne tourne enfin le dos au thatchérisme, il va faire payer les pauvres et soulager les riches : une politique qui pourra obtenir quelques résultats à court terme, mais ravagera le pays en profondeur à long terme. Fillon fait totalement partie de ces gens du passé qui ne voient de salut que dans la production et la croissance.
            5°) Le programme éducatif de Fillon me plaît plus que celui de Juppé, – MAIS je rejette avec horreur son projet de rendre les parents « vraiment membres de la communauté éducative » (les parents sont la plaie de l’Éducation Nationale), je suis hérissé par sa volonté de renforcer l’anglais à tous les niveaux, je hausse les épaules devant son souci de mettre l’accent sur les outils numériques, et je reste dubitatif devant l’idée de rétablir la note de vie scolaire au collège (le genre d’idée intéressante en théorie, mais nuisible en pratique car forcément dévoyée en prime à la docilité droidlomiste).
            6°) Fillon a un passé gaulliste beaucoup plus évident que Juppé, il a compté parmi les séguinistes, il a voté non au référendum de Maastricht en 1992, – MAIS il a tourné casaque pour devenir un libéral européiste comme les autres. Il a voté oui au référendum sur la constitution européenne en 2005, il est complice sinon co-responsable du traité de Lisbonne et de la réintégration dans l’OTAN. Président d’une commission de l’Assemblée nationale pendant le gouvernement Chirac (1986-88), ministre pendant toute la durée des gouvernements Balladur (1993-95), Juppé (95-97) et Raffarin (02-05), Premier ministre pendant tout le quinquennat de Sarkozy (2007-12), il ne peut absolument pas être dissocié de toutes ces politiques gaucho-libérales et antigaullistes qui ont mécaniquement défait ce que le Général avait fait. Ceux qui voient en lui un autre Philippe de Villiers seront cruellement déçus, et il ne faut pas non plus croire qu'il penche secrètement du côté d'Henri Guaino ou Nicolas Dupont-Aignan, même si son amitié avec Vladimir Poutine est un point positif.
            7°) Alain Juppé, khâgneux de Louis-le-Grand, normalien, agrégé de lettres classiques en 1967, a une formation littéraire qui m’est sympathique, – MAIS il fait tout pour la faire oublier. L’a-t-on jamais entendu faire une citation en latin ou en grec ancien ?? À l’instar de Laurent Fabius, il fait partie de ces normaliens-énarques chez qui l’énarque a complètement étranglé le normalien. Rien ne nous permet d’attendre de sa part ce petit supplément littéraire et « vieille France » qui nous manque tant depuis Mitterrand.
              8°) Juppé a globalement montré dans sa carrière plus de caractère que Fillon qui a un côté poule mouillée, – MAIS il a aussi une morgue, une vanité, un entêtement qui ne présagent rien de bon. Toujours aussi cassant, voire pire qu'avant, c’est un technocrate qui saurait tout au plus résoudre une crise économique par des solutions à court terme. À la mairie de Bordeaux, il a atteint son seuil d’incompétence. Rien en lui ne fait deviner un « homme des tempêtes», suffisamment inspiré pour faire basculer le destin de la France.
                 9°) La gauche et les médias bien-pensants ont déclenché cette semaine un tir de barrage contre Fillon. Il y a quelque chose d'insupportable à l'idée que la gauche puisse choisir le candidat de la droite (j'ai toujours trouvé monstrueuse cette idée de primaires ouvertes, je n'y ai participé que pour les torpiller), et celà donne envie d'intervenir pour contrer cette manœuvre, – MAIS contrairement à Poisson, Fillon n'a pas donné assez de gages au Front National pour qu'on ait envie de se porter à son secours. S'il doit trébucher (ou gagner par un score décevant), celà fera réfléchir l'ex-UMP sur le bien-fondé de ces primaires ouvertes. On peut même penser cyniquement qu'une déviation des primaires de la droite par la gauche, ce serait tout bon pour le F.N. Du reste, il n'est pas du tout certain que cette mobilisation gauchiste soit efficace : est-ce que le favoritisme éhonté des médias ne va pas, comme aux É.-U.A., renforcer le candidat perçu comme anti-système  ? (même si ce serait lui faire trop d'honneur dans son cas.)
                 10°) Celà me ferait plaisir de contribuer à l’écrasement de Juppé, – MAIS je ne tiens pas non plus à offrir un triomphe romain à Fillon.

 
            Ainsi la balance penche du côté de Fillon, mais pas assez pour que je vote pour lui, pas assez pour que je m’en morde les doigts si Juppé devait l’emporter, pas assez pour que je lâche deux euros. (De même qu’il y a cinq ans, je m’étais abstenu au second tour des primaires de la gauche : j’avais une légère préférence pour François Hollande contre Martine Aubry, mais pas assez pour me déplacer.) Je ne crois pas que Fillon ferait une politique foncièrement meilleure que celle de Juppé, je pense que son électorat de la droite conservatrice sera globalement déçu par lui. Qu’ils se départagent sans moi.

 

 

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[1] Voir ce sondage de l’IFOP auprès de 7505 personnes, qui, parmi les sondés certains d’aller voter, donne 41% de 65 ans et plus et 48% de retraités ; ou cette étude d’Elabe (8002 sondés par l’internet le jour du vote) : 39% de 65 ans et plus, 43% de retraités ; ou encore ce sondage Harris (7901 sondés par l’internet le jour du vote) : 35% de 65 ans et plus, 46% d’inactifs.

EMMANUEL MACRON, LA VICTOIRE DU TALENT

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         Je suis très impressionné par Emmanuel Macron. Je réprouve la totalité de sa politique, mais ça ne m’empêche pas de penser que, sur un plan personnel, c’est un type exceptionnel. Exactement comme Giscard, autre type exceptionnel – qui n'aura fait à peu près que des erreurs. Macron est un sous-Giscard (l'écart entre l'un et l'autre est un symptôme de notre déclin depuis un demi-siècle), mais il reste plus brillant que la plupart de nos politiques actuels, en particulier François Fillon qui s'est révélé une nullité. Tous ceux qui, depuis plus d’un an, le tiennent pour une baudruche, pour une pure création des médias, pour un golème créé en laboratoire par Attali, Minc et Bergé, tous ceux qui affectent de croire qu’il n’aurait fait que 3% s’il n’avait pas eu beaucoup de chance et toute l’oligarchie financière derrière lui, tous ceux-là sont complètement aveuglés par leurs préjugés idéologiques et ne comprennent rien à rien. Vous verrez dailleurs que dans cinq ans ils continueront à dire la même chose. Ils se sont piégés tout seuls en se laissant obnubiler par des vidéos parodiques ou des gifs animés : à force de vouloir faire croire que Macron n’était qu’un pantin ridicule, ils ont fini par le croire eux-mêmes. Ils ont répété obsessionnellement que Macron n’était qu’une ruse de Hollande pour se maintenir au pouvoir, et ils n’ont pas vu qu’il réussissait à incarner un dépassement du clivage droite/gauche. Très lourdes erreurs. Il est dailleurs amusant que ceux qui prétendent défendre le peuple ne voient en lui qu'un ramassis de gogos que les médias manipulent à volonté en leur faisant croire n'importe quoi. Si l'on se veut vraiment démocrate, il faut prendre au sérieux toute adhésion populaire, au lieu de la rejeter par principe comme cocufiée ou traîtresse. Si En Marche et son meneur se sont trouvés en phase avec une partie de l'opinion, ce n'est peut-être pas seulement par escroquerie de ceux-là et illusion de celle-ci. Macron, c’est le Trump français : de l’un et l’autre on a cru que leur campagne ferait pchit assez rapidement, de l’un et l’autre on n’a pas cessé d’attendre l’effondrement, et pourtant ils sont allés jusqu’au bout. Bien sûr, la ligne politique et le style personnel rapprochent plus Marine Le Pen que Macron de Trump. Et pourtant Trump a été élu parce qu’il offrait un renouvellement de la classe politique, ce que Macron a aussi réussi à faire penser de lui. Ceux qui connaissent trop le monde politique ne comprennent plus l’électeur moyen : parce qu’ils savent, eux, que Macron est un homme du Système, ils n’ont pas réussi à percevoir la fraîcheur qu’il dégage ni le changement qu’il promet. Je déteste cet acharnement dans l’hostilité qui offusque la compréhension. Macron a été constamment sous-estimé, ce qui est une erreur fatale en politique. Louis-Napoléon Bonaparte et Adolf Hitler aussi doivent une bonne part de leur accession au pouvoir à cette incapacité de leurs adversaires à les estimer à leur juste valeur. Croire qu'il suffit, pour être élu président, d'avoir de la chance et de voir l'un de ses adversaires dézingué par des « affaires », c'est croire qu'il suffit d'avoir un bon thème astral pour devenir Napoléon.  
            Ainsi, le camp de la droite nationale (de même que les autres, mais ceux-là, je m'en fiche) a commis deux énormes erreurs stratégiques sur Macron : 1) croire que c'est un nul, une baudruche, un simple esbroufeur qui ne tiendra pas la distance et n'a aucun véritable projet ; 2) croire que son succès, purement artificiel, n'est que le résultat d'une énorme propagande orchestrée par les médias. — Alors que c'est un type de valeur qui incarne naturellement une part importante de l'opinion. Les militants patriotes paieront cher cette erreur, comme Marine Le Pen qui a cruellement mordu la poussière lors du débat de mercredi et du scrutin de dimanche : sous-estimer l'ennemi et ne même pas le comprendre, c'est être à moitié battu avant même que le combat commence.
          En outre, non seulement les militants sont bêtes mais ils ont l’esprit étroit, l’imagination pauvre, la sensibilité atrophiée. Ils ne sont pas assez littéraires : quand bien même on n’accorderait aucune valeur à l’individu Macron, comment ne pas être fasciné par le caractère extraordinairement romanesque de sa vie ? Devenir président à 39 ans et quatre mois et demi (en battant le record, qui semblait inaccessible, de Louis-Napoléon Bonaparte, élu à 40 ans et huit mois en décembre 1848), c’est bleufant. Et cette façon de tomber amoureux de sa prof de français qui a vingt-quatre ans de plus que lui, de parvenir à la séduire et l’épouser, de passer de la banque au cabinet de l’Élysée (secrétaire-général adjoint à 34 ans !), de devenir ministre de l'Économie à 36 ans, de claquer la porte du gouvernement deux ans après, de créer un mouvement politique, de se lancer aussitôt dans une campagne présidentielle, de se faire élire en éliminant la gauche, l’extrême-gauche, la droite et l’extrême-droite : quel parcours, quelle histoire ! Sarkozy – lui aussi un magnifique personnage de roman – disait qu’il faut raconter une histoire [1] aux Français, – et telle est peut-être la clef de la terrible impopularité de François Hollande : contrairement à tous les autres occupants du poste, il n’aura jamais su se présenter à eux comme un personnage de roman. Avec Macron, le niveau romanesque de la présidence française remonte assez haut. On a tous envie de s’identifier à lui, alors qu’on ne rêve pas d’être François Hollande, ni Marine Le Pen, ni François Fillon. Quelle mesquinerie d’âme faut-il pour ne pas percevoir le caractère prodigieux de ce destin, pour ne pas être éberlué par cette réussite sans précédent ! Laissons un instant tomber nos préjugés idéologiques et saluons l’artiste : quel surdoué, quel magicien !... On trouve ses discours amphigouriques ? Mais s'ils ont plu, c'est qu'ils devaient parler à ses auditeurs, et on devrait chercher à comprendre ce phénomène paradoxal avant de crier à l'imposture de l'un et la sottise congénitale des autres. On blâme le côté formaté, artificiel, coaché du manager ? Mais le professionnalisme a ses vertus : on a trop souffert de l’amateurisme du quinquennat de son prédécesseur, on l’a trop déploré dans la campagne de son adversaire du second tour, pour ne pas se réjouir à l’idée que la France va être dirigée par quelqu’un qui sait se montrer efficace pour atteindre un objectif qu’il s’est fixé. Macron sait où il va, il comprend vite et bien, il corrige ses erreurs, il a beaucoup de flair, beaucoup de maîtrise, et même beaucoup de cran. Certes ce n’est qu’un technocrate, sur qui sa formation littéraire n’a déposé qu’un léger vernis, mais dans cette engeance à laquelle nous sommes habitués, il est un des plus beaux spécimènes, l’un des plus audacieux et des plus malins. Et cette poissarde de Marine Le Pen qui croyait le faire craquer lors du débat de mercredi ! Il faut bien avouer que l’intelligence l’a emporté sur la bêtise.
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             Car je pense aussi qu’Emmanuel Macron, candidat de l’anti-France, de la soumission à l’Europe allemande et de la dissolution de notre pays dans la mondialisation anglo-saxonne, mérite d’ores et déjà un procès pour haute trahison débouchant sur le poteau et douze balles.

 


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[1] Rapporté dans Des hommes d’État de Bruno Le Maire, à la date du 14 juin 2005 : « Ce qu'il faut bien voir, Dominique, c'est que la baisse du chômage, ça ne suffira pas aux Français. Ils vous sauront gré d'avoir voulu le faire baisser et, si vous y arrivez, ils vous sauront gré de l'avoir fait, mais ça ne suffira pas. Il faut leur raconter une histoire, aux Français. Qu'est-ce que vous allez leur raconter, comme histoire, en juillet, en août, en septembre, l'année prochaine?» (Grasset, 2007, p. 93). Sur la thématique du récit politique devenu storytellingà l’américaine, voir cet article universitaire.

[2] Et non pas depuis Louis XI, comme je l’ai entendu dire sur TF1.

[3] Bien sûr, c’est l’hymne européen, mais ça reste discret comme symbole de soumission à Bruxelles : je craignais pire. Je n’ai pas aimé la montée de la famille sur le podium après le discours, ni la main sur le cœur pendant la Marseillaise (geste états-unien), mais ce sont des images qui parlent aux masses. Dans la phase précédente, je n’ai pas aimé non plus la présence du groupe africain Magic System pour chauffer le public, mais je me souviens qu’en 2007, Sarkozy avait fait venir place de la Concorde Jane Manson qui a chanté en anglais et Enrico Macias : on était donc habitué au mépris de la culture française par les présidents de la France.

[4] C’est d’autant plus stupide que son équipe de campagne voulait initialement organiser la fête du 7 mai sur l’esplanade du Champ-de-Mars. Mais la mairie de Paris a refusé, car les festivités auraient forcément détérioré les pelouses : or la commission d’évaluation du C.I.O. doit visiter l’endroit le ouiquenne prochain dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024.

JULES MICHELET : CHOIX DE CITATIONS

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            Je l’ai répartie en sept rubriques, selon les genres des livres de Michelet :                     Histoire de France                                           Autres essais historiques                                       Essais religieux et politiques                                 Essais sur l’amour et la femme                        Essais sur la nature                                            Journal                            Correspondance

 

 

HISTOIRE DE FRANCE

. Sans une base géographique, le peuple, l’acteur historique, semble marcher en l’air comme dans les peintures chinoises où le sol manque. Et notez que ce sol n’est pas seulement le théâtre de l’action. Par la nourriture, le climat, etc, il y influe de cent manières. Tel le nid, tel l’oiseau. Telle la patrie, tel l’homme. (Jules Michelet, Histoire de France, préface de 1869 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 48).

. La France a fait la France, et l'élément fatal de race m'y semble secondaire. Elle est fille de sa liberté. Dans le progrès humain, la part essentielle est à la force vive qu'on appelle homme. L'homme est son propre Prométhée. (Jules Michelet, Histoire de France, préface de 1869 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 49).

. J’avais une belle maladie qui assombrit ma jeunesse, mais bien propre à l’historien. J’aimais la mort. […] Je menais une vie que le monde aurait pu dire enterrée, n’ayant de société que celle du passé, et pour amis les peuples ensevelis. (Jules Michelet, Histoire de France, préface de 1869 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 55).

. C'est une particularité remarquable dans notre histoire que les deux grandes invasions de l'Asie en Europe, celle des Huns au Ve siècle, et celle des Sarrasins au VIIIe, aient été repoussées en France. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge (1833), livre II chap. 1 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 179). jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du xixe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro,la reine morte,sexe

. L'histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d'une nationalité. Le premier monument de la nôtre est le serment dicté par Charles le Chauve à son frère, au traité de 843. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge (1833), livre III (Tableau de la France), incipit ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 323). 

. La Bourgogne est le pays des orateurs, celui de la pompeuse et solennelle éloquence. C’est de la partie élevée de la province, de celle qui verse la Seine, de Dijon et de Montbard, que sont parties les voix les plus retentissantes de la France, celles de saint Bernard, de Bossuet et de Buffon. Mais l’aimable sentimentalité de la Bourgogne est remarquable sur d’autres points, avec plus de grâce au nord, plus d’éclat au midi. […] / La France n’a pas d’élément plus liant que la Bourgogne, plus capable de réconcilier le Nord et le Midi. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge (1833), livre III (Tableau de la France) ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 371). 

. La fraternité militaire est chose sainte. La longue communauté de dangers, d’habitudes, crée un des liens les plus forts qui soient entre les hommes. (Jules Michelet, Histoire de France. La Renaissance (1855), chap. X ; éd. Rencontre, Lausanne, 1966, tome V, p. 240).

. Créature étonnante ! Il serait curieux d’expliquer comment ces pères [jésuites] ont couvé, fait éclore cette espèce jusque-là inconnue en histoire naturelle. On avait bien le fanatique, mais on n’avait pas le bigot. Heureux mélange du sot, du furieux, combinaison savante d’aveugle docilité et de stupidité sauvage. Le fanatique était terrible ; mais enfin il avait des yeux ; il risquait par moment d’entrevoir des lueurs. Mais rien ici ; le sens de la vue manque. Aussi quelle force et quelle roideur ! Nulle courbe ; une droite ligne de férocité sotte qu’on n’eût imaginée jamais. (Jules Michelet, Histoire de France. Richelieu et la Fronde (1858), chap. VIII ; éd. Rencontre, Lausanne, 1966, tome VIII, p. 409).

. L'attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, I, 7 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 145).

. Un phénomène plus grand que tout évènement politique apparut alors au monde [= en août 1789] : la puissance de l’homme, par quoi l’homme est Dieu, la puissance du sacrifice, avait augmenté. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 5 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 228-229).

. L'impuissant croit volontiers l'impossible ; hors d'état d'agir lui-même, il s'imagine que le hasard, l'imprévu, l'inconnu, agiront pour lui. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 7 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 245). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

. Ce qu’il y a dans le peuple de plus peuple, je veux dire de plus instinctif, de plus inspiré, ce sont, à coup sûr, les femmes. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 248).

. Les grandes misères sont féroces, elles frappent plutôt les faibles ; elles maltraitent les enfants, les femmes bien plus que les hommes. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 254).

. La femme, l’être relatif qui ne peut vivre qu’à deux, est plus souvent seule que l’homme. Lui, il trouve partout la société, se crée des rapports nouveaux. Elle, elle n’est rien sans la famille. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 254).

. Une chose peu remarquée, la plus déchirante peut-être au cœur maternel, c'est que l'enfant est injuste. Habitué à trouver dans la mère une providence universelle qui suffit à tout, il s’en prend à elle, durement, cruellement, de tout ce qui manque, crie, s’emporte, ajoute à la douleur une douleur plus poignante. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 254).

. Auprès des assemblées comme auprès des femmes, l'assiduité sera toujours le premier mérite. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, IV, 5 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 489).

. [Le duc de Brunswick] était un homme prodigieusement instruit, d’autant plus hésitant, sceptique. Qui sait beaucoup, doute beaucoup. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, VII, 8 (1850) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 1121).

. Le plaisir, continué au-delà de l’âge, énerve non seulement le corps, mais la faculté de vouloir. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, VII, 8 (1850) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 1122).

. Ceux qui vivent, vivent d'une idée ; les autres, ce sont les morts. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, IX, 5 (1851) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 67).

. Il est très rare que les puissants aient besoin de faire des crimes ni même de les savoir ; on devance leurs pensées. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XV, 4 (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 711).

. Le peuple attribue tous les maux aux personnes plus qu'aux choses. Il personnifie le Mal. Qu’est-ce que le Mal au Moyen-Âge ? C’est une personne, le Diable. Qu’est-ce que le Mal en 93 ? C’est une personne, le traître. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XVIII, 1 (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 814).

. Les Anglais [en Inde] recrutés sans cesse, se succédant très vite, y forment un peuple de malades, sans avenir, qui ne produira rien que l’abâtardissement de leur belle race, jadis si forte. / Je crois, comme M. le docteur Bertillon, que les conquêtes et colonies en pays tropicaux sont éphémères et vaines, de vrais cimetières pour l’Europe, et rien de plus. (Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle, tome II. Jusqu’au 18 brumaire (1873), IV, 1, Michel Lévy, 1875, p. 241-242).

 

AUTRES ESSAIS HISTORIQUES

. Ce petit livre pourrait aussi bien être intitulé : Introduction à l'Histoire de France ; c'est à la France qu'il aboutit. Et le patriotisme n'est pour rien en celà. Dans sa profonde solitude, loin de toute influence d'école, de secte ou de parti, l'auteur arrivait, et par la logique et par l'histoire, à une même conclusion : c'est que sa glorieuse patrie est désormais le pilote du vaisseau de l'humanité. (Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle (1831), préface ; Armand Colin, bibliothèque de Cluny, 1962, p. 33).

. C'est à la France qu'il appartient et de faire éclater cette révélation nouvelle [du verbe social] et de l'expliquer. Toute solution sociale ou intellectuelle reste inféconde pour l'Europe, jusqu'à ce que la France l'ait interprétée, traduite, popularisée. La reforme du Saxon Luther, qui replaçait le Nord dans son opposition naturelle contre Rome, fut démocratisée par le génie de Calvin. La réaction catholique du siècle de Louis XIV fut proclamée devant le monde par le dogmatisme superbe de Bossuet. Le sensualisme de Locke ne devint européen qu'en passant par Voltaire, par Montesquieu qui assujettit le développement de la société à l'influence des climats. La liberté morale réclama au nom du sentiment par Rousseau, au nom de l'idée par Kant ; mais l'influence du Français fut seule européenne. /Ainsi chaque pensée solitaire des nations est révélée par la France. Elle dit le Verbe de l'Europe, comme la Grèce a dit celui de l'Asie. […] / À mesure que ce sentiment [de la généralité sociale] vient à poindre chez les autres peuples, ils sympathisent avec le génie français, ils deviennent France ; ils lui décernent, au moins par leur muette imitation, le pontificat de la civilisation nouvelle. Ce qu'il y a de plus jeune et de plus fécond dans le monde, ce n'est point l'Amérique, enfant sérieux qui imitera longtemps ; c'est la vieille France, renouvelée par l'esprit. Tandis que la civilisation enferme le monde barbare dans les serres invincibles de l'Angleterre et de la Russie, la France brassera l'Europe dans toute sa profondeur. (Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle (1831) ; Armand Colin, bibliothèque de Cluny, 1962, p. 75-76).

. L’amour est une loterie, la Grâce est une loterie. Voilà l’essence du roman. Il est le contraire de l’histoire, non seulement parce qu’il subordonne les grands intérêts collectifs à une destinée individuelle, mais parce qu’il n’aime pas les voies de cette préparation difficile qui dans l’histoire produit les choses. Il se plaît davantage à nous montrer les coups de dés que parfois le hasard amène, à nous flatter de l’idée que l’impossible souvent devient possible. Par cet espoir, le plaisir, l’intérêt, il gagne son lecteur, gâté dès le début, et qui le suit ensuite avidement, à ce point qu’il le tiendrait quitte de talent, d’adresse même. L’esprit chimérique se trouve intéressé dans l’affaire, il veut qu’elle réussisse. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 6 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 298). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

.  Monsieur, qu’est-ce que le roman ? Madame, c’est ce qu’en ce moment vous avez dans l’esprit. Car comme vous ne vous souciez ni de patrie, ni de science, ni même de religion, vous couvez ce que Sterne appelle un dada et que j’appelle : une jolie petite poupée. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 6, note 11 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 298).

. [Les barbares germaniques] n’apportaient guère à l’Empire que désordre et ruine. En accepter l’élite pour la disséminer et la romaniser, c’est ce qu’on pouvait faire. Mais fraterniser follement, leur ouvrir les barrières, les admettre en tribus, c’était accepter le chaos. Les grands enfants blondasses étaient à cent lieues de pouvoir comprendre une telle société. Ils cassaient tout, faisaient rage un moment. Puis ces hommes très mous sous leur forte apparence fondaient à la chaleur du Sud, aux vices et aux excès. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 9 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 345).

. [L’enfant] ne paraît point du tout aux monuments chrétiens. Jésus semble un enfant et ne l’est pas. Il prêche. La mère n’ose y toucher. Pour elle il est stérile, ni allaité, ni élevé. Qu’arrive-t-il ? La femme est triste et sèche, d’aspect ingrat et pauvre. L’impuissance de l’homme sans doute est lamentable. Mais la femme impuissante, atrophiée, fruit sec ! C’est (pis que la mort) désolation ! (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 9 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 349).

 

ESSAIS RELIGIEUX ET POLITIQUES

. L'église s'occupe du monde, elle nous enseigne nos affaires, à la bonne heure ! Nous lui enseignerons Dieu ! (Jules Michelet, Des jésuites (1843), introduction, Hachette et Paulin, 1843, p. 26).

. Même pour se soumettre, il faut être libre ; pour se donner, il faut être à soi. (Jules Michelet, Des jésuites (1843), IVe leçon, Hachette et Paulin, 1843, p. 65).

. La liberté est tellement le fonds du monde moderne, que pour la combattre, ses ennemis n'ont d'autre arme  qu'elle-même. Comment l'Europe a-t-elle pu lutter contre la Révolution ? Avec des libertés données ou  promises, libertés communales, libertés civiles  […]. / Les violents adversaires de la liberté de penser y puisaient leurs forces. N'est ce pas un curieux spectacle de voir M. de Maistre, dans sa vive allure, échapper à chaque instant au joug qu'il veut imposer, ici plus mystique que les mystiques condamnés par l'Eglise, là tout aussi révolutionnaire que la Révolution qu'il combat ? (Jules Michelet, Des jésuites (1843), IVe leçon, Hachette et Paulin, 1843, p. 65-66).

. On s'attache par le chagrin même ; souffrir ensemble, c'est encore aimer. (Jules Michelet, Du prêtre, de la femme, de la famille (1845), III, 2, Hachette et Paulin, 1845, p. 269).

. Depuis deux siècles, moralement, on peut dire que la France est pape. L'autorité est ici, sous une forme ou sous une autre. Ici, par Louis XIV, par Montesquieu, Voltaire et Rousseau, par la Constituante, le Code et Napoléon, l'Europe a toujours son centre ; tout autre peuple est excentrique. (Jules Michelet, Du prêtre, de la femme, de la famille (1845), conclusion, Hachette et Paulin, 1845, p. 305).

. Les romantiques avaient cru que l'art était surtout dans le laid. Ceux-ci ont cru que les effets d’art les plus infaillibles étaient dans le laid moral. L'amour errant leur a semblé plus poétique que la famille, et le vol que le travail, et le bagne que l'atelier. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 63). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

. Le difficile n'est pas de monter, mais, en montant, de rester soi. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 72).

. La situation de la France est si grave qu’il n’y avait pas moyen d’hésiter. Je ne m’exagère pas ce que peut un livre ; mais il s’agit du devoir, et nullement du pouvoir. / Eh bien ! je vois la France baisser d’heure en heure, s’abîmer comme une Atlantide. Pendant que nous sommes là, à nous quereller, ce pays s’enfonce. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 73).

. Français, de toute condition, de toute classe, et de tout parti, retenez bien une chose, vous n’avez sur cette terre qu’un ami sûr et c’est la France. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 75).

. Être homme, au vrai sens, c’est dabord, c’est surtout, avoir une femme. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), I, iii ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 107).

. Un livre unique qu'on lit et qu'on relit, qu'on rumine et digère, développe souvent mieux qu'une vaste lecture indigeste. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), I, iii ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 111).

. Si l'on voulait entasser ce que chaque nation a dépensé de sang, et d'or, et d'efforts de toute sorte, pour les choses désintéressées qui ne devaient profiter qu'au monde, la pyramide de la France irait montant jusqu'au ciel... Et la vôtre, ô nations, toutes tant que vous êtes ici, ah ! la vôtre, l'entassement de vos sacrifices, irait au genou d'un enfant. [...] Elle a donné son âme, et c'est de quoi vous vivez. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, v ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 226).

. Rome n’est nulle autre part qu’ici [=en France]. Dès saint Louis, à qui l’Europe vient-elle demander justice […] ? La papauté théologique en Gerson et en Bossuet, la papauté philosophique en Descartes et en Voltaire, la papauté politique, civile, en Cujas et Dumoulin, en Rousseau et Montesquieu, qui pourrait la méconnaître ? Ses lois, qui ne sont autre que celles de la raison, s’imposent à ses ennemis même. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, vi ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 227-228).

. Toute autre histoire est mutilée, la nôtre seule est complète ; prenez l'histoire de l'Italie, il y manque les derniers siècles ; prenez l'histoire de l'Allemagne, de l'Angleterre, il y manque les premiers. Prenez celle de la France ; avec elle, vous savez le monde. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, vi ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 228).

. L’enfant saura le monde, mais dabord qu’il se sache lui-même, en ce qu’il a de meilleur, je veux dire en la France. Le reste, il l’apprendra par elle. À elle, de l’initier, de lui dire sa tradition. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, ix ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 243).

. Combien l'éducation durera-t-elle ? Juste autant que la vie. / Quelle est la première partie de la politique ? L'éducation. La seconde ? L'éducation. Et la troisième ? L'éducation. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, ix ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 244).

. J’ai trop vieilli dans l’histoire pour croire aux lois, quand elles ne sont pas préparées, quand de longue date les hommes ne sont point élevés à aimer, à vouloir la loi. Moins de lois, je vous prie, mais par l’éducation fortifiez le principe des lois ; rendez-les applicables et possibles ; faites des hommes, et tout ira bien. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, ix ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 244).

. Nous sommes bien moins qu’en février [1848] crédules et chimériques. La vue s’est éclaircie. On n’entend plus des fous humanitaires crier : « Vive le monde ! Supprimons la Patrie ! » Nombre de questions sont décidément écartées, d’autres remises à demain. Savoir ce qui est d’aujourdhui, ce qui est de demain, c’est le vrai sens pratique dans les révolutions. (Jules Michelet, Nos fils (1869), introduction ; réimp. Slatkine, 1980, p. II-III ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 358). jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du xixe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro,la reine morte,sexe

. [L]a substance [de l’éducation], je l’ai dit, c’est la tradition nationale. Ce que l'enfant doit apprendre dabord, c'est la Patrie, sa mère. « Ta mère, c’est toi, et tu en es le fruit. Que fit-elle ? comment vécut-elle ? C’est là ce qu’il te faut savoir. Tu y liras ton âme, te connaîtras toi-même. » (Jules Michelet, Nos fils (1869), introduction ; réimp. Slatkine, 1980, p. XIII ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 363-364).

. Toutes [les brochures possédées par un pauvre ouvrier communiste] partaient de l’idée d’un miracle qu’elles proposaient sérieusement : d’un trait biffer un monde, et en refaire un autre. / Maladie singulière, incurable, de l’esprit humain. Depuis le 2 décembre [1851], le grand flot des romans qui nous ont envahis, bien autrement fangeux, est dominé surtout par l’idée d’aventures, de bonheur improbable, de loterie grossière, l’idée californienne, de gros lot et de lingot d’or. Toujours la foi aveugle au miracle, au hasard, au coup d’État du sort, qui dispense d’effort, de travail, de persévérance. / Les livres qu’il nous faut, ce sont précisément les plus contraires à l’idée de miracle. Ce sont les livres d’action. (Jules Michelet, Nos fils (1869), V, 2 ; réimp. Slatkine, 1980, p. 361 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 496-497).

. Le plus fécond des livres, c’est l’action, l’action sociale. Le grand livre vivant, c’est la Patrie. On l’épelle dans la commune ; puis, lisant couramment aux feuillets supérieurs, départements, provinces, on embrasse l’ensemble, on s’imprègne de la grande âme. / Grâce à Dieu, c’est chose jugée. Le réveil actuel renvoie dans leurs brouillards les sots humanitaires qui dirent en 1848 : « Supprimons la caste Patrie. » De même les artistes étourdis qui dirent plus récemment : « Plus de France ! le monde ! ». / Chaque patrie a deux caractères : premièrement celui d’un organe spécial de la vie de l’Europe, une corde de sa grande lyre, nécessaire et indispensable à l’harmonie totale, – et deuxièmement, le caractère d’un système éducatif pour ses nationaux. La France pour les siens est une éducation. (Jules Michelet, Nos fils (1869), V, 3 ; réimp. Slatkine, 1980, p. 367-368 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 498).

. Comme on change, dès qu'on se croit fort ! (Jules Michelet, La France devant l'Europe (1871), chap. II ; dans Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 654).

. Il est certain que la France a par moment un grand vol, qui la porte haut, si haut, que la chute est infaillible. Elle marque le but très loin, sans pouvoir indiquer encore la voie, les moyens d'arriver. Elle retombe et se décourage. [...] Le monde alors crie contre elle. L'imprudente est accablée. (Jules Michelet, La France devant l'Europe (1871), chap. III ; dans Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 657).

 

ESSAIS SUR L’AMOUR ET LA FEMME

. Un fait est incontestable. Au milieu de tant de progrès matériels, intellectuels, le sens moral a baissé. Tout avance et se développe ; une seule chose diminue, c’est l’âme. / Au moment vraiment solennel où le réseau des fils électriques, répandu sur toute la terre, va centraliser sa pensée et lui permettre d’avoir enfin conscience d’elle-même, quelle âme allons-nous lui donner ? Et que serait-ce si la vieille Europe, dont elle attend tout, ne lui envoyait qu’une âme appauvrie ? (Jules Michelet, L’Amour (1858), introduction, I, Hachette, 1859, p. II). jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du xixe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro,la reine morte,sexe

. [La femme] change et ne change pas. Elle est inconstante et fidèle. Elle va muant sans cesse dans le clair-obscur de la grâce. Celle que tu aimas ce matin n’est pas la femme du soir. (Jules Michelet, L’Amour (1858), introduction, IV, Hachette, 1859, p. XLIV).

. L’homme désire et la femme aime. Il a inventé des centaines de religions, de législations polygamiques. Il voulait jouir et durer ; il cherchait son plaisir dabord, puis, sa perpétuité par une famille nombreuse. La femme ne voulait rien qu’aimer, appartenir, se donner. (Jules Michelet, L’Amour (1858), I, 7, Hachette, 1859, p. 28-29).

. La trahison de la femme a des conséquences énormes que n’a point celle de l’homme. La femme ne trahit pas seulement, elle livre l’honneur et la vie du mari ; elle le fait chansonner, montrer au doigt, siffler, charivariser ; elle le met au hasard de périr, de tuer un homme ou de rester ridicule, c’est presque la même chose que si elle donnait le soir la clef à un assassin. / Il sera assassiné moralement tout le reste de sa vie, ne sachant jamais si l'enfant est bien son enfant, forcé de nourrir, de doter une progéniture équivoque, ou de donner au public l'amusement d'un procès, dans lequel, gagnant, perdant, il assure toujours à son nom une illustration de risée. / Il est insensé de dire que la femme n'a pas plus de responsabilité que l'homme. – Lui, il est une activité, une force qui soutient la famille, mais elle, elle en est le cœur. Seule, elle garde le secret de la religion domestique, le titre qui fait tout l'avenir. Seule, elle peut affirmer la légitime hérédité. Un mensonge de l'épouse peut fausser l'histoire pour mille ans. / Qu'est-ce que le sein de la femme, sinon notre temple vivant, notre sanctuaire, notre autel, où brûle la flamme de Dieu, où l'homme se reprend chaque jour ? Qu'elle livre cela à l'ennemi, qu'elle laisse voler cette flamme qui est la vie de son mari, c'est plus que si elle aidait à lui enfoncer le couteau. / Nulle peine ne serait assez grave si elle savait ce qu'elle fait. (Jules Michelet, L’Amour (1858), IV, 8, Hachette, 1859, p. 270-271).

. Il n’y a point de petites choses, je le sais. Pour réussir, la minutie est nécessaire ; sans elle, sans la précision, nul résultat n'est possible. Mais il faut que l'ouvrier reste plus grand que son œuvre, qu'il la domine. On ne l'embrasse fortement qu'autant qu'on est au-dessus. (Jules Michelet,L’Amour (1858), notes et éclaircissements, Hachette, 1859, p. 379).

. Les mouvements déréglés, l'agitation effrénée, ne sont pas plus nécessaires au bonheur de l'enfant grandi que le chaos des sensations confuses ne l'a été au nourrisson. J'ai bien souvent observé les petits malheureux qu'on laisse au hasard de leur fantaisie, et j'ai été frappé de voir combien la vaine exaltation, le dévergondage, les fatiguaient bientôt eux-mêmes. Au défaut de contrainte humaine, ils rencontraient à chaque instant la contrainte des choses, l'obstacle muet, mais fixe, des réalités ; ils se dépitaient en vain. Au contraire, l'enfant dirigé par une providence amie et dans l'ordre naturel, ne rencontrant que rarement la tyrannie de l'impossible, vit dans la vraie liberté. / L'usage habituel de la liberté dans l'ordre a cela d'admirable que tôt ou tard il donnera à la nature la noble tentation de subordonner la nature même, de dompter la liberté par une liberté plus haute, de vouloir l'effort et le sacrifice. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 6, Calmann-Lévy, 1879, p. 114). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

. Les mères diront non, et s’indigneront ; tous leurs enfants sont parfaits. Elles sont trop assoties de leurs fils, pour croire l'évidence même. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 9, Calmann-Lévy, 1879, p. 156).

. Selon moi, [l’éducation] doit être tout autre pour le garçon et pour la fille.  / Si l'on veut mieux réussir dans l'éducation qu'on ne l'a fait jusqu'ici, il faut marquer sérieusement les différences profondes qui non seulement séparent les deux sexes, mais les opposent même, les constituent symétriquement opposés. / Autres sont leurs vocations et leurs tendances naturelles. Autre aussi leur éducation, – différente dans la méthode, harmonisante pour la fille, pour le garçon fortifiante, – différente en son objet, pour l'étude principale où s'exercera leur esprit. / Pour l'homme qui est appelé au travail, au combat du monde, la grande étude, c'est l'Histoire, le récit de ce combat. [...] / Pour la femme, doux médiateur entre la nature et l'homme, entre le père et l'enfant, son étude toute pratique, rajeunissante, embellissante, c'est celle de la Nature. / Lui, il marche de drame en drame, dont pas un ne ressemble à l'autre, d'expérience en expérience, et de bataille en bataille. L'Histoire va, s'allonge toujours... et lui dit toujours... « En avant ! » / Elle, au contraire, elle suit la noble et sereine épopée que la Nature accomplit dans ses cycles harmoniques, revenant sur elle-même, avec une grâce touchante de constance et de fidélité. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 10, Calmann-Lévy, 1879, p. 159-160).

. Que la France a été bien aimée ! Et que je regrette encore l'accueil d'amour et d'amitié que nous trouvions chez les tribus de l'Amérique du Nord. Race haute et fière, s’il en fut. C'est une vraie gloire pour nous que ces hommes, d'un regard perçant et d'une seconde vue de chasseur, nous aient préférés pour leurs filles, et compris ce qui est réel, c'est que le Français est un mâle supérieur. Comme soldat, il vit partout, et, comme amant, il crée partout. / L'Anglais et l'Allemand, qui semblent forts, bien nés, sont et moins robustes et bien moins générateurs. Ils ne peuvent rien avec l'étrangère. Si la femme anglaise, allemande, n'est pas là toujours derrière, pour les suivre dans leurs voyages, leur race finit. Il ne restera rien bientôt de l'Anglais dans l'Inde, pas plus qu'il ne reste chez nous des Francs de Clovis, ni des Lombards en Lombardie. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 1, Calmann-Lévy, 1879, p. 214).

. L'Amour a son plan pour la terre. Son but serait d'en mêler, d'en fondre toutes les races dans un immense mariage. […] Nous ne ferions plus qu'un seul clan. / Beau rêve ! mais nous ne devons pas y céder trop facilement. Dans une telle unité, où le sang de toutes les races se trouverait mêlé ensemble, en supposant, chose difficile, qu'il s'en fît une harmonie, je crois qu'elle serait très pâle. Un certain élément neutre, incolore, blafard, en résulterait. Un nombre immense de dons spéciaux, très exquis, auraient péri. Et la victime définitive de l'amour, dans cette fusion totale, serait fatale à l'amour même. […] Il ne faut pas croire qu'on puisse faire impunément ces mélanges. Faits d'une manière indiscrète, ils abaissent les races, ou avortent. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 2, Calmann-Lévy, 1879, p. 219-220).

. Ce qui paraît vraisemblable, c’est que les mariages entre parents qui peuvent affaiblir les faibles et les faire dégénérer, fortifient, au contraire, les forts. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 2, Calmann-Lévy, 1879, p. 228).

. Le passé a celà de fort, de dangereux, qu'embelli par le temps, par les pertes et les regrets, par les douces larmes qu'on lui donne, il est cent fois plus cher que quand il était le présent. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 7, Calmann-Lévy, 1879, p. 283).

. Les bons meurent souvent seuls, et ceux qui consolèrent ne sont pas toujours consolés. (Jules Michelet, La Femme (1859), III, 6, Calmann-Lévy, 1879, p. 433).

. Même dans une société libre, il y aura toujours des captifs, ceux de la misère, ceux de l'âge, ceux des préjugés, des passions. (Jules Michelet, La Femme (1859), notes et éclaircissements, note n°4 , Calmann-Lévy, 1879, p. 460).

 

ESSAIS SUR LA NATURE

. Le plus tentant pour l'homme, c'est l'inutile et l'impossible. (Jules Michelet, La Mer (1861), III, 4, Michel Lévy, 1875, p. 303). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

. L’enfant en sent peu la grandeur [=des Alpes]. Il est beaucoup plus frappé de mille détails prosaïques et parfois insignifiants, mais surtout accidentels, non inhérents au pays, qui n’étaient là que par hasard, et en donnent une idée fausse. La forte mémoire de cet âge qui garde ineffaçablement tout ce qui s'y mit alors, conserve pour toute sa vie ces traits bizarres et de rencontre. Tel, du lieu le plus sublime, ne gardera que la mémoire du passant qu’il y trouva, un crétin, un bouffon, que sais-je ? / « Mais revues à un autre âge, les Alpes auront leur effet ? » Ne le croyez pas. Les choses restent marquées du caractère qui nous y frappa dabord. / Les familles, aujourdhui plus tendres qu’autre fois, se séparent moins de leurs enfants, les mènent partout avec elles. De cette chose excellente, résulte un inconvénient qu’il faut bien aussi reconnaître. L’enfant est blasé sur tout. Ce que, petit, il a connu au point-de-vue étroit de son âge, il le voit toujours petit, et avec indifférence. On ne trouve que jeunes messieurs, qui, menés dès la nourrice à la mer ou aux montagnes, n’y prennent plus aucun intérêt. « Les Alpes ? on m’en a bercé... L’Océan ? connu, connu ! » (Jules Michelet, La Montagne, II, 13, Librairie internationale, 1868, p. 359-360 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 207-208).

. C'est une très funeste tendance de notre âge de se figurer que nature c'est rêverie, c'est paresse, c'est langueur. (Jules Michelet, La Montagne, II, 13, Librairie internationale, 1868, p. 362 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 208).

 

JOURNAL

. Il est des gens avec qui il ne faut vivre que physiquement. Pour être heureux avec eux, il faut leur procurer des jouissances physiques. Ce qui fait souvent le malheur dans l’intimité, c’est qu’on ne sait pas tirer de chaque personne ce qu’on en peut attendre. Causer avec un ami, raisonner avec ceux qui suivent des études analogues, coucher avec une maîtresse…  (Jules Michelet, Journal, 9 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 77).

. La vie serait un supplice, si l’on ne s’exemptait pas de tout ce qui n’est pas devoir indispensable. Lors même qu’on n’a de connaissances que ses amis, on serait encore étouffé, si l’on n’écartait pas un peu les coudes. Servons ceux que nous aimons et tous les hommes de notre temps, comme du reste, dans les occasions importantes ; mais ne nous dépensons pas en pièces de quatre sous. / Le plus doux lien est un lien ; il faut, au prix de quelques contrariétés, le tenir lâche, se mettre un peu à son aise ; la société des femmes est insupportable pour qui n’a pas cette attention. (Jules Michelet, Journal, 10 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 77).

. Si l’on réfléchissait que les disputes ne viennent guère que de ce qu’on envisage les objets sous différentes faces, on ne s’emporterait point. Tel est ultra parce qu’il voit seulement les malheurs qu’a soufferts la famille royale et qu’il croit être du parti des gens tranquilles, qui serait libéral si on lui montrait la moindre partie des maux que fait la tyrannie. Pourquoi donc s’irriter toujours, comme si la contradiction violente n’affermissait pas les hommes dans leurs opinions ? (Jules Michelet, Journal, 11 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 77). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

. Même dans la société la plus douce et la plus chère, on a besoin de se retirer souvent en soi, quand ce ne serait que pour réfléchir à son bonheur. (Jules Michelet, Journal, 18 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 79).

. L’influence du corps sur l’âme ne me semble en rien plus forte qu’en amour. Le désir bien ménagé des deux côtés peut être une source de bonne intelligence ; ceci est trivial, mais a des applications particulières qui sont très bonnes à observer. Une femme est une femme, et, si la curiosité attire vers celles qu’on ne connaît pas, on jouit bien dans celle que l’on a du sentiment de la possession et de l’habitude même ; ce sentiment rend plus douces même les jouissances physiques. (Jules Michelet, Journal, 25 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 82).

. Qu’est-ce donc que ces objets qui nous charment ? Que sont-ils au physique ? C’est la même matière que cet horrible insecte que tu craindrais de toucher. Ces beaux yeux si doux, cette bouche, ces joues, ces « seins désirables » [1] et tout ce que tu imagines, tout celà, c’est de quoi faire un cadavre. Cet être parfait, divin selon toi, est assujetti aux plus sales nécessités, aux plus dégoûtantes affections. Cette possession ravissante ? « Un frottement du membre, une petite convulsion, une éjection de semence », dit Marc-Aurèle [2]. Cet acte par lequel ta folle passion t’amollira, t’affaiblira, tu n’y trouveras pas ce que tu y cherches. Le plaisir te trompera ; jamais tu ne pourras achever cette union qui est la chimère des amants. Tu mordras de désespoir ce corps adoré avec lequel tu ne pourras te confondre. De cette impuissance vient la mélancolie de l’amour, et les pensées de mort qui s’y mêlent à chaque instant. (Jules Michelet, Journal, 4 août 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 102). [3]

. Une chose me frappe, c’est que quand on ne veut dire que des choses utiles ou du moins tout-à-fait innocentes, on a très peu à parler. [4] (Jules Michelet, Journal, 18 août 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 105).

. Plus l’esprit est cultivé, plus il y a de faces et de facettes, plus les objets du dehors s’y réfléchissent avec la couleur universelle dont ce chagrin les a teints. Mon chagrin est comme la petite vérole : c’est après la crise que la trace s’approfondit et se creuse. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 22 août 1839, Gallimard, 1959, p. 312).

. Comment faire croire celà et le croire soi-même, que l’extinction de la personnalité soit un bien ? Hélas ! chaque homme est toute une histoire universelle, un monde. Cette fausse petite universalité est en face de la grande et dévorante universalité du tout… / […] La personne, telle personne : chose unique ; rien de semblable, rien après… Que d’autres générations viennent, meilleures en tout sens, ah ! ce ne sera pas la même, ce ne sera pas cette personne individuelle, passagère. Et pourtant en elle il y eut des idées d’avenir, d’immortalité. Quoi ! un si petit contenant, un si grand contenu… (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 12 septembre 1839, Gallimard, 1959, p. 316-317). [5]

. Quel bouleversement pour notre esprit que la mort d’une personne ! Que de choses reviennent en mémoire ! Combien on examine ce qu’on fut pour elle ! Le jugement commence alors pour nous, et l’accusation intérieure. On la jugeait sur chaque moment et avec aigreur ; on la juge sur l’ensemble, sur la vie entière. Combien elle gagne, prise ainsi ! Ah ! puisse Dieu la juger ainsi. O time, beautifier of things ! [6] Mais c’est en celà que le temps n’est pas mensonger, ni la mort. C’est la vie qui était mensongère. Elle exagérait le mal. / […] Quel révélateur que la mort ! Comme elle tire les paroles de la poitrine ! « Faisons tant que nous voudrons les braves… » [7]« Eripitur persona, manet res. » [8] Immense auxiliaire de la charité, elle nous apprend cette grande vérité qu’en chaque homme il y a plus de bien que de mal. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 12 septembre 1839, Gallimard, 1959, p. 317). [9]

. Nous croyons, nous croyons croire. Mais que le coup porte près de nous, nous devenons matérialistes. « Oui, dit Satan dans Job, mais touchez à sa peau, vous verrez… » [10] Alors on baisse la tête. […] / J’ai vu le plus fier spiritualiste, quand on avait touché à sa peau, comme dit Satan, mené invinciblement par les puissantes attractions de la tombe, s’y attacher comme le chien, poursuivre avec une avidité douloureuse la terrible laideur du sépulcre et renouveler, sans pouvoir s’en repaître, la triste histoire d’Inès de Castro [11]. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 12 septembre 1839, Gallimard, 1959, p. 317-318).

. Les Grecs virent combien l’amitié est, plus que l’amour, moyen du progrès. En effet, dans l’amour il n’y a pas émulation, au sens propre. Le moins avancé, différent de sexe, ne peut songer à changer de nature pour ressembler au plus avancé. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 23 septembre 1845, Gallimard, 1959, p. 626).

. Sans richesse, les bras n’ont point de loisir, et sans ce loisir, point de libre travail d’esprit. Le riche est dépositaire ; il doit le travail d’esprit et la dispensation spirituelle de la richesse. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 23 septembre 1845, Gallimard, 1959, p. 627).

. Le christianisme ne vit plus qu’en ce qu’il a de non-chrétien, dans la partie qu’il emprunta au paganisme, en le modifiant un peu, dans le culte de la Vierge et des saints, dans la matérialité du Sacré-Cœur. Mais à ce côté païen, sensuel, qui s’adresse à la matière, il joint le côté soi-disant spirituel, la prétention de savoir toute pensée, l’inquisition du confessionnal. […] / Donc, aujourdhui, c’est un paganisme inquisitorial, mêlant le mauvais des deux religions. Il se perpétue uniquement par son action sur les faibles, les désarmés, c’est-à-dire par la surprise. Il prend la femme, de là le divorce intérieur de la famille. Il prend l’enfant, de là l’impossibilité du progrès. Et il ne garde pas l’enfant, de là discordance de toute la société, scepticisme, légèreté morale. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 22 novembre 1846, Gallimard, 1959, p. 658).

. Le besoin religieux, le besoin de société perpétue la forme religieuse longtemps après qu’elle a péri en elle-même. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 8 juillet 1848, Gallimard, 1959, p. 695).

. La mère, ce mot profond, veut dire la matrice en la bonne et vraie langue française ; la mère aussi, c’est le vrai nom de la femme, nommée selon la mission. La femme, c’est la matrice. / Si cet organe sacré, ce berceau du genre humain, est visible en la femme, s’il est et doit être saillant, si la nature le montre en elle, c’est pour la rendre touchante et sacrée, vénérable autant que charmante, c’est pour la faire adorer. […] Toute mode qui entrave ces organes essentiels, en qui est la femme même, est absurde, impie. Qu’il paraisse librement, ce signe distinctif de la femme et de la mère, cette puissance adorée d’amour par quoi elle nous est si chère et sacrée : le ventre et le sein ! (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 7 mars 1849, Gallimard, 1962, p. 29-30).

. L’homme est un cerveau, la femme une matrice. [12] (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 29 juin 1849, Gallimard, 1962, p. 57).

. Toute réforme de l’État suppose celle de la famille, de l’amour et du mariage. Non pas sans doute un changement subit des mœurs anciennes, mais la forte aspiration à une vie haute, noble, austère, un sursum corda général, qui élève la famille, change l’économie domestique pour changer indirectement l’économie publique. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 16 août 1856, Gallimard, 1962, p. 310). Jules michelet,histoire de france,claude mettra,moyen âge,révolution française,histoire de la révolution,introduction à l'histoire universelle,la bible de l'humanité,les jésuites,l'amour,la femme,la sorcière,le peuple,nos fils,l'insecte,l'oiseau,la montagne,la mer,histoire du XIXe siècle,pierre hadot,marc-aurèle,vico,exercices spirituels et philosophie antique,le prêtre la femme la famille,paul viallaneix,claude digeon,journal,mort,anticléricalisme,religion,france,discours sur l'unité de la science,athénaïs mialaret,inès de castro

. L’homme moderne n’a point besoin de crime pour être tragique. Il l’est par l’énormité des questions qui se sont posées devant lui. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 16 août 1856, Gallimard, 1962, p. 311).

. « Mon cher cœur et mon cher c[on] », disait X. en plaisantant. En bref celà résume tout, sauf pourtant le noble, simple esprit naturel. Comment se fait-il que nos langues de l’Europe, grecque, romaine, et les modernes, n’aient que des mots sottement méprisants pour ce dieu des dieux, le grand communicateur, le grand commixteur des personnes et des idées, donc le civilisateur et l’auteur du progrès du monde. [13] (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 2 juin 1857, Gallimard, 1962, p. 328).

. La femme n’est pas faite de Dieu uniquement pour faire des enfants, mais pour renouveler par son contact l’électricité de l’homme. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 29 juin 1857, Gallimard, 1962, p. 334).

. Autre chose est la maîtresse qu’on monte ou caresse une heure au passage, dont on jouit sans la connaître et qui, quand vous êtes sorti, se lave vite et se rit de vous. Autre chose une femme qu’on connaît à fond, qu’on perçoit jour et nuit par tous les sens, qu’on voit se lever, coucher, dormir, manger, qu’on sait jusqu’à l’âme, qui, candide, aimante, s’ouvre à vos curiosités et veut être plus pénétrée de vous, plus mêlée à vous, – une femme avec qui, chaque soir, chaque matin, vous échangez le plaisir, la réflexion, la gaîté, la tristesse, – une enfant avec qui pourtant vous traitez les questions les plus graves, avec qui, aux heures rêveuses, vous cherchez et trouvez Dieu. La maîtresse, c’est le coït, si court ! La femme aimée, l’éternisation de la jouissance. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 4 juillet 1857, Gallimard, 1962, p. 335-336).

. « Que trouves-tu en moi ? — Je trouve en toi mon assiette », dit-elle. Mot touchant et qui est le fond du mariage même. Le moins nerveux, le plus serein par l’égalité de santé et de travail donne à l’autre une assiette qu’il n’aurait pas. Ce n’est pas par les dons brillants et excentriques qu’on a action l’un sur l’autre, c’est par la solidité uniforme où l’on s’appuie mutuellement. Un grand moyen de garder celà, c’est de s’observer et d’observer ce qu’on aime avec l’esprit de suite que donne l’amour. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 16 août 1857, Gallimard, 1962, p. 342). 

. La lourde chaîne à laquelle toutes sont encore rivées, c’est la chaîne morale et religieuse qu’on traîne depuis deux-milles ans, celle que toutes les tyrannies attestent et adorent, forcent encore d’adorer. / Être enfermé dans une chambre, c’est une captivité. Mais l’être dans une doctrine et dans une hypocrisie, contraint aux avilissements du bas fétichisme ! – Exemple : [En] Espagne, en entrant dans une maison, vous devez dire : « Ave Maria ! » Et l’on doit répondre : « Purissima ». Ainsi la sottise est (par force) mêlée à toutes les habitudes, aux actes les plus vulgaires, les plus fréquents de la vie. / Combien d’amis s’y éteignent ! Mais combien en souffrent mortellement, pensent (et n’osent pas crier) : « De l’air ! de l’air ! on étouffe ! » (Jules Michelet, Journal, Tome 3, 1861-1867, 24 octobre 1863, Gallimard, 1976, p. 225).

. Il faut savoir que je suis moi […]. Qu’on me prenne ou qu’on me laisse, ça m’est égal. Mais on ne me prendra qu'entier. Mes ennemis me sont agréables, parce qu’ils circonscrivent fortement mon unité. / Mes demi-amis me sont insupportables parce qu’ils excusent, comme accident, ce qui est le fond, et ma nature, mon essence. / Ils ont l’air de croire que ce sont des glissades. Attendez, disent-ils ; s’il allait se réformer ? (Jules Michelet, Journal, Tome 4, 1868-1874, 9 mars 1868, Gallimard, 1976, p. 18).

. [Après avoir lu le Saint Paul de Renan :] À Séleucie, envié les apôtres qui partirent de là pour la conquête du monde. On est humilié de cette facile conquête qui n’est que le suicide de la raison, l’avènement de la légende, et plus que la légende, l’avènement du roman[14]. Renan […] s’efforce de faire croire qu’il y eût eu religion par Jésus seul, et sans St Paul. Mais la vague moralité, la douceur de Jésus, eût fondu, eût péri, comme celle de l’autre rabbi Hillel, si Paul n’y eût bravement ajouté l’immorale promesse du salut sans les œuvres, du salut par la foi à un fait historique, du salut par la grâce gratuite : énorme prime d’injustice qui corrompit le monde, lui fit immoler la raison, immoler le moi raisonnable pour sauver le moi-passion. (Jules Michelet, Journal, Tome 4, 1868-1874, 20 juin 1869, Gallimard, 1976, p. 125).

 

CORRESPONDANCE

. Mon ami, toute l’illusion de l’amour consiste à attribuer à un être fini des perfections infinies. Quel mécompte quand on en vient à l’épreuve ! (Jules Michelet, lettre à Paul Poinsot, 17 juin 1820 ; dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 266 ; ou Correspondance générale, tome I. 1820-1832, Librairie Honoré Champion, 1994, p. 45).

. Quant à ces grands esprits avec lesquels je voudrais vous voir vivre, ne croyez pas les avoir lus, les savoir. Jamais on ne les a lus. C’est comme la mer : plus on y entre, plus on la sent profonde. (Jules Michelet, lettre à Athénaïs Mialaret, janvier 1848 ; dans Journal, Tome 2, 1849-1860, Gallimard, 1962, p. 605 ; ou Correspondance générale, tome V. 1846-1848, Librairie Honoré Champion, 1996, p. 502).

 

 

 

 

Autres pages de citations en rapport avec celle-ci sur ce blogue : Historiens et sociologues [en préparation] ;   Auteurs grecs et latins [en préparation] ;   Auteurs religieux divers [en préparation] ;   Penseurs politiques classiques [en préparation] ;   Écrivains et penseurs de droite [en préparation] ;   Écrivains et penseurs de gauche [en préparation] ;   Écrivains divers du XVIIIe siècle [en préparation] ;   Montesquieu [en préparation] ;   Voltaire [en préparation] ;   Jean-Jacques Rousseau [en préparation] ;   Denis Diderot [en préparation] ;   Napoléon [en préparation] ;   Maistre et Bonald [en préparation] ;   Auteurs romantiques français [en préparation] ;   Germaine de Staël ;   Benjamin Constant ;   Chateaubriand [en préparation] ;   Stendhal [en préparation] ;   Honoré de Balzac [en préparation] ;   Alexandre Dumas [en préparation] ;   Alfred de Musset ;   Alfred de Vigny [en préparation] ;   Victor Hugo [en préparation] ;   Sainte-Beuve [en préparation] ;   Émile de Girardin [en préparation] ;   Claude Tillier ;   Henri-Frédéric Amiel [en préparation] ; Baudelaire ;   Flaubert [en préparation] ;   Émile Zola ;   Renan et Taine [en préparation] ;   Charles Péguy ;   Maurice Barrès [en préparation] ;   Maurras, Bainville, Daudet [en préparation] ;   Georges Bernanos ;   Régis Debray [en préparation],  – et la page générale : citations choisies et dûment vérifiées

 

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[1] Michelet cite en grec : « stethea d’himeroenta » (Homère, Iliade, III, 397).

[2] Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, VI, 13 (par exemple Pléiade Les Stoïciens, 1962, p. 1180).

[3] Ce passage, tout imprégné de Marc-Aurèle, a retenu l’attention de Pierre Hadot, le grand spécialiste du stoïcisme et du néo-platonisme : le cinquième chapitre de ses Exercices spirituels et philosophie antique (1981, rééd. Albin Michel, 2002) s’intitule « Michelet et Marc-Aurèle » (p. 193-220) et explore l’imprégnation stoïcienne dans la pensée de Michelet, telle qu’elle s’exprime dans le journal de jeunesse et dans les œuvres ultérieures. Sur ce passage, voir p. 196-197.

[4] Même remarque soixante ans plus tard dans le chapitre X de Bouvard et Pécuchet de Flaubert, où les deux bonshommes essayent de se faire pédagogues : « Fénelon recommande de temps à autre une conversation innocente. Impossible d’en imaginer une seule ! » (Folio n°1137, 1988, p. 372).

[5] Le 24 juillet, Michelet a perdu sa première femme, Pauline Rousseau, qui était sa maîtresse depuis 1818 et son épouse depuis 1824. Une semaine plus tôt, le 4 septembre, il a assisté à son exhumation, car elle a dû changer de cimetière : « Rude épreuve. Hélas ! je n’ai guère vu que des vers. » (p. 315)

[6]« O Time ! the beautifier of the dead » : Byron, Le Pèlerinage de Childe Harold, IV, 130.

[7]« Enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre, dans peu d’années, dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux. /  Il n’y a rien de plus réel que celà, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves : voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde. » Pascal, Pensées, Le Guern n°398 (Pléiade tome II, 2000, p. 683) ou Sellier n°681 (classiques Garnier, 1991, p. 476).

[8]« Le masque tombe, la chose reste. » Lucrèce, De la nature, III, 58 (par exemple GF n°993, 1997, p. 184-185). Une citation qui n’a pas échappé à Montaigne : Essais, I, 18/19 (Pléiade, 2007, p. 81 ou Pochothèque, 2001, p. 123).

[9] Ces réflexions du 12 septembre 1839 ont leur écho dans une importante page du Journal, le 26 mars 1842 (t. I, p. 384-385). Michelet y fait du 24 juillet 1839 (mort de sa femme Pauline) une date-clef de son existence, qui lui a permis de comprendre le sens de la vie, « tout ce qu’elle a d’individuel, de regrettable, d’irréparable », et le sens de la mort, « tout ce qu’elle a de fécond et de vivace » : « c’est-à-dire que l’Histoire m’apparut comme pour la première fois. » Il mentionne à nouveau « l’acharnement de la chair, […] l’attraction puissante de la tombe (Inès de Castro) ». Voir aussi une note encore plus importante quelques jours plus tard, le 4 avril 1842 (p. 389-393). Par exemple : « Oui, un lien intime unit tous les âges. Nous nous tenons, générations successives […]. Un même esprit fluide court de génération en génération. Des mouvements instinctifs nous font tressaillir pour le passé, pour l’avenir, nous révèlent la profonde identité du genre humain » (p. 393). Tout celà procède de Marc-Aurèle, avec qui, comme le montre fortement Pierre Hadot dans l’article mentionné ci-dessus en donnant toutes les citations symptomatiques, Michelet partage une croyance fondamentale en l’unité universelle : harmonie du monde créé par Dieu, harmonie de la cité terrestre, unité du savoir, unité de l’Histoire, unité de la France, unité de l’humanité… Depuis son Discours sur l’unité de la science (1825) jusqu’à la préface du deuxième tome de l’Histoire du XIXe siècle (1873), en passant par la fin de l’Introduction à l’Histoire universelle (1831) et de nombreux textes épars, c’est toujours la même pensée qui s’exprime, la même idée que l’aspiration de l’homme à la Justice répond à l’ordre mis dans le Cosmos par Dieu.

[10] Satan à Yahvé, parlant de Job : « Mais étends la main et touche à ses biens, je te jure qu’il te maudira en face ! » : Job 1, 11.

[11] Inès de Castro (1325-1355) fut la maîtresse de l’infant Pierre, prince héritier du Portugal, à qui elle donna trois enfants. Le père de Pierre, le roi Alphonse IV, désapprouvant cette liaison, la fit assassiner. Son fils, devenu le roi Pierre Ier en 1357, proclama en 1360 qu’il avait secrètement épousé Inès plusieurs années auparavant. Une légende, apparue à la fin du XVIe siècle, prétend qu’il fit déterrer son corps, la fit asseoir sur le trône couronnée et revêtue d’un manteau de pourpre, et obligea tous les grands du royaume à venir lui baiser la main en signe de soumission à leur reine légitime. Cette légende de la « reine morte » inspira plusieurs pièces de théâtre, notamment celle d’Antoine Houdar de La Motte en 1723, celle du jeune Victor Hugo en 1819, et bien sûr celle de Montherlant en 1942.

[12] Michelet souligne la phrase, et annonce à son épouse qu’elle constituera le premier mot d’un livre qu’il projette alors, intitulé La Femme, et dont le plan serait : « livre I, Dieu ; Livre II, La Mère ; livre III, La Fille. » (26 juin 1849, page 56). Le livre ne paraîtra que dix ans plus tard, mais avec un autre plan (I, L’éducation ; II, La femme dans la famille ; III, La femme dans la société), et sans que l’incipit projeté en 1849 y figure.

[13] Même idée deux semaines plus tard : « C’est une impiété inepte d’avoir fait du mot con un terme bas, une injure. Le mépris de la faiblesse ? Mais nous sommes si heureux qu’elles soient faibles. C’est non seulement le propagateur de la nature, mais le conciliateur, le vrai fond de la vie sociale pour l’homme. Et pour la nature entière. Exemple : le con des fleurs, qui lie non seulement les fleurs entre elles, mais les fleurs et les insectes, puis, par le miel, fleurs insectes et animaux supérieurs. » (16 juin 1857, p. 331).

[14] Michelet souligne le mot. Il fait allusion à un développement de La Bible de l’humanité (1864), II, 6 (pages 297-299 de l’édition Complexe, 1998), dans lequel il explique que le roman est advenu dans la littérature juive de la captivité à Babylone, en même temps que « le monde femme » (c’est le titre du chapitre). Voir les extraits donnés dans la rubrique « Autres essais historiques ».

JEAN GIRAUDOUX : SES MEILLEURS APHORISMES

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                   « Nul moyen, sinon par barbarie, de résister au sourire de Giraudoux » [1], disait André Gide. Voilà une petite preuve supplémentaire que notre époque est saturée de barbarie, car la résistance au sourire giralducien est la norme. On ne lit plus guère ses romans, encore moins ses essais dont le rassemblement en Pléiade a été discrètement mais honteusement annulé [2], et de son théâtre on ne retient guère que deux ou trois pièces, du reste plus admirées de loin que réellement fréquentées. Giraudoux ? Tiens !, comme Paul Guimard intitulait, il y a près de trente ans, son exercice d’admiration, petit essai qui ne semble guère avoir eu d’effet (Grasset, 1988). Tiens, oui, quelle drôle d’idée de lire Giraudoux : trop brillant, trop précieux, trop rhéteur, trop amateur de paradoxes… peut-être tout simplement trop littéraire ? Et puis, tenez compte de ce que Giraudoux dégage des odeurs nauséabondes : l’emprise du politiquement correct est tellement forte dans les esprits contemporains que c’est tout juste si La Guerre de Troie n’aura pas lieu, qui en plus d’être un chef-d’œuvre est aussi, pourtant, un très éloquent plaidoyer pour la paix [3], ne pèse pas moins lourd que sa phrase sempiternellement citée, ce dérapage irrattrapable : « nous sommes pleinement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle est raciale ». Vous pouvez bien avoir donné tous les gages possibles de pacifisme et d’humanisme, si vous avez eu le malheur de prendre au sérieux la notion de race [4], vous en garderez un stigmate d’infamie qui fera de vous à jamais un infréquentable, un complice du Mal, un partisan de l’ignoble [5]. Triste époque que celle où la seule valeur qui compte, chez les blancs, est la phobie du racisme c’est-à-dire, en fin de compte, le dégoût des blancs…

 

 

ROMANS

. Je connais les femmes, elles aiment qu'on soit brutal à condition qu'elles sachent qu'on l'est pour leur faire plaisir. (Jean Giraudoux, Provinciales, I, 2. « Sainte Estelle » (1908), II ; Pléiade Œuvres romanesques complètes, tome I, 1990, p. 53). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. Ne prenez jamais de confident à vos chagrins d'amour : il vous écoute deux minutes, puis vous étourdit de ses propres souffrances. (Jean Giraudoux, Provinciales, II, 2. « La pharmacienne » (1907), II ; Pléiade Œuvres romanesques complètes, tome I, 1990, p. 103).

. Mon poète a raison de dire que les belles choses, quand elles se rapprochent, nous enserrent, nous font leurs prisonniers et que le bonheur est exigeant comme une épouse légitime. (Jean Giraudoux, L’École des indifférents, II. « Don Manuel le paresseux » (1910), III ; Pléiade Œuvres romanesques complètes, tome I, 1990, p. 170).

. « Si un homme s'ennuie, […] excitez-le ; si une femme s'ennuie, retenez-la ! » (Jean Giraudoux, Suzanne et le Pacifique (1921), chap. I ; Pléiade Œuvres romanesques complètes, tome I, 1990, p. 478).

 

THÉÂTRE

. Zelten : « Les pays sont comme les fruits, les vers sont toujours à l'intérieur. » (Jean Giraudoux, Siegfried (1928), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 15). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. Robineau : « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui dailleurs est inconnue. » (Jean Giraudoux, Siegfried (1928), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 16).

. Waldorf : « Servir. […] C'est la devise de tous ceux qui aiment commander. » (Jean Giraudoux, Siegfried (1928), IV, 3 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 64).

. Jupiter : « Le plus beau moment de l’amour d’une femme. […] Le consentement. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), I, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 118).

. Sosie : « Ce qu’on appelle la paix, […] l'intervalle entre deux guerres ! » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 120).

. Le guerrier : « Le civil s’exagère les dangers de la guerre. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 124).

. Jupiter : « Les femmes fidèles sont celles qui attendent du printemps, des lectures, des parfums, des tremblements de terre, les révélations que les autres demandent aux amants. En somme, elles sont infidèles à leurs époux avec le monde entier, excepté avec les hommes. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), I, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 133).

. Alcmène : « L'amant est toujours plus près de l'amour que de l'aimée. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 137). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. Mercure : « C'est avec les mensonges du matin que les femmes font leurs vérités du soir. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 163).

. Amphitryon : « Il ne faut pas se regarder trop en face, entre époux, si l'on veut s’éviter des découvertes... » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), II, 7 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 171).

. Sosie : « Les femmes fidèles sont toutes les mêmes, elles ne pensent qu’à leur fidélité et jamais à leur mari. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), III, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 176).

. Le trompette : « Le propre de la divinité, c’est l’entêtement. Si l’homme savait pousser l’obstination à son point extrême, lui aussi serait déjà dieu. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), III, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 176).

. Jupiter : « Ce conflit est donc non pas un conflit de fond, mais, hélas, un conflit de forme, comme toux ceux qui provoquent les schismes ou les nouvelles religions. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), III, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 184).

. Alcmène : « Je sais ce qu’est un avenir heureux. Mon mari aimé vivra et mourra. Mon fils chéri naîtra, vivra et mourra. Je vivrai et mourrai. » (Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929), III, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 192).

. Le contrôleur : « Peut-être que les esprits ne croient pas aux hommes. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), I, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 284).

. Le contrôleur : « Il nous faut bien convenir que la spécialité la plus émouvante de la France ce ne sont ni ses cathédrales, ni ses hôtelleries, mais cette jeune femme dont le corsage tendrement moulé de satin ou d’organdi aimante dans chaque petite ville aux diverses heures du jour l’itinéraire du sous-préfet, des lycéens, et de toute la garnison ! » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), I, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 290). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. L’inspecteur : « J’étais sûr qu’il y avait des femmes à la base de ces turpitudes. Dès qu'on laisse un peu de liberté à ces fourmis dans l'édifice social, toutes les poutres en sont rongées en un clin d'œil. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), I, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 292).

. L’inspecteur : « Je vais leur apprendre ce qu’est la vie à ces nigaudes : une aventure lamentable, avec, pour les hommes, des traitements de début misérables, des avancements de tortue, des retraites inexistantes, des boutons de faux col en révolte, et pour des niaises comme elles, bavardage et cocuage, casserole et vitriol. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 300).

. L’inspecteur : « Dieu n'a pas prévu le bonheur pour ses créatures ; il n'a prévu que des compensations, la pêche à la ligne, l'amour et le gâtisme. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 301).

. Isabelle : « Nous vivons dans l’hypocrisie, et les milliards de chrétiens qui professent que les morts ont une autre vie le disent sans le croire. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), II, 3 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 316).

. L’inspecteur : « Il faut des vivants pour apprécier la gravité des occupations des vivants. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), III, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 335).

. L’inspecteur : « L'Humanité est […] une entreprise surhumaine […] qui a pour objet d'isoler l'homme de cette tourbe qu'est le Cosmos […] grâce à deux forces invincibles, qu’on nomme l’Administration et l’Instruction obligatoire. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), III, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 336).

. Le contrôleur : « Nous savons tous […] ce que c’est que la mort, c’est un repos définitif. Se torturer à propos d’un repos définitif, c’est plutôt une inconséquence. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), III, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 347).

. Le spectre : « [L'homme] se tient debout sur les pattes de derrière, pour recevoir moins de pluie et accrocher des médailles sur sa poitrine. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), III, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 349).

. Le spectre : « Ce qu’aiment les hommes, […], ce n’est pas connaître, ce n’est pas savoir, c’est osciller entre deux vérités ou deux mensonges. » (Jean Giraudoux, Intermezzo (1933), III, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 350).

. Andromaque : « Il m’a juré que cette guerre était la dernière. » — Cassandre : « C'était la dernière. La suivante l’attend. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 483).

. Cassandre : « Je ne prévois rien. Je tiens seulement compte de deux bêtises, celle des hommes et celle des éléments. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 484).

. Andromaque : « Je ne sais pas ce qu’est le destin. » — Cassandre : « Je vais te le dire. C'est simplement la forme accélérée du temps. C’est épouvantable. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 1 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 484).  giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme,hugues pradier,humanisme,politique raciale,politiquement correct,écologisme,wikipédia

. Hector : « Tu sais, quand on a découvert qu'un ami est menteur ? De lui tout sonne faux, alors, même ses vérités… » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 3 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 488).

. Andromaque : « On ne tue bien que ce qu'on aime ». (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 3 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 488).

. Pâris : « Voyons, Hector ! Tu connais les femmes aussi bien que moi. Elles ne consentent qu'à la contrainte. Mais alors avec enthousiasme ». (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 491).

. Pâris : « Un seul être vous manque, et tout est repeuplé… » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 493). 

. Pâris : « L'amour comporte des moments vraiment exaltants, ce sont les ruptures… » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 493).

. Hécube : « Ce ne sont pas ceux qui font l’amour ou ceux qui sont la beauté qui ont à les comprendre. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 496).

. Hector : « L’avenir des vieillards me laisse indifférent. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 498).

. Demokos : « C’est vraiment pénible de constater que les femmes sont les dernières à savoir ce qu’est la femme. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 499).

. Demokos : « Les guerriers qui n’ont pas un portrait de femme dans leur sac ne valent rien. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 499).

. Andromaque : « [La femme], c’est un pauvre tas d’incertitude, un pauvre amas de crainte, qui déteste ce qui est lourd, qui adore ce qui est vulgaire et facile. […] Elle aime les lâches, les libertins. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 499).

. Hécube : « Voilà cinquante ans que je suis femme et je n’ai jamais pu encore savoir au juste ce que j’étais. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 499).

. Hécube : « À mesure que nous vieillissons, nous les femmes, nous voyons clairement ce qu’ont été les hommes, des hypocrites, des vantards, des boucs. À mesure que les hommes vieillissent, ils nous parent de toutes les perfections. Il n’est pas un souillon accolé derrière un mur qui ne se transforme dans vos souvenirs en créature d’amour. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 500).

. Priam : « La paix […] vous donnera des maris veules, inoccupés, fuyants, quand la guerre fera d’eux des hommes !... » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 501).

.  Priam : « Savez-vous pourquoi vous êtes là, toutes si belles et si vaillantes ? C’est parce que vos maris et vos pères et vos aïeux furent des guerriers. S’ils avaient été paresseux aux armes, s’ils n’avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elle, c’est vous qui seriez lâches et réclameriez la guerre. Il n'y a pas deux façons de se rendre immortel ici-bas, c'est d'oublier qu'on est mortel. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 501).

. Demokos : « La lâcheté est de ne pas préférer à toute mort la mort pour son pays. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 502).

. Demokos : « Vous nous ennuyez avec votre jeunesse. Elle sera la vieillesse dans trente ans. ». (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 502).

. Hélène : « C’est curieux comme ceux qui vous attendent se découpent [sur l’horizon] moins bien que ceux que l’on attend ! » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 506).

. Hélène : « L’homme qui découvre la faiblesse dans une femme, c’est le chasseur à midi qui découvre une source. Il s’en abreuve. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 9 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 507).

. Hélène : « N’allez pas croire, parce que vous avez convaincu la plus faible des femmes, que vous avez convaincu l’avenir. Ce n’est pas en manœuvrant des enfants qu’on détermine le destin… » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 9 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 507). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme,hugues pradier,humanisme,politique raciale,politiquement correct,écologisme,wikipédia

. Hector : « C’est curieux comme les dieux s’abstiennent de parler eux-mêmes dans les cas difficiles. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 9 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 510).

. Hector : « On croit lutter contre des géants, on va les vaincre, et il se trouve qu’on lutte contre quelque chose d’inflexible qui est un reflet sur la rétine d’une femme. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), I, 9 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 510).

. Pâris : « Il suffit de chanter un chant de paix avec grimace et gesticulation et pour qu'il devienne un chant de guerre… » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 516).

. Demokos : « Voyez les officiers : Braves devant l’ennemi lâches devant la guerre, c’est la devise des vrais généraux. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 517).

. Le géomètre : « Le corps est plus vulnérable quand l’amour-propre est à vif. Des guerriers connus pour leur sang-froid le perdent illico quand on les traite de verrues ou de corps thyroïdes. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 518).

. Hector : « Nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 522).

. Hector : « Trouve une vérité qui nous sauve. Si le droit n’est pas l’armurier des innocents, à quoi sert-il ? Forge-nous une vérité. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 523).

. Demokos : « Celà devient impossible de discuter d’honneur avec ces anciens combattants. Ils abusent vraiment du fait qu’on ne peut les traiter de lâches. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 524).

. Hector : « Un discours aux morts de la guerre, c’est un plaidoyer hypocrite pour les vivants, une demande d’acquittement. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 524).

. Andromaque : « Il est comme tous les hommes. Il suffit d’un lièvre pour les détourner du fourré où est la panthère. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 529).

. Andromaque : « Ils ne le croient pas. Mais aucun n’avouera qu’il ne le croit pas. Aux approches de la guerre, tous les êtres sécrètent une nouvelle sueur, tous les évènements revêtent un nouveau vernis, qui est le mensonge. Tous mentent. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 530).

. Hélène : « Les gens ont pitié des autres dans la mesure où ils auraient pitié d'eux-mêmes. Le malheur ou la laideur sont des miroirs qu'ils ne supportent pas. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 532).

. Ulysse : « L’eau sur le canard marque mieux que la souillure sur la femme. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 12 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 538).

. Ulysse : « Je la connais, Aphrodite ! Son serment favori c’est le parjure… » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 12 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 539).

. Iris : « Pallas [Athéna] me charge de vous dire que la raison est la loi du monde. Tout être amoureux, vous fait-elle dire, déraisonne. Elle vous demande de lui avouer franchement s’il y a plus bête que le coq sur la poule ou la mouche sur la mouche. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 12 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 542).

.  Iris : « Zeus, le maître des Dieux, vous fait dire que ceux qui ne voient que l'amour dans le monde sont aussi bêtes que ceux qui ne le voient pas. La sagesse […], c’est tantôt de faire l’amour et tantôt de ne pas le faire. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 12 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 543).

. Ulysse : « Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 13 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 545).

. Hector : « L'univers peut se tromper. C'est à celà que l'on reconnaît l'erreur, elle est universelle. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 13 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 545).

. Ulysse : « Ce n’est pas par des crimes qu’un peuple se met en situation fausse avec son destin, mais par des fautes. […] Les nations, comme les hommes, meurent d’imperceptibles impolitesses. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 13 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 547).

. Ulysse : « C’est là la difficulté de la vie, de distinguer, entre les êtres et les objets, celui qui est l’otage du destin. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 13 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 547).

. Ulysse : « Si nous nous savions vraiment responsables de la guerre, il suffirait à notre génération actuelle de nier et de mentir pour assurer la bonne foi et la bonne conscience de toutes nos générations futures. Nous mentirons. Nous nous sacrifierons. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), II, 13 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 548).

. Ulysse : « Il est des pays idiots qui vivent florissants sur une base imbécile. Il faut bien le dire. Il y a dans la brutalité et l’inconscience quelque chose qui rassure les dieux. » (Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935), version primitive de II, 13 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 1523 (variante a de la p. 543)).

. Mr. Banks : « La grandeur de l'homme est justement qu'il peut trouver à peiner là où une fourmi se reposerait. » (Jean Giraudoux, Supplément au voyage de Cook (1935), scène 4 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 568).  giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. Le président : « [La vie] peut être très agréable. Tout a plutôt tendance à s’arranger dans la vie. La peine morale s’y cicatrise autrement vite que l’ulcère, et le deuil que l’orgelet. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 604).

. Le président : « C’est avec la justice, la générosité, le devoir, et non avec l’égoïsme et la facilité, que l’on ruine l’État, l’individu et les meilleures familles. […] Parce que ces trois vertus comportent le seul élément vraiment fatal à l’humanité, l’acharnement. Le bonheur n'a jamais été le lot de ceux qui s'acharnent. Une famille heureuse, c’est une reddition locale. Une époque heureuse, c’est l’unanime capitulation. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 604-605).

. Électre : « On a beaucoup de droits dans la confrérie des femmes. Si vous payez le droit d’entrée, qui est lourd, qui est d’admettre que les femmes sont faibles, menteuses, basses, vous avez le droit général de faiblesse, de mensonge, de bassesse. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 654).

. Électre : « Le seul bonheur que j'ai connu en ce monde est l'attente. » — Clytemnestre : « C’est un bonheur pour vierges. C’est un bonheur solitaire. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), II, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 655).

. Égisthe : « Et cette justice qui te fait brûler ta ville, condamner ta race, tu oses dire qu’elle est la justice des dieux ? » (Jean Giraudoux, Électre (1937), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 673). 

. Égisthe : « Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 674).  

. Électre : « J’ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu’elles ont tardé une seconde. Je les connais, les jeunes filles qui ont tardé une seconde à dire non à ce qui était laid, non à ce qui était vil, et qui n’ont plus su leur répondre ensuite que par oui et par oui. C’est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n’est qu’un éclair. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 674).

. La femme Narsès : « Comment celà s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourdhui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ? » […] — Le mendiant : « Celà a un très beau nom, femme Narsès. Celà s’appelle l’aurore. » (Jean Giraudoux, Électre (1937), II, 10, excipit ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 685).

. Ondine : « Nous sommes chez les humains. Que je sois malheureuse ne prouve pas que je ne sois pas heureuse. » (Jean Giraudoux, Ondine (1939), III, 5 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 845). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme,hugues pradier,humanisme,politique raciale,politiquement correct,écologisme,wikipédia

. Hans : « Un jour, elles partent. Le jour où tout vous devient clair, le jour où vous voyez que vous n'avez jamais aimé qu'elles, que vous mourrez si une minute elles partaient, ce jour-là, elles partent. » (Jean Giraudoux, Ondine (1939), III, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 847).

. L’archange : « Dieu ne parvient que par sa pitié à distinguer le sacrifice du suicide. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), I, prélude ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 859).

. Lia : « Dieu est comme vous. Lui aussi se dérobe. Que les êtres qu’il a créés soient de pièces et d’arondes que rien n’ajuste, peu lui importe. Il a son tapis volant, qui est le ciel, et l’alibi qu’est pour vous votre corps, pour lui c’est l’ange. C'est de là que vient tout le mal : Dieu est un homme. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 870).

. Jean : « Je pars ! Adieu ! […] Parce que Dieu est injuste… Parce qu’elles ont toujours raison. Tout en elles est ignorance, et elles comprennent tout. Tout vanité, et elles sont simples devant le cœur et ses luttes. Tout en elles est tapage, distraction, et elles contiennent la cage de silence où le moindre grincement et la moindre palpitation du monde sont perçus. Tout en elles est égoïsme, chair, et elles sont le sextant de l’innocence, la boussole de pureté. Tout en elles est crainte, et elles sont le courage. Leurs yeux sont aveuglés de khôl, piqués de faux cils, et elles voient ce que voit l’ange. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 873).

. Lia : « C'est horrible de vivre avec un être qui cache un cœur dans chaque objet de sa maison. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), I, 3 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 878).

. Jean : « On appelle fin du monde le jour où le monde se montre juste ce qu'il est : explosif, submersible, combustible, comme on appelle guerre le jour où l'âme humaine se donne à sa nature. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), II, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 888).

. Lia : « Les hommes n'éprouvent pas leurs sentiments : ils les miment, et celà leur suffit. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), II, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 900).

. Lia : « Ô Dieu, si tu veux que jamais plus femme n'élève la voix, crée enfin un homme adulte ! Que veux-tu que nous fassions de ce fils maniaque que nous n’avons ni porté ni nourri ? » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), II, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 900-901).

. Lia : « Les hommes ont inventé la guerre pour y être sans nous [=les femmes] et entre hommes. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), II, 7 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 902).

. Lia : « Le malheur trempe les êtres dignes de ce nom, mais il les trempe surtout contre eux-mêmes, et il tue en eux ce qui est la vie même. Le malheur est le meilleur moyen que Dieu ait trouvé pour reprendre la générosité aux âmes bonnes, l'éclat aux belles, la pitié aux sensibles. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), II, 7 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 905).

. Lia : « Dieu a laissé discuter un ange. Il a eu Satan. L’homme a laissé discuter sa femme. Il a eu la femme. » (Jean Giraudoux, Sodome et Gomorrhe (1943), II, 8 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 914). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. Le sergent de ville : « C'est un crime contre l'État, […] le suicide. Un suicidé, c'est un soldat de moins, un contribuable de moins… » (Jean Giraudoux, La Folle de Chaillot (1943), acte I ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 975).

. La folle : « Que cherchent-ils ? Ils ont perdu quelque chose ? » — Pierre : « Ils cherchent du pétrole. » […] — La folle : « Curieux ! Qu'est-ce qu'ils veulent en faire ? » — Pierre : « Ce qu'on fait avec du pétrole. De la misère. De la guerre. De la laideur. Un monde misérable. » (Jean Giraudoux, La Folle de Chaillot (1943), acte I ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 982).

. La folle : « Avides ! Alors ils sont perdus ! S’ils sont avides, ils sont naïfs. Où fait-on de mauvaises affaires ? Exclusivement dans les affaires. » (Jean Giraudoux, La Folle de Chaillot (1943), acte I ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 986).

. Irma : « L'amour est le désir d'être aimé. » (Jean Giraudoux, La Folle de Chaillot (1943), acte II ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 1029).

. Eugénie : « On appelle amour le désir, la poursuite, le don, la jalousie, la béatitude et le désespoir. » — Lucile : « Moi pas. J'appelle amour ce qui n'a pas d'autre nom ». (Jean Giraudoux, Pour Lucrèce (1942), I, 2 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 1040).

. Lucile : « Il vivra dans la légende, celà le rehaussera à ses propres yeux. Ce sera une légende fausse, mais où sont les légendes vraies ! Le pauvre agneau Vérité est égorgé au pied de tous les vitraux. Dailleurs puis-je faire autre chose ! […] Les héros sont ceux qui magnifient une vie qu'ils ne peuvent plus supporter. » (Jean Giraudoux, Pour Lucrèce (1942), III, 6 ; Pléiade Théâtre complet, 1982, p. 1113).

 

ESSAIS LITTÉRAIRES

. J’appelle bourgeois ce qui est, par opposition à tout ce qui tend à être… (Jean Giraudoux, Littérature, III, 7. « De siècle à siècle » (1930) ; Gallimard, coll. Idées n°136, 1967, p. 160).  giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. La plupart des pièces que nous considérons comme les chefs-d'œuvre tragiques ne sont que des débats et des querelles de famille. (Jean Giraudoux, Littérature (1941), IV, 5. « Bellac et la tragédie » ; Gallimard, coll. Idées n°136, 1967, p. 229).

. Ce n’est pas le démesuré, l’excessif, ni la raison, ni la mesure, qui maintiennent les peuples grands ou sensés, c’est la constance de leur relation avec le personnage que l’histoire ou la fiction ont rendu leur symbole. (Jean Giraudoux, Littérature (1941), « Épilogue » ; Gallimard, coll. Idées n°136, 1967, p. 243).

 

ESSAIS POLITIQUES ET SOCIAUX

. Le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme : l’énergie, l’audace, la patience. (Jean Giraudoux, Le Sport, Hachette, 1928, p. 8).

. Une vie sportive est une vie héroïque à vide. (Jean Giraudoux, Le Sport, Hachette, 1928, p. 22).

. Dans une espèce d’inertie que lui donnent à égale dose l’optimisme et le stoïcisme, dans ce bel instinct démocratique qui lui fait croire que les jaunes sont blancs, les riches pauvres et les illettrés savants, le dirigeant français croit la race des Français immortelle. Il croit que chaque individu bénéficie sans autre effort de cette immortalité, l’individu animal compris. Il croit que le petit Français de la banlieue aussi bien que la marmotte se tireront d’affaire tout seuls au milieu des typhoïdes et des blaireaux, des avalanches et des embarras de voitures, des braconniers et des voyous. (Jean Giraudoux, « Les animaux rappellent à l'homme d'aujourdhui la vie naturelle », dans Le Figaro, 26 juin 1937, p. 7). [6]

. Le jour où la France devient une nation de second ordre, elle est perdue. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), I ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 21).  

. Il est différentes sortes d’exil. […] Il y a aussi l’exil dans sa propre patrie. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), I ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 22). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. Cette invasion pacifique [=la vague d’immigrants de l’entre-deux-guerres], il était évident que la première tâche de notre État, après avoir repoussé l’invasion armée, était de l’utiliser. Il s’agissait, en la distribuant sur les points de la France où les appelait sa déficience même, de remédier à notre manque d’hommes. Il s’agissait, tout immigrant, dans les conditions présentes de notre pays et de l’Europe, étant un Français potentiel, de définir les règles d’une immigration rationnelle. Mais il s’agissait aussi, par un choix méthodique, par une surveillance impitoyable, de refouler tout élément qui pouvait corrompre une race qui doit sa valeur à la sélection et à l’affinement de vingt siècles. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), II ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 43).

. [Le] bureau de naturalisation […] [aurait dû devenir un] ministère de physiologie et de psychologie […] [qui] choisit. Il a, en premier lieu, le droit d’exiger des étrangers qu’ils soient sains, vigoureux, sans tare mentale ou physique ; à l’entrée dans la Légion, le conseil de révision est impitoyable pour les étrangers qui doivent se faire tuer pour nous ; il ne doit pas l’être moins pour ceux qui doivent vivre avec nous et en nous. Il a, en second lieu, le devoir de veiller strictement aux règles générales qui ont donné ce type humain assez remarquable, le Français constitué. Ces règles sont formelles. La France les a indiquées clairement par les réactions de son Histoire. Par l’invasion, l’infiltration, l’appel, elle a admis chez elle, outre nos frères suisses et belges, la race anglo-saxonne, la scandinave, la germanique, la latine. Des races qui ne peuvent rien pour sa race, elle a su fort bien se débarrasser dès leur première insistance. Poitiers l’a débarrassée des Arabes et des Noirs ; Châlons, des Asiatiques [7]. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), II ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 44-45).

. Entre chez nous qui veut. […] Entrent chez nous tous ceux qui ont choisi notre pays, non parce qu'il est la France, mais parce qu'il reste le seul chantier ouvert de spéculation ou d'agitation facile, et que les baguettes du sourcier y indiquent à haute teneur ces deux trésors qui si souvent voisinent : l'or et la naïveté. Je ne parle pas de ce qu'ils prennent à notre pays, mais, en tout cas, ils ne lui ajoutent rien. Ils le dénaturent par leur présence et leur action. Ils l'embellissent rarement par leur apparence personnelle. Nous les trouvons grouillants sur chacun de nos arts ou de nos industries nouvelles et anciennes, dans une génération spontanée qui rappelle celle des puces sur un chien à peine né. Entrent chez nous, sous le couvert […] de toutes les persécutions, […] tous les expulsés, les inadaptés, les avides, les infirmes. […] Tous ces émigrés, habitués à vivre en marge de l'État et à en éluder les lois, habitués à esquiver toutes les charges de la tyrannie, n'ont aucune peine à esquiver celles de la liberté ; ils apportent là où ils passent l'à-peu-près, l'action clandestine, la concussion, la corruption, et sont des menaces constantes à l'esprit de précision, de bonne foi, de perfection qui était celui de l'artisanat français. Horde qui s'arrange pour être déchue de ses droits nationaux et braver ainsi toutes les expulsions, et que sa constitution physique, précaire et anormale, amène par milliers dans nos hôpitaux qu'elle encombre. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), II ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 45-46).

. En ce qui concerne les migrations provoquées par lui-même, notre État n'a pas eu plus de prévoyance. Il n'a jamais été guidé que par des considérations matérielles. Dabord, alors qu'il pouvait choisir parmi les races les plus voisines de la nôtre, il a favorisé l'irruption et l'installation en France de races primitives ou imperméables, dont les civilisations, par leur médiocrité ou leur caractère exclusif, ne peuvent donner que des amalgames lamentables et rabaisser le standard de vie et la valeur technique de la classe ouvrière française. L'Arabe pullule à Grenelle et à Pantin. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), II ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 46-47).

. Dans l'équipe toujours remarquable des hommes d’État qui prétendent à la conduite de la France, le seul qui aura compris, celui auquel il conviendra de tresser plus tard des couronnes aussi belles qu'au ministre de la Paix, sera le ministre de la Race […]. Qu'importe que les frontières du pays soient intactes, si les frontières de la race se rétrécissent et si la peau de chagrin française est le Français ! […] Le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées ; il ne peut l’être définitivement que par la race française, et nous sommes pleinement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle est raciale, car c'était aussi la pensée de Colbert ou de Richelieu. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), II ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 52).

. Notre mission est de maintenir la France à son rang de nation de premier ordre. Il est hors de doute qu’on ne peut y arriver, même si une politique de peuplement nous assure la quantité, que par la qualité, que si le citoyen français est individuellement un citoyen de premier ordre. (Jean Giraudoux, Pleins pouvoirs (1939), III ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 56). giraudoux,jacques body,la pléiade,gide,claudel,sartre,claude-edmonde magny,rené marill albérès,racisme,antisémitisme,hygiénisme,provinciales,l'école des indifférents,suzanne et le pacifique,siegfried,amphitryon 38,intermezzo,la guerre de troie n'aura pas lieu,électre,sodome et gomorrhe,supplément au voyage de cook,pour lucrèce,la folle de chaillot,pleins pouvoirs,sans pouvoirs,littérature,le sport,chris marker,paul guimard,france,biodiversité,animaux,attila,ondine,bella,les aventures de jérôme bardini,femmes,guerre,pacifisme

. En général, le Français estime en soi-même que la défaite n’est qu’une triste religion, et qu’il n’est pas de défaite en ce monde pour celui qui n’y croit pas. Il n’y a même pas cru pour l’Allemagne en 1918. Quand une nation succombe sur un champ de bataille, c’est justement, si elle le veut, que vient son tour de prendre sur le vainqueur cette suprématie en souffrance et en conscience qui lui redonne, comme au jeu de cartes, le mot et l’initiative dans leur confrontation. (Jean Giraudoux, Sans pouvoirs (1943), I ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 166).

. Ce que les autres pays appellent leur mystique n’a jamais été que la recherche d’un mythe d’égoïsme qui leur permît d’agir impitoyablement dans le monde et sur le monde au même titre, avec les mêmes armes, et les mêmes justifications qu’avec l’altruisme et la foi. L’absence totale chez nos chefs de mystique, la répugnance marquée de notre peuple à se nourrir de ce succédané hypocrite, l’incapacité pour la nation des Croisades d’entreprendre des croisades en faveur de soi-même, ont permis que nos plus différents Présidents du Conseil soient à l’aise dans l’humanité et en deviennent de bons fonctionnaires. (Jean Giraudoux, Sans pouvoirs (1943), IV ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 217).

. L’homme était chez lui sur la terre. Il n’y est plus. La tyrannie mécanique coupe chaque jour davantage sa fraternité et sa communauté, qu’elles soient d’intérêts ou de goûts, avec la nature. La mécanique est le scalpel qui tranche les adhérences entre ces jumeaux que sont l’arbre et l’homme, l’animal et l’homme, la pierre et l’homme. (Jean Giraudoux, Sans pouvoirs, VIII (1940); dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 252-253).

. Tout donne à penser que la paix ne sera qu’un pénible ajustement entre une race blanche mutilée et une civilisation mécanique triomphante. (Jean Giraudoux, Sans pouvoirs, VIII (1940) ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 254).

. Car il ne faut plus nier l’évidence ; chaque uniformité donnée à un acte, chaque succédané trouvé à un produit, chaque habileté retirée à une main et confiée à un moteur, chaque voix retirée à des cordes vocales et passée à un résonateur est une atteinte à notre vie physique, à cet état d’alerte et de clairvoyance merveilleux auquel toutes les beautés et les noblesses du monde, de ses êtres et de ses matériaux nous ont hissés. Ce n’est ni plus ni moins que la barbarie qui descend sur l’humanité, une barbarie prétentieuse mais inéluctable, si nous voyons chaque jour, définition de la barbarie, baisser dans l’univers le niveau de l’ouïe, du goût, du toucher et du regard. / Ces sens qui s’aiguisaient autrefois, […] se vulgarisent et s’émoussent pour une masse humaine qui n’a plus ce recours à mesure que le progrès écarte d’elle les vrais métaux, les vrais sons, les vrais objets pour ne lui en fournir que des ectoplasmes. / Ce sera moins la laideur qui s’emparera du monde, qu’une espèce de paralysie qui lui retirera ses saveurs et ses clartés et nous amènera à l’état le plus désespérant, la barbarie sans la simplicité et sans la naïveté. (Jean Giraudoux, Sans pouvoirs, VIII (1940) ; dans De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 263).

 

CORRESPONDANCE

. Les grands hommes infatués d’eux-mêmes aiment beaucoup dire qu’ils ont pour camarade journalier le destin. (Jean Giraudoux, lettre à Mme Prévost, 28 janvier 1937 ; publiée dans Cahiers Jean Giraudoux, n°10, Grasset, 1981, p. 7).

 

 

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[1] Cette formule de Gide est souvent citée à propos de Giraudoux, par exemple dans le petit livre de Chris Marker, Giraudoux par lui-même (Seuil, 1952, p. 174), ou comme conclusion de la quatrième-de-couverture de la monumentale biographie de Jacques Body : Jean Giraudoux, Gallimard, 2004. Elle provient de « Tombeau de Jean Giraudoux », un article d'hommage posthume paru dans L’Arche en mars 1944 (repris dans la Pléiade Essais critiques, 1999, p. 915-917, la formule est page 916). Gide, quoiqu’il ne l’admire pas sans réserves, se flatte d’avoir salué Giraudoux dès son premier livre (Provinciales), en 1909. Il souligne, ce qui est presque un cliché, le caractère essentiellement français de Giraudoux : « Le génie même de la France respirait en Giraudoux », et « … un des plus exquis, des plus féconds et des plus importants représentants de l’art français dans ce qu’il a de plus prenant et de plus irremplaçable ».

[2]À la fin de l’introduction générale des Œuvres romanesques complètes (tome I, 1990, page XXXIX), Jacques Body écrit : « Nous l’avons considéré [le récit des Hommes-tigres] comme une œuvre de témoignage plus que d’imagination, et nous la placerons après les récits de guerre et avant les écrits intimes et les essais sur la littérature, l’art, le sport et la politique, dans un dernier volume de la Bibliothèque de la Pléiade qui sera, lui aussi, riche de pages méconnues, voire oubliées, sinon même inédites, au côté de titres éclatants : Lectures pour une ombre, Amica America, Adorable Clio, Le Sport, Les Cinq tentations de La Fontaine, Pleins pouvoirs, Littérature, Visitations. Ce sera, après le Théâtre complet réédité en 1987 et les deux volumes des Œuvres romanesques complètes que voici, le quatrième et dernier tome des œuvres de Jean Giraudoux. » Et il récidive au début de la « Note sur la présente édition », page LXXVII : « Notre édition rassemble, en deux tomes, toutes les œuvres narratives de Jean Giraudoux […] – à l’exclusion des récits de guerre (Lectures pour une ombre, Amica America, Adorable Clio) et des écrits intimes (dont Portugal et Souvenir de deux existences) qui paraîtront dans un dernier volume avec les écrits sur la littérature, sur l’art et l’urbanisme et sur la politique : notamment Les Cinq tentations de La Fontaine, Littérature, Or dans la nuit, Visitations, Pour une politique urbaine, Pleins pouvoirs, Armistice à Bordeaux, Sans pouvoirs. » Or, vingt-sept ans plus tard, rien n’est venu, et il semble même qu’il ne faille plus s’attendre à rien voir venir. En effet, un blogueur qui s’est spécialisé dans les parutions à venir de la Pléiade a personnellement contacté Jacques Body : « Ce quatrième tome n’est absolument pas en préparation. Projet abandonné. » L’absence de ce tome des essais de Giraudoux est une tache sur le catalogue de la Pléiade  (de même que celle du tome II des essais de Montherlant, indéfiniment reporté, ou du tome III du nouveau Vigny, ou du tome III des Œuvres diverses de Balzac, ou des tomes IV et V de la poésie de Hugo…), et pas seulement parce que plusieurs des titres qu’il devait contenir sont difficiles à trouver : l’œuvre de Giraudoux est une, ses essais fournissent un éclairage indispensable sur ses romans et ses pièces. L’annulation de ce projet formellement annoncé est un véritable scandale. Qu’est-ce qu’on attend pour clouer Hugues Pradier au pilori, après l’avoir enduit de goudron et de plumes !

[3] Au point que Claudel, dont certes la pondération et la largeur de compréhension ne sont pas les qualités dominantes, a pu écrire dans son Journal : « Cette apologie de la lâcheté et de la paix à tout prix est répugnante. » (26 novembre 1935 : Pléiade tome II, 1969, p. 115). Et quelque admiration que je puisse avoir pour la pièce, je dois bien avouer que, une fois n’est pas coutume, elle m’inspire aussi la même réaction qu’à Claudel…  — On notera que, sept mois plus tôt, Giraudoux avait écrit un bel article pour critiquer l’Académie française d’avoir refusé d’élire Claudel, scrutin en quoi il voyait une faute sociale qui remettait en cause le principe même de toute élection : « Paul Claudel et l’Académie », repris dans  Littérature, III, 4, Gallimard, coll. Idées n°136, 1967, p. 137-140. — Il est juste de signaler que Claudel, comme Gide, se fendit d’un article d’hommage posthume : « Adieu à Giraudoux », publié le 9 février 1944 dans Candide (qui le lui avait demandé) et repris dans le recueil Accompagnements (Pléiade Œuvres en prose, 1965, p. 571-574). À vrai dire, Claudel y évoque surtout le collègue diplomate et l’homme, se contentant d’une brève allusion à ses livres et son théâtre. Il n’y a qu’un seul texte sur lequel il s’attarde, et j’ai plaisir à recopier son jugement, pour anticiper la note suivante : « Ce regard juste n’était pas étroit, et il était capable de larges aperçus. Cette vive intelligence qui s’amusait aux détails, savait remonter aux causes. Le livre Pleins pouvoirs qu’il publia quelques mois avant la guerre actuelle est l’un des jugements les plus raisonnables et les mieux justifiés qui aient été portés par un expert sur les tares d’un régime qui s’abandonne, il serait plus exact de dire : qui s’avachit. C’est un document d’un intérêt capital et durable. » (p. 573).

[4] Giraudoux n’est pourtant pas un pur racialiste à l’allemande. Il admet que la race française est un composé, il pense que le problème est de « constituer, au besoin avec des apports étrangers, un type moral et culturel » (De Pleins pouvoirs à Sans pouvoirs, Gallimard, 1950, p. 53), il montre une certaine inconséquence en critiquant le slogan « La France aux Français » et un grand idéalisme en défendant le droit d’asile (ibid., p. 48-49). Mais il fait surtout preuve d’un immense bon sens – un bon sens qui est devenu tout simplement criminel aux yeux de la mentalité droidlomiste – en posant ces idées élémentaires : 1) La France suppose le Français, c’est-à-dire un certain type ethnique qui n’est pas indifférent, qui n’est pas indéfiniment plastique, qui n’a pas vocation à se transformer radicalement. 2) Ce type devant être préservé à peu près tel quel, il est possible (voire nécessaire tant que nous n’avons pas fait remonter notre taux de natalité) d’enrichir la France par un petit apport d’étrangers au type proche du nôtre (c’est-à-dire des Européens), mais il serait suicidaire de permettre un afflux massif d’étrangers au type très différent (c’est-à-dire des Arabes, des Noirs, des Asiatiques). 3) Faire de la population française une question politique, c’est aussi poser le problème de la qualité physique et morale des Français, c’est avoir le souci de leur santé, de leur hygiène, de leur durée de vie, mais aussi de leurs capacités et de leur beauté. C’est pourquoi tous les immigrés ne sont pas uniformément acceptables : nous devons choisir ceux qui nous ressemblent et nous plaisent, nous devons rejeter sans faiblesse aveugle et délétère ceux dont la laideur, l’immoralité, le comportement incivil, les aptitudes médiocres, ne sont pas désirables.

[5] Voyez par exemple la notice de Wikipédia : elle est composée de trois sections biographiques et d’une quatrième qui pose la question qui fâche : « Giraudoux antisémite et raciste ? ». C’est à croire que Giraudoux n’a jamais abordé d’autres thèmes, que toute sa pensée tourne autour de cette question, que toute son œuvre ne mérite d’être étudiée que sous cet angle ! Cette section d’une vingtaine de lignes, le quart de la notice, s’orne de pas moins de vingt-sept notes référentielles (!), qui donnent à penser que, depuis trente ans, la recherche universitaire ne s’intéresse plus à Giraudoux que pour y scruter ses symptômes de racisme et d’antisémitisme. Il est à peine besoin de signaler que pendant plus d’un demi-siècle, des années 30 aux années 80, les études sur l’œuvre et la pensée de Giraudoux ne voyaient pas là matière à analyse. Sartre et Claude-Edmonde Magny préféraient discuter son aristotélisme et sa préciosité… Plus encore, voyez la thèse majeure de René-Marill Albérès : Esthétique et morale chez Jean Giraudoux (Nizet, 1970). Il s’y attarde sur l’esthétique cosmique, sur la morale spinoziste et stoïcienne, sur la dualité, sur l’esthétique adamique, sur les mythes dramatiques, sur la crise morale, sur les problèmes de l’amour et du couple, sur la morale platonicienne… mais ne voit pas qu’il y ait rien à dire sur le racisme ou l’antisémitisme. Dans les quelques pages où il traite de Pleins pouvoirs (p. 467-476), il n’a trouvé que deux thèmes à explorer : le machinisme (Giraudoux n’est pas loin du Bernanos de La France contre les robots, ça c’est moi qui l’ajoute), et l’urbanisme, d’où un rapprochement avec La Folle de Chaillot, dont il est encore plus question que de Pleins pouvoirs dans ces quatre sections du chapitre 30. Albérès aurait été bien étonné de lire la notice de Wikipédia dans son état actuel, tellement symptomatique de notre fixette sur le racisme.  — J’avais déjà fait la même observation sur la notice de Wikipédia consacrée à Paul Léautaud : conformément à la névrose contemporaine, elle contenait une section importante sur ses idées antisémites et réactionnaires, mais laissait dans l’ombre des pans de sa personnalité autrement plus importants, en particulier ses rapports avec les femmes et son amour pour les animaux. (Elle a été complétée depuis.)

[6] Cette allocution prononcée devant la Société Nationale d’Acclimatation (devenue Société Nationale de Protection de la Nature en 1960) est un véritable petit manifeste écologiste. Soucieux de biodiversité, d’un monde vivant riche, beau et varié, Giraudoux y déplore la disparition de certaines espèces animales et s’inquiète de la survie des espèces actuelles. On y perçoit comment s’articulent écologisme, anti-machinisme, hygiénisme, racisme : c’est le même souci qui pousse à préserver la diversité et la qualité des races animales, et la diversité et la qualité des races humaines. Ce texte a été repris dans les Œuvres littéraires diverses, Grasset, 1958, p. 643, ainsi que dans les Cahiers Jean Giraudoux, n°11, Grasset, 1982, p. 147-154. Giraudoux, dont le vocabulaire est saturé de termes animaliers, est aussi l’auteur de Bêtes (Firmin-Didot, 1931), un album photographique. Le texte en a été repris sous le titre « La bête et l’écrivain » dans le recueil Littérature (1941) : 3ème partie, chapitre 6.

[7] Giraudoux fait allusion à la bataille des Champs catalauniques qui, le 20 juin 451, vit les troupes germaniques fédérées par le patrice Aetius repousser les Huns d’Attila (et les nombreux peuples germaniques qui leur étaient soumis).

ALEXANDRE DUMAS : SES MEILLEURS APHORISMES

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Dumas.jpg            Alexandre Dumas (1802-1870) n’est pas un grand aphoriste, mais c’est un écrivain très français : c’est pourquoi il est aussi un moraliste, nécessairement. Ce qui implique que ses écrits contiennent quelques belles maximes ici et là. En voici une petite collection.

            Je n’ai pas voulu les répartir par thèmes, j’ai préféré les donner selon les œuvres où elles figurent. J’ai classé ces œuvres dans un ordre un peu complexe : dabord par genre, mais, pour le roman, genre largement dominant, selon l’époque de l’intrigue et néanmoins, à l’intérieur de ces portions historiques, selon l’ordre d’écriture. Voici les treize rubriques constituées, accessibles ici d'un clic :

Théâtre : drames historiques                    Théâtre : drames modernes                      Romans historiques : Antiquité et Moyen-Âge      Romans historiques : XVIe siècle            Romans historiques :  Trilogie des mousquetaires                      Romans historiques : XVIIe siècle et début XVIIIe siècle                    Romans historiques : XVIIIe siècle, Révolution, Empire              Romans contemporains (XIXe siècle)                  Romans russes                    Récits fantastiques                      Récits d’histoire             Mémoires et récits de voyages                 Divers et propos oraux

 

THÉÂTRE : DRAMES HISTORIQUES

. Napoléon : « Il faut se servir de ses conquêtes pour conquérir. » (Alexandre Dumas, Napoléon Bonaparte ou trente ans de l’histoire de France (1831), acte III, tableau 5, scène 1 ; Théâtre complet, première série, Michel Lévy frères, 1863, p. 359).  Dumas Drames romantiques.jpg

. Marguerite : « Il y a des poisons si violents, qu’ils brisent le vase qui les renferme. » (Alexandre Dumas, La Tour de Nesle (1832), acte III, tableau 6, scène 5 ; Omnibus Drames romantiques, 2002, p. 522).

. Mazarin : « Bernouin, si zamais tou deviens homme d'État, n'oublie pas que le grand secret de la politique est dans ces deux mots : Savoir attendre… […] Bernouin ! si zamais tou es ministre, souviens-toi qu'on se tire de tout avec ces deux mots : Savoir azir. » (Alexandre Dumas, La Jeunesse de Louis XIV (1854), II, 8 ; Théâtre complet, douzième série, Michel Lévy frères, 1865, p. 128-129).

 

THÉÂTRE : DRAMES MODERNES

. Combien, pour un beau jour, de tristes lendemains ! (Alexandre Dumas, Antony (1831), poème liminaire ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 10).

. Antony : « Douter, voilà le malheur ; mais lorsqu’on n’a plus rien à espérer ou à craindre de la vie, que notre jugement est prononcé ici-bas comme celui d’un damné,… le cœur cesse de saigner : il s’engourdit dans sa douleur ;… et le désespoir a aussi son calme, qui, vu par les gens heureux, ressemble au bonheur… Et puis, malheur, bonheur, désespoir, ne sont-ce pas de vains mots, un assemblage de lettres qui représente une idée dans notre imagination, et pas ailleurs ;… que le temps détruit et recompose pour en former d’autres… Qui donc, en me regardant, en me voyant vous sourire comme je vous souris en ce moment, oserait dire : "Antony n’est pas heureux !…" » (Alexandre Dumas, Antony (1831), I, 6 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 37). alexandre dumas,dumas père,napoléon,la tour de nesles,la jeunesse de louis xiv,kean,antony,louise bernard,les trois mousquetaires,vingt ans après,le vicomte de bragelonne,la tulipe noire,le chevalier d'harmental,le sphinx rouge,le capitaine paul,aventures de john davys,le chevalier de maison-rouge,les compagnons de jéhu,le chevalier de sainte-hermine,pauline,gabriel lambert,le comte de monte-cristo,la boule de neige,la princesse flora,les mille et un fantômes,la femme au collier de velours,le meneur de loups,mes mémoires,le corricolo,la reine margot,joseph balsamo,ange pitou,conscience l'innocent,la comtesse de charny,le collier de la reine,les mohicans de paris,la san-felice,d'artagnan,richelieu,mazarin,athos

. Antony : « Voilà les hommes… Que j’aille au milieu d’eux, qu’écrasé de douleurs, je tombe sur une place publique, que je découvre à leurs yeux béants et avides la blessure de ma poitrine et les cicatrices de mon bras, ils diront : "Oh ! le malheureux, il souffre ! ", car là, pour leurs yeux vulgaires, tout sera visible, sang et blessures… Et ils s’approcheront ;… et, par pitié pour une souffrance qui demain peut être la leur, ils me secourront… Mais que, trahi dans mes espérances les plus divines… blasphémant Dieu, l’âme déchirée et le cœur saignant, j’aille me rouler au milieu de leur foule, en leur disant : "Oh ! mes amis, pitié pour moi, pitié ! je souffre bien !… je suis bien malheureux !… ", ils diront : "C’est un fou, un insensé ! ", et ils passeront en riant… » (Alexandre Dumas, Antony (1831), I, 6 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 37-38).

. Antony : « Depuis le jour où je me suis connu, tout ce qui eût été pour un autre positif et réalité n’a été pour moi que rêve et déception. N’ayant point un monde à moi, j’ai été obligé de m’en créer un ; il me faut, à moi, d’autres émotions, d’autres douleurs, d’autres plaisirs, et peut-être d’autres crimes ! » (Alexandre Dumas, Antony (1831), II, 3 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 52). 

. Antony : « Pourvu que je change de lieu, que je voie de nouveaux visages, que la rapidité de ma course me débarrasse de la fatigue d’aimer ou de haïr, qu’aucun cœur ne se réjouisse quand j’arrive, qu’aucun lien ne se brise quand je pars, il est probable que j’arriverai comme les autres, après un certain nombre de pas, au terme d’un voyage dont j’ignore le but, sans avoir deviné si la vie est une plaisanterie bouffonne ou une création sublime… » (Alexandre Dumas, Antony (1831), II, 4 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 55).

. La vicomtesse : « Allons, allons, n’allez-vous pas retomber dans vos accès de misanthropie !… Oh ! je n’ai pas oublié votre haine pour les hommes… » — Antony : « Eh bien, madame, je me corrige. Je les haïssais, dites-vous ?… Je les ai beaucoup vus depuis, et je ne fais plus que les mépriser ; et, pour me servir d’un terme familier à la profession que vous affectionnez maintenant, c’est une maladie aiguë qui est devenue chronique. » (Alexandre Dumas, Antony (1831), II, 4 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 61).

. Antony : [Je ne crois pas] « À l’amitié, non… C’est un sentiment bâtard dont la nature n’a pas besoin, une convention de la société que le cœur a adoptée par égoïsme, où l’âme est constamment lésée par l’esprit, et que peut détruire du premier coup le regard d’une femme ou le sourire d’un prince. » (Alexandre Dumas, Antony (1831), II, 4 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 62).

. Antony : « Et quand je pense qu’il ne faudrait pour sortir de l’enfer de cette vie que la résolution d’un moment, qu’à l’agitation de la frénésie peut succéder en une seconde le repos du néant, que rien ne peut, même la puissance de Dieu, empêcher que celà soit, si je le veux… Pourquoi donc ne le voudrais-je pas ?… est-ce un mot qui m’arrête ?… Suicide !… Certes, quand Dieu a fait des hommes une loterie au profit de la mort, et qu’il n’a donné à chacun d’eux que la force de supporter une certaine quantité de douleurs, il a dû penser que cet homme succomberait sous le fardeau, alors que le fardeau dépasserait ses forces… Et d’où vient que les malheureux ne pourraient pas rendre malheur pour malheur ?… Celà ne serait pas juste, et Dieu est juste !… » (Alexandre Dumas, Antony (1831), III, 3 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 89-90).

 . Antony : « Oh ! si elle pleure, que ce soit ma mort du moins… Antony pleuré par Adèle… Oui, mais aux larmes succéderont la tristesse, la mélancolie, l’indifférence… Son cœur se serrera encore de temps en temps lorsque par hasard on prononcera mon nom devant elle ;… puis on ne le prononcera plus… l’oubli viendra… l’oubli, ce second linceul des morts !… » (Alexandre Dumas, Antony (1831), III, 3 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 90). alexandre dumas,dumas père,napoléon,la tour de nesles,la jeunesse de louis xiv,kean,antony,louise bernard,les trois mousquetaires,vingt ans après,le vicomte de bragelonne,la tulipe noire,le chevalier d'harmental,le sphinx rouge,le capitaine paul,aventures de john davys,le chevalier de maison-rouge,les compagnons de jéhu,le chevalier de sainte-hermine,pauline,gabriel lambert,le comte de monte-cristo,la boule de neige,la princesse flora,les mille et un fantômes,la femme au collier de velours,le meneur de loups,mes mémoires,le corricolo,la reine margot,joseph balsamo,ange pitou,conscience l'innocent,la comtesse de charny,le collier de la reine,les mohicans de paris,la san-felice,d'artagnan,richelieu,mazarin,athos

. Eugène : « Si vous avez à vous plaindre d’une chose, c’est de ce que la vie est si courte et de ce que les jours sont si longs. » (Alexandre Dumas, Antony (1831), IV, 1 ; La table ronde, coll. Petite vermillon n°31, 1994, p. 107).

. Kean : « Il n'y a d'amitié qu'entre égaux, monseigneur, et il y a autant de vanité à vous de m’avoir dans votre voiture, que de sottise à moi d’y monter... ». (Alexandre Dumas, Kean ou désordre et génie (1836), acte IV, tableau 4, scène 7 ; Omnibus Drames romantiques, 2002, p. 843).

 . Kean : « En amour, qui doute accuse. » (Alexandre Dumas, Kean ou désordre et génie (1836), acte V, tableau 6, scène 6 ; Omnibus Drames romantiques, 2002, p. 859).

. Antoine : « La maman crie d'abord... puis elle pleure, puis elle sanglote... puis elle pardonne… Les mamans, ça pardonne toujours… c'est venu au monde pour ça. » (Alexandre Dumas, Louise Bernard (1843), II, 5 ; Théâtre complet, sixième série, Michel Lévy frères, 1864, p. 32).

 

ROMANS HISTORIQUES : ANTIQUITÉ et MOYEN-ÂGE

[à compléter]

 

ROMANS HISTORIQUES : XVIe siècle

[à compléter]

 

ROMANS HISTORIQUES : TRILOGIE DES MOUSQUETAIRES

. Ce qui frappe l’esprit capricieux du poète n’est pas toujours ce qui impressionne la masse des lecteurs. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), préface ; Pléiade, 1962, p. 3).

. [Il] était donc admiré, craint et aimé, ce qui constitue l’apogée des fortunes humaines. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. II ; Pléiade, 1962, p. 26). Dumas Pléiade 3 mousquetaires.jpg

. L’espérance est la dernière chose qui s’éteint dans le cœur de l’homme. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. IV ; Pléiade, 1962, p. 49).

. Les trois mouquetaires : « Il en est des valets commes des femmes, il faut les mettre tout-de-suite sur le pied où l’on désire qu’ils restent. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. VI ; Pléiade, 1962, p. 93). 

. Aramis : « La femme a été créée pour notre perte, et c’est d’elle que nous viennent toutes nos misères. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. IX ; Pléiade, 1962, p. 106).

. L’amour est la plus égoïste de toutes les passions. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XI ; Pléiade, 1962, p. 125).

. Ce n’est pas à propos d’un premier amour qu’il faut demander de la discrétion. Ce premier amour est accompagné d’une si grande joie qu’il faut que cette joie déborde, sans celà elle vous étoufferait. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XI ; Pléiade, 1962, p. 126).

. Anne d’Autriche : « Quelle folie de nourrir une passion inutile avec de pareils souvenirs ! » — Buckingham : « Et avec quoi voulez-vous donc que je vive ? Je n’ai que des souvenirs, moi. C’est mon bonheur, mon trésor, mon espérance. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XI ; Pléiade, 1962, p. 145).

. Le diable ne se laisse pas déposséder facilement d’une place où il a mis garnison. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XVI ; Pléiade, 1962, p. 183).

. Bonacieux : « Les intérêts particuliers ne sont rien devant les intérêts de tous. Je suis pour ceux qui sauvent l’État. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XVII ; Pléiade, 1962, p. 199).

. D’Artagnan : « Le roi a-t-il l’habitude de vous rendre des comptes ? Non, il vous dit tout bonnement : Messieurs, on se bat en Gascogne ou dans les Flandres, allez vous battre ; et vous y allez. Pourquoi ? Vous ne vous en inquiétez même pas. » — Athos : « D’Artagnan a raison. […] Allons nous faire tuer où l’on nous dit d’aller. La vie vaut-elle la peine de faire autant de questions ? » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XIX ; Pléiade, 1962, p. 218).

. Athos : « Mon avis est qu’il ne convient pas de mettre en rien des laquais dans une pareille affaire ; un secret peut par hasard être trahi par des gentilshommes, mais il est presque toujours vendu par des laquais. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XIX ; Pléiade, 1962, p. 219).

. M. de Tréville : « Ah ! jeune homme ! jeune homme ! quelque amourette ? Prenez garde, je vous le répète : c’est la femme qui nous a perdus, tous tant que nous sommes, et qui nous perdra encore, tous tant que nous sommes. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXIII ; Pléiade, 1962, p. 258).

. Un fripon ne rit pas de la même façon qu’un honnête homme, un hypocrite ne pleure pas les mêmes larmes qu’un homme de bonne foi. Toute fausseté est un masque, et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours, avec un peu d’attention, à le distinguer du visage. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXV ; Pléiade, 1962, p. 273).

. Il n’y a pas d’amitié qui tienne à un secret surpris, surtout quand ce secret intéresse l’orgueil ; puis on a toujours une certaine supériorité morale sur ceux dont on sait la vie. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXVI ; Pléiade, 1962, p. 292).

. Rien ne fait marcher le temps et n’abrège la route comme une pensée qui absorbe en elle-même toutes les facultés de l’organisation de celui qui pense. L’existence extérieure ressemble alors à un sommeil dont cette pensée est le rêve. Par son influence, le temps n’a plus de mesure, l’espace n’a plus de distance. On part d’un lieu, et l’on arrive à un autre, voilà tout. De l’intervalle parcouru, rien n’est resté présent à votre souvenir, qu’un brouillard vague dans lequel s’effacent mille images confuses d’arbres, de montagnes et de paysages. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXVI ; Pléiade, 1962, p. 292-293).

. Aramis : « Poussière, je rentre dans la poussière. La vie est pleine d’humiliations et de douleurs, […] ; tous les fils qui la rattachent au bonheur se rompent tour à tour dans la main de l’homme, surtout les fils d’or. […] Croyez-moi, cachez bien vos plaies quand vous en aurez. Le silence est la dernière joie des malheureux ; gardez-vous de mettre qui que ce soit sur la trace de vos douleurs ; les curieux pompent nos larmes comme les mouches font du sang d’un daim blessé. […] Vous êtes mon ami aujourd’hui, demain vous ne serez plus pour moi qu’une ombre ; ou plutôt même, vous n’existerez plus. Quant au monde, c’est un sépulcre et pas autre chose. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXVI ; Pléiade, 1962, p. 305-306).

. Athos : « Cœurs tendres, cœurs percés. […] L’amour est une loterie où celui qui gagne, gagne la mort ! » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXVII ; Pléiade, 1962, p. 324).

. Pour un amour réel, pour une jalousie véritable, y a-t-il d’autre réalité que les illusions et les chimères ? (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXIX ; Pléiade, 1962, p. 344).

. Athos : « Je ne connais pas une femme qui vaille la peine qu’on la cherche quand elle est perdue. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXX ; Pléiade, 1962, p. 351).

. Qui chasse l’aigle ne s’occupe pas du passereau. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXIII ; Pléiade, 1962, p. 379).

. Athos : « En général, on ne demande de conseils […] que pour ne pas les suivre ; ou, si on les a suivis, que pour avoir quelqu'un à qui l'on puisse faire le reproche de les avoir donnés. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXIV ; Pléiade, 1962, p. 386).

. Athos : « Pour retrouver une femme, vous faites la cour à une autre : c’est le chemin le plus long, mais le plus amusant. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXIV ; Pléiade, 1962, p. 388).

. On aurait tort de juger les actions d’une époque au point-de-vue d’une autre époque. Ce qui aujourdhui serait regardé comme une honte pour un galant homme était dans ce temps une chose toute simple et toute naturelle, et les cadets des meilleures familles se faisaient en général entretenir par leurs maîtresses. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXV ; Pléiade, 1962, p. 401).

. Le cœur de la meilleure femme est impitoyable pour les douleurs d'une rivale. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXV ; Pléiade, 1962, p. 402).

. D’Artagnan : « Oh ! les difficultés ne m’effrayent pas […] ; il n’y a que les impossibilités qui m’épouvantent. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXVI ; Pléiade, 1962, p. 405).

. Derrière tout bonheur présent est cachée une crainte à venir. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XXXIX ; Pléiade, 1962, p. 428).

. On ne peut combattre l’extrême préoccupation que par l’extrême insouciance. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XL ; Pléiade, 1962, p. 443).

. Athos : « Le temps amène l’occasion, l’occasion c’est la martingale de l’homme : plus on a engagé, plus l’on gagne quand on sait attendre. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLII ; Pléiade, 1962, p. 464).

. Il ne faut croire ni à ce que disent les ministres, ni à ce que disent leurs ennemis. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLIII ; Pléiade, 1962, p. 468).

. Richelieu : « Il y aura en tout temps et dans tous les pays, surtout si ces pays sont divisés de religion, des fanatiques qui ne demanderont pas mieux que de se faire martyrs. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLIV ; Pléiade, 1962, p. 478-479).

. Athos : « … cinq-cents personnes là-bas […] qui nous prennent pour des fous ou pour des héros, deux classes d’imbéciles qui se ressemblent assez. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLVII ; Pléiade, 1962, p. 498).

. Aramis : « Le principal n’est pas de savoir lequel de nos quatre laquais est le plus discret, le plus fort, le plus adroit ou le plus brave ; le principal est de savoir lequel aime le plus l’argent. » — Athos : « Ce que dit Aramis est plein de sens […] ; il faut spéculer sur les défauts des gens et non sur leurs vertus. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLVIII ; Pléiade, 1962, p. 516).

. Athos : « La vie est un chapelet de petites misères que le philosophe égrène en riant. Soyez philosophes comme moi, Messieurs, mettez-vous à table et buvons ; rien ne fait paraître l’avenir couleur de rose comme de le regarder à travers un verre de chambertin. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLVIII ; Pléiade, 1962, p. 526). Dumas 3 mousquetaires.jpg

. Milady : « Fixez mes irrésolutions. J’ai du courage pour tout danger que je prévois, pour tout malheur que je comprends. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. XLIX ; Pléiade, 1962, p. 536).

. Buckingham : « Je ne connais pas d’homme qui mérite d’être regretté pendant toute la vie d’un autre homme. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. LIX ; Pléiade, 1962, p. 628).

. Un bon général [...] prévoit tout ensemble la victoire et la défaite, et […] est tout prêt, selon les chances de la bataille, à marcher en avant ou à battre en retraite. (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. LXIII ; Pléiade, 1962, p. 662).

. Athos : « Ami, sois homme : les femmes pleurent les morts, les hommes les vengent ! » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. LXIII ; Pléiade, 1962, p. 670).

. L’homme au manteau rouge : « Le bourreau peut tuer, sans être pour celà un assassin […] ; c’est le dernier juge, voilà tout. » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. LXVI ; Pléiade, 1962, p. 687).

. D’Artagnan : « Je n’aurai donc plus d’amis […] ; hélas ! plus rien, que d’amers souvenirs. » — Athos : « Vous êtes jeune, vous, […] et vos souvenirs amers ont le temps de se changer en doux souvenirs ! » (Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires (1844), chap. LVII ; Pléiade, 1962, p. 699).

. Mazarin : « Je connais vos Français […] : ils chantent, ils payeront. Pendant la Ligue, […] on ne chantait que la messe, aussi tout allait fort mal. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. II ; Pléiade, 1962, p. 717).

. D’Artagnan : « Croyez-moi, ne marchandons pas, on fait mal les grandes choses avec de petits moyens. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. V ; Pléiade, 1962, p. 755).

. On croit facilement ce qu’on désire ; or, à l’armée, depuis les généraux de division qui désirent la mort du général en chef jusqu’aux soldats qui désirent la mort des caporaux, tout-le-monde désire la mort de quelqu’un. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. VI ; Pléiade, 1962, p. 760).

. Dans les grandes circonstances rien n’est plus naturel que le monologue. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. VI ; Pléiade, 1962, p. 761).

. D’Artagnan : « La jeunesse est un grand défaut… quand on n’est plus jeune. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. VII ; Pléiade, 1962, p. 767).

. D’Artagnan : « Les grands ne sont reconnaissants que lorsque l’on fait pour eux l’impossible. "Si c’eût été possible, nous disent-ils, je l’eusse fait moi-même." Et les grands ont raison. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. VII ; Pléiade, 1962, p. 768).

. Il se demandait pourquoi il y a dans le monde des gens qui arrivent à tout ce qu’ils désirent, ceux-ci comme ambition, ceux-là comme amour, tandis qu’il y en a d’autres qui restent, soit hasard, soit mauvaise fortune, soit empêchement naturel que la nature a mis en eux, à moitié chemin de toutes leurs espérances. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. IX ; Pléiade, 1962, p. 785).

. Aramis : « Je suis un composé de contrastes : ce que je hais aujourdhui, je l’adorerai demain, et vice-versa. Vous voyez bien que je ne puis m’engager comme vous, par exemple, qui avez des idées arrêtées. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XI ; Pléiade, 1962, p. 809).

. D’Artagnan réfléchissait à la misère de cette pauvre nature humaine, toujours mécontente de ce qu’elle a, toujours désireuse de ce qu’elle n’a pas. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XIV ; Pléiade, 1962, p. 828).

. Mousqueton : « J’ai pris ce […] nom, qui est plus digne et sert à me faire respecter de mes inférieurs. Vous savez, Monsieur, combien la subordination est nécessaire à la valetaille. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XIV ; Pléiade, 1962, p. 829).

. Se sentant une certaine valeur personnelle, [il] souffrait de se voir démonétiser par le contact perpétuel des gens à idées plates. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XV ; Pléiade, 1962, p. 835).

. Il n’y a rien de plus convaincant qu’une grande conviction, elle influe même sur les incrédules. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XVIII ; Pléiade, 1962, p. 866).

. Athos : « Sachez toujours distinguer le roi de la royauté ; le roi n’est qu’un homme, la royauté, c’est l’esprit de Dieu ; quand vous serez dans le doute de savoir qui vous devez servir, abandonnez l’apparence matérielle pour le principe invisible, car le principe invisible est tout. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XXIV ; Pléiade, 1962, p. 944).

. D’Artagnan : « Ce ne sont pas les guerres civiles qui nous désunissent ; c’est que nous n’avons plus vingt ans chacun, c’est que les loyaux élans de la jeunesse ont disparu pour faire place au murmure des intérêts, au souffle des ambitions, aux conseils de l’égoïsme. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XXIX ; Pléiade, 1962, p. 988).

. De Guiche : « Ces moines sont assujettis à des pratiques si dégradantes : les jeûnes les font pâlir, les coups de discipline les font hypocrites, et c’est à force de pleurer les biens de la vie, qu’ils ont perdus et dont nous jouissons, que leurs yeux deviennent ternes. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XXXIII ; Pléiade, 1962, p. 1021).

. Avec les supérieurs, et surtout quand ces supérieurs sont princes, la politesse suprême est d’obéir sans retard et sans raisonnement. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XXXVI ; Pléiade, 1962, p. 1049).

. La veille d’une bataille, on pense à mille choses qu’on avait oubliées jusque-là et qui vous reviennent alors à l’esprit. La veille d’une bataille, les indifférents deviennent des amis, les amis deviennent des frères. / Il va sans dire que si on a au fond du cœur quelque sentiment plus tendre, ce sentiment atteint tout naturellement le plus haut degré d’exaltation auquel il puisse atteindre. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XXXVI ; Pléiade, 1962, p. 1052-1053).

. Athos : « Les rois ne peuvent être forts que par la noblesse, mais la noblesse ne peut être grande que par les rois. Soutenons donc les monarchies, c’est nous soutenir nous-mêmes. »  (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XLIV ; Pléiade, 1962, p. 1115).

. Maillard : « Ce sont de tristes évènements […] et qui, comme toujours, retombent sur le pauvre peuple. Quant à ce qu’on en dit, tout-le-monde est mécontent, tout-le-monde se plaint, mais qui dit tout-le-monde ne dit personne. […] Je dis que tous ces cris, toutes ces plaintes, toutes ces malédictions ne produiront qu’une tempête et des éclairs, voilà tout ; mais que le tonnerre ne tombera que lorsqu’il y aura un chef pour le diriger. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XLVII ; Pléiade, 1962, p. 1157).

. D’Artagnan : « Oh ! les femmes ! fussent-elles reines, elles sont toujours femmes. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LIII ; Pléiade, 1962, p. 1202).

. Rien ne se communique plus rapidement que la confiance. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LIV ; Pléiade, 1962, p. 1218).

. Athos : « Dans une position aussi précaire que la nôtre, c’est la terre qu’il faut examiner, et non le ciel. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LVII ; Pléiade, 1962, p. 1251).

. Athos : « Mieux vaut décapiter que souffleter un roi. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LX ; Pléiade, 1962, p. 1276).

. D’Artagnan : «  Et que me fait au bout du compte que M. Cromwell, qui est Anglais, se révolte contre son roi, qui est Écossais ? Je suis Français, moi, toutes ces choses ne me regardent pas. Pourquoi donc voudriez-vous m’en rendre responsable ? » […] — Athos : « Parce que tous les gentilshommes sont frères, parce que vous êtes gentilhomme, parce que les rois de tous les pays sont les premiers entre les gentilshommes, parce que la plèbe aveugle, ingrate et bête prend toujours plaisir à abaisser ce qui lui est supérieur ; et c’est vous, vous, d’Artagnan, l’homme de la vieille seigneurie, l’homme au beau nom, l’homme à la bonne épée, qui avez contribué à livrer un roi à des marchands de bière, à des tailleurs, à des charretiers ! » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LX ; Pléiade, 1962, p. 1277).

. Dans les positions les plus difficiles, les grands cœurs ne perdent jamais le courage, ni les bons estomacs l’appétit. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXII ; Pléiade, 1962, p. 1289).

. Porthos : « C’est un vilain pays que cette Angleterre. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXII ; Pléiade, 1962, p. 1290).

. Athos : « Tout est pauvre et mesquin en France en ce moment. Nous avons un roi de dix ans qui ne sait pas encore ce qu’il veut ; nous avons une reine qu’une passion tardive rend aveugle ; nous avons un ministre qui régit la France comme il ferait d’une vaste ferme, c’est-à-dire ne se préoccupant que de ce qu’il peut y pousser d’or en la labourant avec l’intrigue et l’astuce italiennes ; nous avons des princes qui font de l’opposition personnelle et égoïste, qui n’arriveront à rien qu’à tirer des mains de Mazarin quelques lingots d’or, quelques bribes de puissance. Je les ai servis, non par enthousiasme, Dieu sait que je les estime ce qu’ils valent, et qu’ils ne sont pas bien haut dans mon estime, mais par principe. Aujourdhui, c’est autre chose ; aujourdhui, je rencontre sur ma route une haute infortune, une infortune royale, une infortune européenne, je m’y attache. Si nous parvenons à sauver le roi, ce sera beau ; si nous mourons pour lui, ce sera grand ! » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXII ; Pléiade, 1962, p. 1291-92). Dumas 20 ans après.jpg

. D’Artagnan : « Au fait, mourir là ou mourir ailleurs, puisqu’il faut mourir, peu nous importe. […] Bah ! un peu plus tôt, un peu plus tard, celà ne vaut pas la peine de chicaner. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXII ; Pléiade, 1962, p. 1293).

. D’Artagnan : « Je reste [en Angleterre], mais à une condition. […] C’est qu’on ne me forcera pas d’apprendre l’anglais. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXII ; Pléiade, 1962, p. 1294).

. Athos : « Vous êtes bien heureux, car vous voyez toute chose en riant. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXII ; Pléiade, 1962, p. 1296).

. D’Artagnan : « L’anglais n’est que du français mal prononcé. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXVI ; Pléiade, 1962, p. 1331).

. D’Artagnan : « Je ne me soucie aucunement qu’on m’impose un genre de mort, et désire fort mourir à mon choix. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXVII ; Pléiade, 1962, p. 1336).

. Les jugements politiques sont toujours de vaines formalités, car les mêmes passions qui font accuser font condamner aussi. Telle est la terrible logique des révolutions. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXVIII ; Pléiade, 1962, p. 1345).

. Aramis : « Bravo ! […] Mais comment avez-vous décidé cet homme à disparaître ? » — D’Artagnan : « Comme on décide tout en ce monde, avec de l’argent ; celà m’a coûté cher, mais il y a consenti. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXVIII ; Pléiade, 1962, p. 1353).

. Ce plan était large, simple et facile, comme toutes les choses qui naissent d’une résolution hardie. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXIX ; Pléiade, 1962, p. 1357).

. D’Artagnan : « Mordioux ! que j’aime la France en ce moment, et qu’il est bon d’avoir une patrie à soi, quand on est si mal dans celle des autres. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXIX ; Pléiade, 1962, p. 1360).

. Aramis [se rendant compte que Charles Ier va être exécuté malgré le plan mis au point pour le libérer] : « Oh ! […] où est Dieu ? où est Dieu ? » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXIX ; Pléiade, 1962, p. 1362).

. Athos : « Oh ! […] est-il bien possible que j’entende ce que j’entends et que je voie ce que je vois ? Est-il bien possible que Dieu ait abandonné son représentant sur la terre à ce point qu’il le laisse mourir si misérablement !... » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXX ; Pléiade, 1962, p. 1368).

. Athos : « Il y a au fond de nous quelque chose de méchant qui doute sans cesse. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXI ; Pléiade, 1962, p. 1378).

. Athos : « Les braves gens sont moins rares qu’on ne le croit ; celà encourage. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXI ; Pléiade, 1962, p. 1379).

. Mordaunt : « Votre idée de la felouque minée est sublime. » — Cromwell : « Absurde […] puisqu’elle est devenue inutile. Il n’y a d’idée sublime en politique que celle qui porte ses fruits ; toute idée qui avorte est folle et aride. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXII ; Pléiade, 1962, p. 1385).

. Si ce n’était pas du courage, c’était du moins de l’orgueil, ce qui y ressemble beaucoup. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXIII ; Pléiade, 1962, p. 1396).

. Mousqueton : « Où avez-vous vu dans les Écritures, je vous le demande, que les Anglais fussent votre prochain ? […] Si vous aviez fait dix ans la guerre comme Grimaud et moi, […] vous sauriez faire la différence qu’il y a entre le bien d’autrui et le bien de l’ennemi. Or, un Anglais est un ennemi, je pense, et ce vin de Porto appartient aux Anglais. Donc il nous appartient, puisque nous sommes Français. Ne connaissez-vous pas le proverbe : Autant de pris sur l’ennemi ? » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXV ; Pléiade, 1962, p. 1416).

. D’Artagnan : « Avec le doute on mène les hommes très loin. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXVIII ; Pléiade, 1962, p. 1444).

. Athos : « Allons, allons, […] ne faites pas l’esprit fort, vous avez les larmes aux yeux. Soyons toujours francs entre nous, cette franchise dût-elle laisser voir nos bonnes qualités. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXVIII ; Pléiade, 1962, p. 1445).

. C’était un grand cœur qu’Athos, et par conséquent un bien pauvre courtisan. (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. LXXXIV ; Pléiade, 1962, p. 1503).

. D’Artagnan : « On obt[ient] tout des femmes et des portes en les prenant par la douceur. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XCI ; Pléiade, 1962, p. 1540).

. Porthos : « Les chevaux d’aujourdhui ne valent pas ceux d’autrefois, […] tout dégénère. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XCIII ; Pléiade, 1962, p. 1554).

. D’Artagnan : « Je menace parce qu’on m’y force. Je me grandis parce qu’il faut que je me place à la hauteur des évènements et des personnes. » (Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845), chap. XCIV ; Pléiade, 1962, p. 1567).

. Mais qu'est-ce que l'attente, sinon une sorte de folie, et qu'est-ce que la folie, sinon un excès d'espoir ? (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1847), chap. V ; Folio n°3023, 1997, p. 86). Dumas Bragelonne 3.jpg

. D’Artagnan : « Plus d’amis, plus d’avenir, plus rien ! Mes forces sont brisées, comme le faisceau de notre amitié passée ! Oh ! la vieillesse arrive, froide, inexorable ; elle enveloppe dans son crêpe funèbre tout ce qui reluisait, tout ce qui embaumait dans ma jeunesse, puis elle jette ce doux fardeau sur son épaule et le porte avec le reste dans ce gouffre sans fond de la mort. » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1847), chap. XVIII ; Folio n°3023, 1997, p. 218).

. D’Artagnan : « L'avenir ! hou ! les jolis mots que les mots qui promettent, et comme ils remplissent bien la bouche à défaut d'autre chose ! Mordioux ! après en avoir tant trouvé qui promettent, quand donc en trouverai-je un qui donne ? » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1847), chap. XXXII ; Folio n°3023, 1997, p. 348).

. Anne d’Autriche : « Croyez-moi, rien ne vaut le séjour du pays natal. » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1848), chap. XCII ; Folio n°3024, 1997, p. 21).

. Anne d’Autriche : « On a beau dire, […] la femme est toujours jeune ; on a toujours vingt ans dans quelque coin du cœur ! » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1848), chap. XCII ; Folio n°3024, 1997, p. 26).

. Dans cette maladie qu’on appelle l’amour, les accès se suivent à des intervalles toujours plus rapprochés dès que le mal débute. / Plus tard, les accès s’éloignent les uns des autres, au fur et à mesure que la guérison arrive. (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1848), chap. CLXXV ; Folio n°3024, 1997, p. 833).

. …cette horreur du vide et de la solitude qui toujours occupe l’imagination des gens qui aiment. (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1849), chap. CCIV ; Folio n°3025, 1997, p. 226).

. Fouquet : « Pour être assez riche, […] il faut être trop riche. » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1849), chap. CCXXV ; Folio n°3025, 1997, p. 444).

. Aramis : « Dieu !… Démon !… Sombre et railleuse puissance qu’on appelle le génie de l’homme, tu n’es qu’un souffle plus incertain, plus inutile que le vent dans la montagne ; tu t’appelles hasard, tu n’es rien ; tu embrasses tout de ton haleine, tu soulèves les quartiers de roc, la montagne elle-même, et tout-à-coup tu te brises devant la croix de bois mort, derrière laquelle vit une autre puissance invisible… que tu niais peut-être, et qui se venge de toi, et qui t’écrase sans te faire même l’honneur de dire son nom !… » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1849), chap. CCXXVII ; Folio n°3025, 1997, p. 475-476).

. D’Artagnan (cité par Planchet) : « Quand on vieillit, on pense plus souvent aux choses de la jeunesse. » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1849), chap. CCXXXV ; Folio n°3025, 1997, p. 542).

. D’Artagnan : « C’est fini, […] les mousquetaires d’aujourdhui ne sont pas ceux de Sa Majesté Louis XIII. C’est fini ! » (Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne (1848), chap. CCLVIII ; Folio n°3025, 1997, p. 754).

 

ROMANS HISTORIQUES : XVIIe siècle et DÉBUT XVIIIe siècle

. Le capitaine Roquefinette : « Écoutez un vieux renard : pour être bon conspirateur, il faut surtout ce que vous avez, du courage, mais il faut encore ce que vous n’avez pas, de la patience. » (Alexandre Dumas, Le Chevalier d'Harmental (1842), chap. XV ; Éditions du Carrousel, 1999, p. 221).

. Le capitaine Roquefinette : « Qui ne sait pas mentir ne sait pas agir. » (Alexandre Dumas, Le Chevalier d'Harmental (1842), chap. XV ; Éditions du Carrousel, 1999, p. 222). Dumas La Tulipe noire.jpg

. Entre la figure du conquérant et celle du pirate, disaient les anciens, quelle différence trouvera-t-on ? Celle que l’on trouve entre l’aigle et le vautour. / La sérénité ou l’inquiétude. (Alexandre Dumas, La Tulipe noire (1850), chap. III ; éd. de la Bohème, 2000, p. 26).

. Cornélius : « Un homme a toujours reçu du Ciel trop pour être heureux, assez pour ne l’être pas. » (Alexandre Dumas, La Tulipe noire (1850), chap. V ; éd. de la Bohème, 2000, p. 49).

. Les grandes âmes trouvent dans la philosophie d’étonnantes ressources au milieu des grandes catastrophes. (Alexandre Dumas, La Tulipe noire (1850), chap. V ; éd. de la Bohème, 2000, p. 52).

. Mais le terrible des mauvaises idées, c'est que peu à peu les mauvais esprits se familiarisent avec elles. (Alexandre Dumas, La Tulipe noire (1850), chap. VIII ; éd. de la Bohème, 2000, p. 74).

. Cornélius : « Celui qui n’a plus à vivre qu’une heure est un grand sybarite s’il a besoin de quelque chose. » (Alexandre Dumas, La Tulipe noire (1850), chap. XI ; éd. de la Bohème, 2000, p. 97).

.  Il était de ces natures choisies qui ont horreur du commun et qui manquent souvent toutes les bonnes occasions de la vie, faute d’avoir pris la route du vulgaire, ce grand chemin des gens médiocres et qui les mène à tout. (Alexandre Dumas, La Tulipe noire (1850), chap. XXVIII ; éd. de la Bohème, 2000, p. 220).

. Richelieu : « La mission de la femme, indiquée à la fois par la nature et par la société, est d’aimer et d’être aimée. » (Alexandre Dumas, Le Sphinx rouge [=Le Comte de Moret] (1865), partie III chapitre 5, éditions Baudelaire, Livre Club des Champs-Élysées, 1967, p. 355).

 

ROMANS HISTORIQUES : XVIIIe siècle, RÉVOLUTION, EMPIRE alexandre dumas,dumas père,napoléon,la tour de nesles,la jeunesse de louis xiv,kean,antony,louise bernard,les trois mousquetaires,vingt ans après,le vicomte de bragelonne,la tulipe noire,le chevalier d'harmental,le sphinx rouge,le capitaine paul,aventures de john davys,le chevalier de maison-rouge,les compagnons de jéhu,le chevalier de sainte-hermine,pauline,gabriel lambert,le comte de monte-cristo,la boule de neige,la princesse flora,les mille et un fantômes,la femme au collier de velours,le meneur de loups,mes mémoires,le corricolo,la reine margot,joseph balsamo,ange pitou,conscience l'innocent,la comtesse de charny,le collier de la reine,les mohicans de paris,la san-felice,d'artagnan,richelieu,mazarin,athos

. Paul : « Le français est aussi la langue que je préfère ; j’ai vu le jour sur la terre de France, car le soleil de France est le premier qui ait réjoui mes yeux ; et quoique bien souvent j'aie vu des terres plus fertiles et un soleil plus brillant, il n'y a jamais eu pour moi qu'une terre et qu'un soleil : c'est le soleil et la terre de France ! » (Alexandre Dumas, Le Capitaine Paul (1838), chap. V ;  Œuvres complètes. Le Capitaine Paul, Michel Lévy frères, 1858, p. 67). [1]  

. Le vieillard : « Orgueilleux et insensé qu'il est, l'homme se croit quelque chose ! » (Alexandre Dumas, Le Capitaine Paul (1838), chap. IX ;  Œuvres complètes. Le Capitaine Paul, Michel Lévy frères, 1858, p. 113). 

. Oh ! les belles et fraîches années ! comme elles passent vite, et cependant comme elles emplissent de souvenirs tout le reste de la vie ! (Alexandre Dumas, Aventures de John Davys (1840), chap. VII ; Œuvres complètes. Aventures de John Davys, Michel Lévy frères, 1872, tome I, p. 91). [2]

. John Davys : « La première loi de la discipline est qu'un supérieur ne doit jamais avoir tort. » (Alexandre Dumas, Aventures de John Davys (1840), chap. X ; Œuvres complètes. Aventures de John Davys, Michel Lévy frères, 1872, tome I, p. 141).

. Il y a celà de particulier, dans l’organisation des femmes, que le présent peut presque toujours effacer chez elles les traces du passé et les menaces de l’avenir. (Alexandre Dumas, Le Chevalier de Maison-Rouge (1845), chap. XVI ; Bouquins Mémoires d’un médecin, volume 3, 1990, p. 1362). alexandre dumas,dumas père,napoléon,la tour de nesles,la jeunesse de louis xiv,kean,antony,louise bernard,les trois mousquetaires,vingt ans après,le vicomte de bragelonne,la tulipe noire,le chevalier d'harmental,le sphinx rouge,le capitaine paul,aventures de john davys,le chevalier de maison-rouge,les compagnons de jéhu,le chevalier de sainte-hermine,pauline,gabriel lambert,le comte de monte-cristo,la boule de neige,la princesse flora,les mille et un fantômes,la femme au collier de velours,le meneur de loups,mes mémoires,le corricolo,la reine margot,joseph balsamo,ange pitou,conscience l'innocent,la comtesse de charny,le collier de la reine,les mohicans de paris,la san-felice,d'artagnan,richelieu,mazarin,athos

. La vie de l'homme se sépare en deux phases bien distinctes : les trente-cinq premières années sont pour l'espérance ; les autres sont pour le souvenir. (Alexandre Dumas, Conscience l'innocent (1852), chap. I ; Œuvres complètes. Conscience l’innocent, tome premier, Michel Lévy frères, 1861, p. 2). 

. Pour qu’un jugement soit juste, pour que le tribunal d’appel, qui n’est autre chose que la postérité, confirme l’arrêt des contemporains, il ne faut point éclairer un seul côté de la figure que l’on a à peindre : il faut en faire le tour et, là où ne peut arriver le soleil, porter le flambeau et même la bougie. (Alexandre Dumas, Les Compagnons de Jéhu (1857), partie II, chap. IX [=XXXVI] ; Phébus, 2006, p. 423). 

. Une femme qui n’a pas été belle n’a pas été jeune, mais une femme qui n’a pas été aimée n’a pas vécu. (Alexandre Dumas, Le Chevalier de Sainte-Hermine (1870), chap. LXXVI ; éd. Phébus, 2005, p. 719).

 

ROMANS CONTEMPORAINS (XIXe siècle)

. Le ridicule en France tache un nom plus cruellement que ne le fait la boue ou le sang. (Alexandre Dumas, Pauline (1838), chap. VIII ; Œuvres complètes. Pauline et Pascal Bruno, Michel Lévy frères, 1861, p. 66). Dumas Pauline.jpg

. Personne n'ignore par expérience que le danger inconnu est mille fois plus saisissant et plus terrible que le péril visible et matérialisé. (Alexandre Dumas, Pauline (1838), chap. XI ; Œuvres complètes. Pauline et Pascal Bruno, Michel Lévy frères, 1861, p. 101).

. En amour, nous défions le théologien le plus subtil d'établir la différence qu'il y a entre être amoureux et croire qu'on l'est. (Alexandre Dumas, Fernande (1844), chap. II ; Œuvres complètes. Fernande, Michel Lévy frères, 1865, p. 19-20).

. Pour le travail profond et assidu, il faut les chambres étroites, les murailles rapprochées, et le jour éteint par des rideaux de couleur sombre. Les vastes horizons, la mer infinie, les montagnes gigantesques, surtout lorsque tout cela est baigné de l'air pur et doré du Midi, tout cela vous mène droit à la contemplation, et rien mieux que la contemplation ne vous éloigne du travail. (Alexandre Dumas, Gabriel Lambertou le bagnard de l’Opéra (1844), chap. I ; édition des autres, 1979, p. 7).

. M. Noirtier : « En politique, mon cher, vous le savez comme moi, il n'y a pas d'hommes, mais des idées ; pas de sentiments, mais des intérêts ; en politique, on ne tue pas un homme : on supprime un obstacle, voilà tout. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1844), chap. XII ; Folio n°3142, 1998, p. 114). [3]

. Dieu est le dernier recours. Le malheureux, qui devrait commencer par le Seigneur, n'en arrive à espérer en lui qu'après avoir épuisé toutes les autres espérances. (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1844), chap. XV ; Folio n°3142, 1998, p. 141).

. L’abbé Faria : « En descendant dans le passé, j’oublie le présent ; en marchant libre et indépendant dans l’histoire, je ne me souviens plus que je suis prisonnier. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1844), chap. XVI ; Folio n°3142, 1998, p. 169).

. Edmond Dantès : « Le monde est-il donc peuplé de tigres et de crocodiles ? » — L’abbé Faria : « Oui ; seulement les tigres et les crocodiles à deux pieds sont plus dangereux que les autres. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1844), chap. XVII ; Folio n°3142, 1998, p. 180).

 . L’abbé Faria : « Apprendre n’est point savoir ; il y a les sachants et les savants : c'est la mémoire qui fait les uns, c'est la philosophie qui fait les autres. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1844), chap. XVII ; Folio n°3142, 1998, p. 183). Dumas Pléiade Comte Monte-Cristo.jpg

. L’abbé Busoni (cité par Dantès) : « À tous maux il est deux remèdes : le temps et le silence. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. XLV ; Folio n°3142, 1998, p. 581).

. Fais semblant de t'estimer, et on t'estimera, axiome plus utile cent fois dans notre société que celui des Grecs : Connais-toi toi-même, remplacé de nos jours par l'art moins difficile et plus avantageux de connaitre les autres. (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. XLVIII ; Folio n°3142, 1998, p. 610).

. Edmond Dantès : « L’homme est une laide chenille pour celui qui l’étudie au microscope solaire. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. XLVIII ; Folio n°3142, 1998, p. 612).

. Edmond Dantès : « L’homme ne sera parfait que lorsqu’il saura créer et détruire comme Dieu ; il sait déjà détruire, c’est la moitié du chemin de fait. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. LII ; Folio n°3142, 1998, p. 658).

. Edmond Dantès : « Les amis d'aujourdhui sont les ennemis de demain. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. LXXVIII ; Folio n°3143, 1998, p. 977).

. Valentine : «  Hélas ! dit-on, les cœurs enflammés par les obstacles se refroidissent dans la sécurité ! » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. LXXIX ; Folio n°3143, 1998, p. 985).

. Eugénie Danglars : « Dans le naufrage de la vie, car la vie est un naufrage éternel de nos espérances, je jette à la mer mon bagage inutile, voilà tout, et je reste avec ma volonté, disposée à vivre parfaitement seule et par conséquent parfaitement libre. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. XCV ; Folio n°3143, 1998, p. 1159).

. Edmond Dantès : « C'est un des orgueils de notre pauvre humanité, que chaque homme se croie plus malheureux qu'un autre malheureux qui pleure et qui gémit à côté de lui. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. CXIII ; Folio n°3143, 1998, p. 1354).

. Ses yeux prirent dans les ténèbres ce degré de finesse que communiquent dans le premier moment les émotions fortes, et qui s’émousse plus tard pour avoir été trop exercé. Avant d'avoir peur, on voit juste ; pendant qu'on a peur, on voit double, et après qu'on a eu peur, on voit trouble. (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1845), chap. CXIV ; Folio n°3143, 1998, p. 1364).

. Edmond Dantès : « Il n’y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir, […] pour savoir combien il est bon de vivre. » (Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo (1846), chap. CXVII ; Folio n°3143, 1998, p. 1397-1398).

 

ROMANS RUSSES

. Le père d’Iskander-Beg : « La plus belle rose dure un jour, la plus petite épine dure toute la vie... Caresse les femmes, mais ne les aime pas, si tu ne veux point devenir leur esclave... L'amour est doux seulement dans les chansons ; mais, en réalité, son commencement est la crainte, son milieu, le péché, et sa fin le repentir. […] Ne regarde pas les femmes des autres, et n’écoute pas la tienne. » (Alexandre Dumas, La Boule de neige (1862), chap. IV ; Romans caucasiens, éditions des Syrtes, 2001, p. 42). Dumas romans caucasiens.jpg

. Élie Pravdine : « Les sentiments ne sont pas une mode, […] et les plus beaux pays, les plus délicieux climats ne remplacent pas la patrie. […] Je suis devenu homme en respirant l’air où flottaient les atomes de mes aïeux. […] La patrie, ce n’est pas seulement l’habitude prise de demeurer à la même place. Ce n’est pas un mot vague, ce n’est point une pensée frivole. La patrie, c’est la vivante portion de nous-mêmes ; nous sommes son inaliénable propriété, nous lui appartenons moralement et matériellement ! Comment voulez-vous donc que nous ne soyons pas tristes, que nous ne soyons pas affligés en quittant notre patrie ? » (Alexandre Dumas, La Princesse Flora (1863), chap. III ; Œuvres complètes. La Princesse Flora, Michel Lévy frères, 1862, p. 68-69).

. Nil-Paulovitch : « Nous sommes si riches d'arguments lorsqu'il s'agit de satisfaire une fantaisie ! » (Alexandre Dumas, La Princesse Flora (1863), chap. VI ; Œuvres complètes. La Princesse Flora, Michel Lévy frères, 1862, p. 127).

. L'habitude gâte le jeune fou ; la concession d'hier est un droit pour demain ! Selon moi, le cœur ressemble fort au cabinet de Westminster, qui sait tout obtenir par ses importunités et ses trafics, puis met dehors ceux qui l'ont servi. (Alexandre Dumas, La Princesse Flora (1863), chap. VII ; Œuvres complètes. La Princesse Flora, Michel Lévy frères, 1862, p. 147).

. Chaque jour, [l’amant] devient plus hardi ; chaque jour, il brise une des épines qui protégent la rose, et la rose se flétrit sous le souffle brûlant de la passion ! Voulez-vous savoir de quel mot je définis toutes les passions, et principalement l'amour ? Par le mot curiosité ! / Nous n'avons pas plutôt connu, éprouvé, subjugué, que notre savoir, notre épreuve, notre conquête, nous ennuient, et que nous éprouvons le besoin de chercher autre chose, de trouver mieux, de conquérir davantage. / Encore, encore, plus loin et davantage, telles sont les limites de la pensée humaine ; limites situées au-delà de la voie lactée, à l'ombre du tombeau. (Alexandre Dumas, La Princesse Flora (1863), chap. VII ; Œuvres complètes. La Princesse Flora, Michel Lévy frères, 1862, p. 148).

 

RÉCITS FANTASTIQUES

. Hélas ! mon ami, l’époque est triste, et mes contes, je vous en préviens, ne seront pas gais. Seulement, vous permettrez que, lassé de ce que je vois se passer tous les jours dans le monde réel, j’aille chercher mes récits dans le monde imaginaire. Hélas ! j’ai bien peur que tous les esprits un peu élevés, un peu poétiques, un peu rêveurs, n’en soient à cette heure où en est le mien, c’est-à-dire à la recherche de l’idéal, le seul refuge que Dieu nous laisse contre la réalité. (Alexandre Dumas, Les Mille-et-un fantômes (1849), préface à M.*** ; Œuvres complètes. Les Mille-et-un fantômes, Michel Lévy frères, 1861, p. 2). alexandre dumas,dumas père,napoléon,la tour de nesles,la jeunesse de louis xiv,kean,antony,louise bernard,les trois mousquetaires,vingt ans après,le vicomte de bragelonne,la tulipe noire,le chevalier d'harmental,le sphinx rouge,le capitaine paul,aventures de john davys,le chevalier de maison-rouge,les compagnons de jéhu,le chevalier de sainte-hermine,pauline,gabriel lambert,le comte de monte-cristo,la boule de neige,la princesse flora,les mille et un fantômes,la femme au collier de velours,le meneur de loups,mes mémoires,le corricolo,la reine margot,joseph balsamo,ange pitou,conscience l'innocent,la comtesse de charny,le collier de la reine,les mohicans de paris,la san-felice,d'artagnan,richelieu,mazarin,athos,citations,le bagnard de l'opéra,impressions de voyages,les blancs et les bleus,la dame de monsoreau,les quarante-cinq

. Nous avons connu des vieillards qui étaient, hélas ! ce que nous ne sommes plus, c’est-à-dire des hommes de bonne compagnie. / Nous les avons vus, mais nos fils ne les verront pas. Voilà ce qui fait, quoique nous ne valions pas grand-chose, que nous vaudrons mieux que ne vaudront nos fils. (Alexandre Dumas, Les Mille-et-un fantômes (1849), préface à M.*** ; Œuvres complètes. Les Mille-et-un fantômes, Michel Lévy frères, 1861, p. 3). 

. Il est vrai que tous les jours nous faisons un pas vers la liberté, l’égalité, la fraternité, trois grands mots que la Révolution de 93, vous savez, l’autre, la douairière, a lancés au milieu de la société moderne, comme elle eût fait d’un tigre, d’un lion et d’un ours habillés avec des toisons d’agneaux ; mots vides, malheureusement, et qu’on lisait à travers la fumée de juin [1848] sur nos monuments publics criblés de balles. (Alexandre Dumas, Les Mille-et-un fantômes (1849), préface à M.*** ; Œuvres complètes. Les Mille-et-un fantômes, Michel Lévy frères, 1861, p. 3).

. Et ce que je cherche surtout, ce que je regrette avant tout, ce que mon regard rétrospectif cherche dans le passé, c’est la société qui s’en va, qui s’évapore, qui disparaît comme un de ces fantômes dont je vais vous raconter l’histoire. / Cette société, qui faisait la vie élégante, la vie courtoise, cette vie qui valait la peine d’être vécue, enfin […], cette société est-elle morte ou l’avons-nous tuée ? (Alexandre Dumas, Les Mille-et-un fantômes (1849), préface à M.*** ; Œuvres complètes. Les Mille-et-un fantômes, Michel Lévy frères, 1861, p. 3-4).

. Je vis avec les morts beaucoup, avec les exilés un peu. J’essaye de faire revivre les sociétés éteintes, les hommes disparus, ceux-là qui sentaient l’ambre au lieu de sentir le cigare ; qui se donnaient des coups d’épée, au lieu de se donner des coups de poing. / Et voilà pourquoi, mon ami, vous vous étonnez, quand je cause, d’entendre parler une langue qu’on ne parle plus. Voilà pourquoi vous me dites que je suis un amusant conteur. Voilà pourquoi ma voix, écho du passé, est encore écoutée dans le présent, qui écoute si peu et si mal. / C’est qu’au bout du compte, comme ces Vénitiens du XVIIIe siècle auxquels les lois somptuaires défendaient de porter autre chose que du drap et de la bure, nous aimons toujours à voir se dérouler la soie et le velours, et les beaux brocarts d’or dans lesquels la royauté taillait les habits de nos pères. (Alexandre Dumas, Les Mille-et-un fantômes (1849), préface à M.*** ; Œuvres complètes. Les Mille-et-un fantômes, Michel Lévy frères, 1861, p. 6).

. Il y a tout un âge de la vie, le premier âge, cette portion de l'existence dorée par l'aube, qui s'écoule sans que rien de pareil vienne l'attrister. Le bruit des cloches qui sonnent la mort semble ne pouvoir parvenir à notre oreille. Toutes les voix qui nous parlent nous adressent de douces paroles, tous les murmures sont des gazouillements, c'est que l'on monte encore cette belle montagne de la vie, si riante du côté où on la monte, si aride du côté où on la descend. / Salut donc à toi, heure mélancolique, où, arrivé au sommet de la montagne, on s'arrête pour faire halte dans sa vie, où l'œil se porte à la fois sur la pente fleurie qu'on vient de gravir et sur le versant désolé qu'on va descendre, et où vous arrive avec la bise de l'hiver ce premier écho de la tombe qui vient vous dire : « Une mère, un parent, un ami vous est mort. » / Alors, dites adieu aux franches joies de ce monde, car cet écho ne vous quittera plus, cet écho vibrera peut-être, dabord une fois par an, puis deux, puis trois ; vous serez comme cet arbre auquel un premier orage d'été enlève une feuille, et qui dit : « Que m'importe ? j'ai tant de feuilles » ; puis les orages se succèdent, puis vient la bise d'automne, puis vient la première gelée d'hiver, l'arbre est chauve, ses rameaux sont nus, et, squelette décharné, il n'attend plus lui-même, pour disparaître de la surface du sol, que la bruyante cognée du bûcheron. / Au reste, n'est-ce point un bienfait du ciel que cet abandon successif dans lequel nous laisse tout ce qui nous aimait et tout ce que nous aimions ? Ne vaut-il pas mieux, lorsqu'on penche soi-même vers la terre, que ce soit de la terre que viennent les voix les mieux connues et les plus chéries ? N'est-il pas consolant que lorsqu'on marche inévitablement vers un monde ignoré, on soit sûr d'y trouver au moins tous ces souvenirs qui, au lieu de nous suivre, nous ont précédés ? (Alexandre Dumas, Les Mariages du père Olifus (1849), chap. XIII ; Omnibus Le Meneur de loups et autres récits fantastiques, 2002, p. 363-364). alexandre dumas,dumas père,napoléon,la tour de nesles,la jeunesse de louis xiv,kean,antony,louise bernard,les trois mousquetaires,vingt ans après,le vicomte de bragelonne,la tulipe noire,le chevalier d'harmental,le sphinx rouge,le capitaine paul,aventures de john davys,le chevalier de maison-rouge,les compagnons de jéhu,le chevalier de sainte-hermine,pauline,gabriel lambert,le comte de monte-cristo,la boule de neige,la princesse flora,les mille et un fantômes,la femme au collier de velours,le meneur de loups,mes mémoires,le corricolo,la reine margot,joseph balsamo,ange pitou,conscience l'innocent,la comtesse de charny,le collier de la reine,les mohicans de paris,la san-felice,d'artagnan,richelieu,mazarin,athos

. Le compagnon inséparable du génie et de la gloire, c'est le malheur. (Alexandre Dumas, La Femme au collier de velours (1851), chap. II ; Omnibus Le Meneur de loups et autres récits fantastiques, 2002, p. 171).

. La nature humaine est ainsi faite, toujours indulgente pour soi, attendu que son indulgence c'est de l'égoïsme. (Alexandre Dumas, La Femme au collier de velours (1851), chap. XI ; Omnibus Le Meneur de loups et autres récits fantastiques, 2002, p. 228).

. Il faut toujours que la foule, lorsqu'elle est sous l'empire d'une passion, crie vive quelqu'un ou meure quelqu'un. (Alexandre Dumas, La Femme au collier de velours (1851), chap. XVII ; Omnibus Le Meneur de loups et autres récits fantastiques, 2002, p. 274).

. Pendant les vingt premières années de la vie, on a pour guide l’espérance, et, pendant les vingt dernières, la réalité. (Alexandre Dumas, Le Meneur de loups (1857), chap. I ; Omnibus Le Meneur de loups et autres récits fantastiques, 2002, p. 661).

 

RÉCITS D’HISTOIRE

[à compléter]

 

MÉMOIRES et RÉCITS DE VOYAGES

. Rien ne réussit comme le succès. Le succès est l’aimant moral qui attire tout à lui. (Alexandre Dumas, Le Corricolo (1843), chap. XIV ; Œuvres complètes. Impressions de voyage. Le Corricolo, Michel Lévy frères, 1865, tome I, p. 165). [4]

 

DIVERS et PROPOS ORAUX

. Quelle est la vue qui fait le plus plaisir aux femmes ? Celle d’un bel homme ou d’une femme laide. (Alexandre Dumas, « Maximes, pensées, questions », dans Le Mousquetaire, 21 novembre 1866).

. Les femmes font avec le premier homme qu’elles aiment le rêve qu’elles réalisent avec le second. (Alexandre Dumas, « Maximes, pensées, questions », dans Le Mousquetaire, 21 novembre 1866).

. Les trois quarts des hommes meurent sans avoir créé, pas un ne meurt sans avoir détruit. (Alexandre Dumas, « Maximes, pensées, questions », dans Le Mousquetaire, 21 novembre 1866).

. « Exiger qu’une nation ne soit pas ingrate, c'est demander aux loups d'être herbivores. » (Alexandre Dumas, propos oral rapporté par Maxime Du Camp dans ses Souvenirs littéraires (1883), XXII, Aubier, 1994, p. 476).

. « Les souverains sont aussi ingrats que les peuples ; il faut faire le bien d’une façon abstraite et ne jamais penser à la récompense ; c’est le seul moyen de n’être pas déçu dans son espoir et de garder son âme en paix. » (Alexandre Dumas, propos oral rapporté par Maxime Du Camp dans ses Souvenirs littéraires (1883), XXII, Aubier, 1994, p. 477).

 

 

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_______________________________

[1] Dumas a tiré de la même histoire un drame, Paul Jones, légèrement antérieur au roman.  Ce petit couplet patriotique s’y trouve aussi, à l’acte I, scène 4 (Théâtre complet, tome IV, Michel Lévy frères, 1864, p. 313).

[2] J’avais dabord indiqué la référence à la réédition chez Claire Vigne (1995), que je possède. Mais je me suis aperçu que cette édition est, sans que rien ne l’indique, une édition abrégée, où de nombreux paragraphes ont été supprimés en entier. (En outre, plusieurs chapitres ont été regroupés, de telle sorte que leur numérotation ne correspond plus à celle des éditions du XIXe.) Je déconseille donc formellement cette édition.

[3] L’édition Folio en deux volumes, parue en 1998, est une simple réimpression du volume de la Pléiade édité en 1981 : c’est pourquoi la pagination, identique à celui-ci, en est continue. Seule la préface de Jean-Yves Tadié est originale, mais elle est paginée en chiffres romains.

[4] Dumas devait tenir à cette formule, fausse tautologie à prendre au troisième degré, « Rien  ne réussit comme le succès », car il l’a reprise au moins deux fois : dans Mémoires d’un médecin, tome III.Ange Pitou (1851), chap. VII  (Bouquins Mémoires d’un médecin, volume 2, 1990, p. 704) ; ainsi que dans son récit historique César (1855), chap. VII, mais cette fois en avouant l’emprunt : « Nous disons, nous autres modernes, que rien ne réussit comme le succès » (Les Belles-Lettres, 1997, p. 34). En effet, il s’agit d’une citation masquée, car le mot est de Jules Janin, dans sa chronique « Les succès », qui date de 1835 : « Rien n'est beau comme le succès, rien ne réussit comme le succès, surtout en France » (Petits souvenirs, tome V. Œuvres de jeunesse, Librairie des bibliophiles, 1883, p. 317). Mais déjà Chamfort avait écrit : « Les succès produisent les succès, comme l’argent produit l’argent. » (Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°450, p. 151).

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